Certains avaient imaginé qu’elle ferait son grand retour au gouvernement, suite à la réélection de Macky Sall le 24 février. Mais c’est à la présidence du Conseil économique, social et environnemental (Cese) qu’Aminata Touré est réapparue, chassant du poste son homonyme Aminata Tall, qui avait été plusieurs fois ministre, puis secrétaire générale de la présidence, sous Abdoulaye Wade. Selon un habitué du palais de la République, celle qui fut ministre de la justice (2012-2013) puis Première ministre de Macky Sall (2013-2014) aurait « décliné la perspective de revenir au gouvernement ».
En 2011-2012 comme en 2018-2019, celle que les Sénégalais surnomment « Mimi » Touré a joué un rôle-clé dans la campagne électorale victorieuse du chef de l’État. Faut-il voir dans sa promotion un tremplin discret ou un placard doré, à l’heure où Macky Sall, qui se passera désormais de Premier ministre, entend être seul aux commandes ?
« Atomes crochus politiques »
Depuis 2010, malgré quelques soubresauts, Aminata Touré, 56 ans, compte parmi les plus proches collaborateurs de Macky Sall. « Elle fait partie de ceux qui ont une réelle compréhension de ses attentes », confie un cacique de l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel.
« De vrais atomes crochus politiques » qui, selon la même source, s’expliquent en partie par les similitudes de leur cheminement idéologique respectif. Comme le chef de l’État, Aminata Touré a en effet gagné ses galons de militante au sein de l’extrême gauche sénégalaise, notamment au sein du mouvement marxiste-léniniste And-Jëf, de Landing Savané, avant de rejoindre la grande famille libérale.
Traque aux biens mal acquis
Pragmatisme ou opportunisme ? « Sans doute un peu des deux. Peu bavarde sur ses ambitions, Aminata Touré a mené sa carrière politique avec combativité et détermination », résume notre cadre apériste. Après une longue carrière au Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), dont elle dirigera notamment le département droits humains, cette militante précoce quitte New York en 2010 pour rejoindre Macky Sall, qui s’est lancé dans la course à la présidentielle.
Elle devient sa directrice de cabinet au sein de l’APR, et collabore à l’écriture de son programme de candidat. Au lendemain de la victoire, en mars 2012, elle est nommée ministre de la Justice, un portefeuille-clé pour le nouveau régime. Deux dossiers importants font en effet la une des médias sénégalais à l’époque : la mise en place d’un tribunal spécialement chargé de juger l’ancien président tchadien Hissène Habré, sous l’égide de l’Union africaine ; et la « traque aux biens mal acquis », qui se traduira par la mise en cause du fils de l’ancien président,Karim Wade. Placé en détention début 2013, celui-ci sera condamné deux ans plus tard pour enrichissement illicite avant d’être gracié en juin 2016.
Lorsqu’on administre la justice, on le fait avec froideur
« Tout le Sénégal a pensé que Mimi Touré faisait de la traque aux biens mal acquis une affaire personnelle. Il y avait plus de subjectivité chez elle que de réelle politique judiciaire », se souvient Babacar Gaye, ancien porte-parole du PDS. « Lorsqu’on administre la justice, on le fait avec froideur. Parfois aussi avec déchirement », confessait à l’époque l’intéressée à Jeune Afrique. De fait, plusieurs ténors du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) défileront à la prison dakaroise de Rebeuss sous son magistère, entre 2012 et 2014. Parmi eux : le numéro 2 du PDS, Oumar Sarr, qui est aussi son ex-mari et le père de sa fille.
« Ce que veulent les Sénégalais, c’est que leur argent leur soit restitué. Pendant tant d’années, ils ont vécu une terrible frustration face à des malversations manifestes, sans parler de l’arrogance qui les accompagnait », expliquai-t-elle à JA pour justifier cette croisade anti-malversations.
« Dame de fer »
Femme de caractère au verbe tranchant, « qui a su s’imposer par sa poigne dans un milieu et une société machiste », selon un membre de sa famille politique, elle a souvent été comparée dans la presse à la “dame de fer” britannique Margaret Thatcher. En septembre 2013, Macky Sall la nomme Première ministre en remplacement d’Abdoul Mbaye, un ancien banquier. « Son ascension politique a pu créer des frustrations dans les rangs l’APR », admet un membre fondateur du parti. Car « Mimi » n’est pas de ces « apéristes pure souche » qui ont suivi Macky Sall dès le premier jour, lorsqu’il a été mis au ban par l’ancien président Abdoulaye Wade, fin 2008, l’incitant à jouer sa propre carte.
C’est une femme qui sait se battre
« Aminata Touré a un important parcours national et international. C’est une militante engagée qui incarne la puissance », estime Cheikh Guèye, le maire de la commune de Dieuppeul-Derklé, à Dakar, qui l’a connue lorsqu’elle travaillait à l’ONU.
Lors des locales de 2014, aux côtés du socialiste Khalifa Sall, Cheikh Guèye lui fait pourtant face à Dakar, dont Macky Sall l’a chargée de conquérir la mairie. « Je pense qu’elle était persuadée de gagner du fait de son poste de Première ministre », confie-t-il. Largement battue par le maire sortant, Aminata Touré est démise de ses fonctions quelques jours plus tard. En 2015, elle reviendra dans le giron de Macky Sall avec un poste honorifique : envoyée spéciale du Président de la République.
La présidence en ligne de mire ?
Travailleuse invétérée, selon ses proches, c’est elle qui, en vue de la présidentielle de 2019, a coordonné la collecte plus de deux millions de parrainages pour le président sortant. « C’est une femme qui sait se battre », admet Cheikh Guèye.
Considérée comme une femme ambitieuse, Mimi Touré reste toutefois discrète sur son agenda politique. Dans son entourage, « on ne serait pas étonné qu’elle brigue la présidence en 2024 », même si elle se garde bien d’en faire étalage. « Aminata n’est pas du genre à verser dans la logorrhée superflue. Elle attend son heure, telle une lionne tapie, que sa proie ne voit qu’à la dernière seconde ».