Mali : quand l’ethnicisation médiatique fait irruption dans l’actualité politique

Plusieurs médias maliens et internationaux ont fait un lien direct entre la démission de l’ancien Premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maïga, et le massacre des peuls dans le centre du pays. Un signe de l’ethnicisation progressive du traitement médiatique de l’actualité malienne, depuis 2015, sur fond d’attaques terroristes et de conflits intercommunautaires.

Lors d’une manifestation à Bamako contre le gouvernement et la président malien, le 5 avril 2019. © REUTERS/Keita Amadou

Lors d’une manifestation à Bamako contre le gouvernement et la président malien, le 5 avril 2019. © REUTERS/Keita Amadou

Aïssatou Diallo.

Publié le 25 avril 2019 Lecture : 3 minutes.

« L’ethnicisation dans le traitement médiatique de l’actualité malienne existe depuis 2015 mais elle a atteint son paroxysme ces dernières semaines », constate Bréma Ely Dicko, chef du département sociologie, anthropologie à l’université de Bamako.

Et de citer, à l’appui de son analyse, le titre de cette  dépêche publiée vendredi par plusieurs médias internationaux et sites maliens, annonçant la démission de Soumeylou Boubèye Maïga : « Mali : le Premier ministre démissionne à la suite du massacre de Peuls ». Une formulation qui établit un lien direct entre la démission du Premier ministre et le massacre de 160 personnes appartenant à la communauté peule à Ogossagou, dans le centre du Mali.

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Quelques jours plus tard, des portraits de son successeur Boubou Cissé, réalisés par des radios et médias en ligne, mentionnent, parmi les caractéristiques spécifiques du nouveau Premier ministre – économiste, ex-ministres des Finances et ancien conseiller à la Banque mondiale – son appartenance à l’ethnie peule.

« Au fil des portraits, les médias ont également associé Amadou Koufa, chef de la Katiba Macina, aux Peuls. Et diverses analyses portant sur le conflit dans le Centre s’appuient par ailleurs sur des rappels historiques invoquant le jihad peul du XIXe siècle. Tout cela contribue à construire l’image d’une communauté violente », ajoute le professeur.

« Une lecture simpliste »

Pour Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études en sécurité (ISS), associer la démission de Soumeylou Boubèye Maïga au massacre de Ogossagou est « une lecture simpliste, voire anachronique, qui ne prend pas en compte la complexité des dynamiques sur le terrain. Et encore moins les subtilités de la politique malienne. Bien que le drame d’Ogossagou ait pu fragiliser la réputation de sécurocrate que s’est faite SBM, cet événement n’est pas la cause principale de son départ. »

L’ancien Premier ministre avait présenté sa démission le 18 avril, à la veille de l’examen par l’Assemblée nationale d’une motion de censure déposée par des députés de la majorité et de l’opposition contre le gouvernement.  L’homme accumulait les griefs depuis plusieurs mois. En plus de la crise sécuritaire, ses détracteurs lui reprochaient en effet sa gestion du front social.

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Les pancartes brandies par les manifestants réclamant son départ, le 5 avril, à Bamako, dénonçaient certes le massacre de Ogossagou, mais nombreuses étaient celles qui pointaient la grève des enseignants, dénonçaient la présence des forces françaises dans le pays ou accusaient la classe politique d’être corrompue.

Le prisme ethnique est dangereux, car en contribuant à indexer une communauté il renforce ainsi sa stigmatisation

« Les gens parlent beaucoup de problématique peule. Il y a effectivement au Mali, au Niger et au Burkina, des violences contre des Peuls, poursuit Ibrahim Maïga. Mais cette façon de considérer uniquement la dimension ethnique de ces événements est réductrice et fait l’impasse sur les enjeux qui sont avant tout sociaux, économiques et politiques. Au cours de mes entretiens avec d’anciens membres de groupes que l’on qualifie de jihadistes, le caractère ethnique est rarement revenu comme une motivation clé dans le discours de mes interlocuteurs. »

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Éviter les amalgames

Ibrahim Maïga fait un parallèle avec le traitement médiatique de ce qui a été présenté, en 2012, comme « une rébellion touarègue ». « C’était une rébellion armée composée en majorité par des individus appartenant à la communauté touarègue. Mais dans les faits, ce n’était pas une « rébellion touarègue » car de nombreux Touareg ne soutenaient pas le mouvement et la société touarègue est traversée par d’importantes lignes de fractures. Cette grille de lecture est d’autant plus critiquable qu’elle contribue à entretenir l’amalgame qui peut conduire à une stigmatisation et à des violences contre des personnes issues de cette communauté. En 2012, à cause de cette généralisation, on a ainsi assisté à des scènes de pillages contre des boutiques et pharmacies appartenant à des Touareg. »

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