Le geste est symbolique. Jeudi 23 mai, à quelques kilomètres de Bobo Dioulasso, des agents des services des Eaux et Forêts ont déterré les bornes délimitant 16 hectares découpés en plein cœur de la forêt classée de Kua. En lieu et place de ces bornes, ils ont planté des arbres. À l’origine de cette manifestation de colère des forestiers de la région des Hauts-Bassins et des cascades, un projet de la coopération entre le Burkina Faso et la Chine engagé après le rétablissement de leurs relations diplomatiques, en mai 2018. La Chine a alors promis de financer entièrement la construction d’un centre hospitalier universitaire (CHU) à Bobo Dioulasso, sous la forme d’un don estimé à 60 milliards de francs CFA [91,5 millions d’euros].
Feu aux poudres
Si tous les acteurs sont unanimes sur le caractère salutaire de l’initiative, destinée à améliorer l’accès aux soins dans cette région, le choix de l’emplacement de l’hôpital, dans un pays qui perd chaque année 4% de son massif forestier, a mis le feu aux poudres. Et la décision du conseil municipal de Bobo Dioulasso, le 19 avril dernier, de déclasser une partie de la forêt de Kua a fédéré les opposants au projet.
« Il ne faut pas toucher à cette forêt ! » martèle Sylvestre Ouédraogo, membre du Groupe de recherche-action du Burkina sur la gouvernance forestière (GAGF). « Nous subissons déjà de plein fouet le changement climatique. Ce n’est pas possible qu’une forêt classée soit considérée comme le meilleur endroit pour construire un hôpital », poursuit cet homme qui, aux côtés de plusieurs autres organisations de la société civile et de personnalités politiques, est monté au créneau contre le projet au cours des dernières semaines.
Depuis un mois, les initiatives se multiplient. Une pétition en ligne contre le déclassement du site a récolté plus de 10 000 signatures en une semaine. La plateforme citoyenne FasoKooZ a pour sa part appelé à « une manifestation citoyenne, pacifique et républicaine », le 1er juin à Bobo Dioulasso, pour dire « non au déclassement de la forêt classée de Kua et exiger le maintien du projet de construction de l’hôpital sur un autre site, mieux indiqué, dans la commune ».

La zone de la forêt de Kua, au Burkina, concernée par le projet de construction d'un CHU. © DR
La forêt de Kua est la principale source d’alimentation en eau potable de la ville de Bobo
Si la préservation du patrimoine forestier – et en particulier la protection des essences rares – mobilise les environnementalistes, la forêt de Kua, d’une superficie estimée à 350 hectares et classée depuis 1936, revêt une importance capitale pour les habitants de Bobo Dioulasso.
« Elle a été classée pour préserver les sources d’eau de la zone. Sa nappe phréatique est la deuxième source d’eau la plus importante d’Afrique de l’Ouest, après le Fouta Djalon. C’est également la principale source d’alimentation en eau potable de la ville de Bobo, qui risque d’être polluée avec la construction d’un hôpital », souligne ainsi Paul Djiguemdé, directeur général des Eaux et Forêts au ministère de l’Environnement.
L’ambassade de Chine assure avoir respecté les procédures

La Forêt de Kua, près de Bobo Dioulasso au Burkina Faso (Illustration) © DR
Plusieurs sites nous ont été proposés. Le site actuel, peu boisé et très facile d’accès, est idéal
Pourquoi, dans ce cas, avoir précisément choisi ce lieu pour construire le futur CHU ? Du côté de la coopération chinoise, on assure que le choix a été fait en totale concertation avec les autorités burkinabè. « Plusieurs sites nous ont été proposés. Après des études et des échanges avec la partie burkinabè, nous avons conclu ensemble que les autres étaient soit trop proches de sources d’eau ou de champs, soit difficiles d’accès, ou encore que des questions de propriété foncière se présentaient. Le site actuel, peu boisé et très facile d’accès, est idéal », détaille à Jeune Afrique Bowei Wang, chargé de communication à l’ambassade de Chine à Ouagadougou.
Le diplomate indique par ailleurs que « même avant d’être informés que le site se trouve dans une forêt classée, nous avions planifié un programme de verdissement ». Celui-ci « prévoit notamment que les arbres qui s’éparpillent dans le site seront protégés, et que d’autres y seront plantés », insiste l’officiel chinois, qui assure que « toutes ces mesures permettront de contrôler la pollution et d’avoir le minimum d’impact ».
Trois missions d’experts ont en outre effectué des missions sur place pour réaliser des études de terrain et élaborer le design architectural. Spécialisée dans les secteurs de l’aviation et de la défense, la société China Aviation Planning and Design Institute Co. a remporté ce dernier marché, passé sous appel d’offres. Une fois les plan du futur CHU terminés, un autre appel d’offres sera lancé afin de désigner l’entreprise chargée de sa construction.
La protection de l’environnement, « est une condition préalable à tous les projets de coopération chinoise. Il est prévu dans la conception du projet des stations de traitement des eaux, des déchets et de la purification de l’air », assure le cadre de l’ambassade chinoise.
Fermeté des autorités burkinabè

