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Élections en Afrique du Sud : l’ANC, un favori controversé en perte de vitesse
« Nous nous battons pour nous asseoir à la table du dîner ! Blancs, vous ne mangerez plus seuls. Nous venons nous asseoir à la table et si vous nous refusez, nous allons détruire cette table. Plus personne ne va manger ! ». Le poing levé, tout de rouge vêtu, c’est un Julius Malema fidèle à lui-même qui a fait face à des milliers de militants chauffés à blanc lors du dernier rassemblement de campagne des Combattants pour la liberté économique (EFF).
Dans ses discours au vitriol, le leader ne se prive pas de manier un langage imagé, peuplé des démons d’un passé colonial douloureux. Ce dimanche 5 mai, dans le stade d’Orlando, à Soweto, haut lieu de la résistance anti-apartheid, le presque quadragénaire – il a 38 ans – a joué sur ses fondamentaux, rappelant son attachement à la terre, exigeant une redistribution plus équitable, attaquant des élites politiques et économiques qu’il accuse d’être corrompues.
Endossant son rôle préféré, celui d’avocat des plus démunis, Malema a salué « le courage des employés domestiques », mis en avant les femmes et les jeunes, « moteur essentiel de la nation ». À ses adversaires, il a, comme de coutume, réservé ses piques les acérées, multipliant les provocations violentes. Tout le monde en a pris pour son grade, et en premier lieu les forces de l’ordre. « Au lieu de tirer sur des gens au hasard, faites une sélection, je peux vous donner le nom des criminels qui siègent au parlement », a-t-il lancé.
L’ANC, cible privilégiée

Un rassemblement des EFF, dans le township d'Alexandra, le 1er mai 2019. © Mujahid Safodien/AP/SIPA
Mais si Malema tape sur tout le monde, son adversaire préféré est bel et bien l’ANC, le parti dont il est issu. Une stratégie qui pourrait s’avérer payante lors du scrutin de mercredi. Grand favori des élections, le parti du président Cyril Ramaphosa n’est en effet pas à l’abri d’une mauvaise surprise dans certaines provinces.
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Cinq ans après avoir créé son parti des Combattants pour la liberté économique, en 2013, celui que Julius – « Juju » – Malema est désormais une figure incontournable de la scène politique sud-africaine. ܬ peine un an après avoir vu le jour, sa formation avait remporté près de 6% des voix lors des élections générales de 2014. Deux ans plus tard, ses scores honorables aux élections locales de 2016 avaient même fait vaciller l’ANC, qui perdit le contrôle des villes de Johannesburg et de Pretoria au profit de la DA, l’Alliance Démocratique.
Aujourd’hui, vingt-cinq députés des EFF siègent à l’Assemblée nationale. Et pour ce scrutin, les sondages donnent EFF entre 10 % et 15 % des intentions de vote. De quoi permettre à Malema de se moquer de ceux qui, « au départ, nous prenaient pour une organisation Mickey Mouse ».
Multipliant les déclarations fracassantes et maniant une rhétorique aux accents révolutionnaires, il a su séduire une frange de l’électorat jeune
Sa stature de militant anti-corruption radical, Julius Malema a commencé à la forger dès ses premières années de militances au sein de l’ANC, dont il a dirigé la ligue des jeunes jusqu’en 2012. Très présent sur le terrain, multipliant les déclarations fracassantes et maniant une rhétorique aux accents révolutionnaires, il a su séduire une frange de l’électorat jeune, notamment chez les étudiants, dans un pays où le taux de chômage chez les moins de trente ans atteint les 50 %.
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Fils d’une femme de ménage, titulaire d’une licence en philosophie obtenue en 2017, Malema a soutenu activement le mouvement estudiantin réclamant la gratuité de la scolarité sous le slogan « Fees must Fall », qui secoua le pays en 2015.
Provocateur et virulent, voire violent

Le députés EFF quittent l'Assemblée nationale, le 11 février 2016, en plein scandale Zuma. © Schalk van Zuydam/AP/SIPA
Julius Malema creuse également le sillon de la persistance des inégalités sociales et raciales héritées de l’apartheid. Tout en accusant d’un côté les pontes de l’ANC de népotisme, il cible régulièrement la minorité blanche. Helen Zille, députée de l’opposition libérale, a ainsi fait les frais de sa virulence, il y a une dizaine d’années, en se faisant traiter de « raciste à la tête d’agent de l’apartheid ». En 2011, il fut même condamné pour incitation à la haine, après avoir entonné sans complexe le chant de lutte « Tuez les Boers ».
Provocateur et virulent, Julius Malema l’a aussi été au sein du Parlement. Lorsque l’ancien président Jacob Zuma s’est retrouvé empêtré dans de multiples scandales financiers, les députés EFF n’hésitaient pas à faire le coup-de-poing dans l’hémicycle, se faisant régulièrement expulser tout en entonnant « Remboursez l’argent ! ». Sur le plan international, son soutien à l’ex-président zimbabwéen Robert Mugabe et à sa réforme agraire – dont les conséquences économiques ont été désastreuses – n’est pas passé inaperçu.
Julius Malema a également eu maille à partir avec la justice. Soupçonné de corruption, fraude et blanchiment d’argent, il n’a cependant jamais été formellement poursuivi. En 2015, l’affaire fut classée sans suite.
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Régulièrement épinglé par ses adversaires pour son train de vie ou son goût pour les voitures européennes de luxe, Malema balaye les critiques d’un revers de la main. Interrogé en 2010 par un journaliste de la BBC sur sa demeure située à Sandton, banlieue ultra chic de Johannesburg, Malema le prend a parti et lui demande de quitter la conférence de presse. « Ne viens pas ici avec ton comportement de Blanc. Ici, nous sommes dans un lieu révolutionnaire. Tu n’y connais rien, tu peux dégager », lui a-t-il lancé.
Ami proche de Winnie Madikizela-Mandela, il ne manque pas une occasion de se réclamer de son héritage. Une proximité et une filiation idéologique revendiquée qui trouve un écho au sein de la famille Mandela : en avril dernier, la presse sud-africaine a publié la photo des deux filles de Winnie et Nelson Mandela aux côtés de Dali Mpofu, président de EFF. Si elles n’ont pas officiellement apporté leur soutien à Malema, le cliché est éloquent.