Christophe Dabiré, Premier ministre du Burkina Faso. © DR / Primature Burkina Faso.
Nous allons réaliser ce projet sans laisser à penser que nous sommes en train de remettre en cause la protection de l’environnement
Pour le maire de la ville de Bobo Dioulasso, Bourahima Sanou, dont le conseil municipal a déjà donné un avis favorable à la déclassification, cette polémique relèverait de « l’intox ». « Contrairement à ce que montrent les images, la partie de la forêt concernée par le projet n’est pas boisée », assure l’édile, qui a également rencontré les chefs coutumiers et religieux de la ville pour leur parler du projet.
Du côté du gouvernement, la position est ferme : l’hôpital sera érigé sur ce site malgré la polémique, le pays ayant obtenu des garanties en matière de protection de l’environnement. « C’est une tempête dans un verre d’eau », a même ironisé le Premier ministre Christophe Joseph-Marie Dabiré, le 16 mai, lors de son discours devant les députés.
« Les Chinois nous ont dit que si nous sommes d’accord, même les arbres qui sont dans le site qu’ils ont choisi, ils vont les déterrer et aller les replanter dans la forêt classée. Devant un tel investissement, en plus des engagements du partenaire, le gouvernement était fondé à accorder cet espace. Nous allons réaliser ce projet en faveur des populations de Bobo sans laisser à penser que nous sommes en train de remettre en cause la protection de l’environnement », a-t-il insisté.
En visite à Bobo Dioulasso, le ministre des Affaires étrangères, Alpha Barry, s’est rendu sur les lieux le 23 mai. « J’étais dans cette forêt qui n’existe pas », a-t-il écrit sur sa page Facebook. « La partie qui ressemble à une forêt et où coule une sorte de marigot est assez éloignée. Exactement comme le site de l’hôpital Yalgado, à Ouagadougou, avec une forêt en face traversée par un canal ou une source d’eau », a-t-il souligné.
Des procédures non respectées
Des explications qui, toutefois, peinent à convaincre les opposants au projet, qui dénoncent également le non-respect des procédures. Pour obtenir le déclassement du site, le gouvernement a en effet saisi la mairie de Bobo Dioulasso avant le ministère en charge de l’Environnement, de l’Économie verte et du Changement climatique.
« Kua est une forêt classée de l’État. Selon les textes, l’initiative de son déclassement relève du ministère en charge des forêts, en l’occurrence celui de l’Environnement. Or celui-ci n’a pas été saisi. Par ailleurs, ces demandes de déclassement prévoient une étude d’impact environnemental et social, et le dossier doit également comporter différentes indications sur les opportunités ou dangers liés au projet », insiste Paul Djiguemdé. Pour l’heure, Or, cette procédure n’a pas été officiellement lancée.
Au-delà de son impact environnemental direct, c’est aussi le précédent que constituerait ce déclassement sur décision municipale qui inquiète les militants écologistes. « Avec la pression foncière, les maires pourraient décider de déclasser des forêt pour en faire des zones d’habitation. Il sera désormais plus difficile de déloger des personnes qui occupent de façon illégale ces zones protégées », pointe Sylvestre Ouédraogo.
« La Chine n’a aucune raison ni aucun intérêt à endommager l’environnement », justifie un officiel chinois, face à la polémique. « S’il y a la possibilité de trouver un autre site qui réunit toutes les conditions, nous y sommes ouverts. Nous respectons la volonté du gouvernement et des Burkinabè. Tout ce que nous voulons c’est que cet hôpital bénéficie au plus grand nombre de personnes. »