Politique

Au Sénégal, la parité en politique « c’est beaucoup » mais pas encore assez

Priorité affichée par Macky Sall, la parité en politique est encore loin d’être atteinte au Sénégal. Huit femmes ont été nommées dans le gouvernement, contre 24 hommes. C’est « beaucoup » pour le Premier ministre, mais encore bien trop peu pour nombre d’élues et de femmes engagées dans la société civile.

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Mis à jour le 12 novembre 2019 à 16:24

Le gouvernement sénégalais, le 10 avril 2019. © Papa Matar Diop/Présidence Sénégal

Dans la course à la parité, le nouveau gouvernement de Macky Sall n’est encore qu’à mi-chemin. Mariama Sarr, Ndèye Saly Diop Dieng et Aïssatou Sophie Gladima ont conservé leurs portefeuilles. Quant à Aminata Mbengue Ndiaye, Aminata Assome Diatta, Néné Fatoumata Tall, Zahra Iyane Thiam et Ndèye Tické Ndiaye Diop (également porte-parole du gouvernement), elles ont pris la tête de leurs ministères respectifs cette semaine.

Le nombre de femmes ministres reste identique à celui du gouvernement précédent, dans une équipe légèrement plus resserrée. De 20 %, le pourcentage de femmes héritant d’un portefeuille ministériel passe ainsi à 25 %. Et « c’est beaucoup », a estimé le Premier ministre Mahammad Dionne au soir de son investiture. De quoi faire bondir Awa Gueye, députée de l’Alliance pour la république (APR), le parti présidentiel, et deuxième vice-présidente de l’Assemblée nationale, qui pointe le fait que « passer de 20 à 25 %, c’est minime ».

Macky Sall avait pourtant promis de faire des droits des femmes l’une des priorités de son nouveau mandat. Il avait aussi manifesté le souhait « d’augmenter leur participation » dans le gouvernement, selon son Premier ministre.

Et parmi les huit femmes nommées, on note qu’aucune ne dispose d’un ministère régalien. Awa Guèye refuse cependant de considérer cela comme un recul, dans un pays gouverné à plusieurs reprises par des Premières ministres. « Il faut comprendre le contexte. Le président veut mettre l’accent sur une politique sociale, il souhaite s’atteler au problème de la vulnérabilité des femmes. C’est pour cela qu’il a nommé une femme [Zahra Iyane Thiam] à la tête du ministère de la Microfinance et de l’Économie sociale et solidaire, par exemple », justifie-t-elle, avanbt d’ajouter que « ces nominations sont un progrès, même si des efforts restent à faire. »

Nominations confidentielles

L’historienne Penda Mbow, ancienne ministre de la Culture d’Abdoulaye Wade, est moins clémente. Elle évoque des nominations « confidentielles » pour désigner les portefeuilles dont disposent les nouvelles ministres. L’intellectuelle considère qu’elles sont passées « à côté du véritable pouvoir » que confère la gestion d’un ministère régalien. Pourtant, ce type de nomination n’aurait rien eu de révolutionnaire. « Du temps des socialistes, nous avions des femmes à des postes décisionnaires », rappelle-t-elle.

Et même sans remonter aussi loin, l’intellectuelle renvoie Macky Sall a ses propres choix, lors de son arrivée au pouvoir. En particulier, Penda Mbow cite Aminata Touré, nommée en 2012 par Macky Sall à la tête du ministère de la Justice. Une « professionnelle, connue pour son combat pour les droits de l’Homme et nommée pour porter la traque des biens mal acquis ».

L’ancienne fonctionnaire des Nations Unies deviendra Première ministre du Sénégal en 2013, soit 12 ans après Mame Madior Baye, la première femme ayant accédé à la primature au Sénégal.

Des femmes dans les rues de Dakar © © Youri Lenquette pour JA

Des femmes dans les rues de Dakar © © Youri Lenquette pour JA

En matière de parité, le Sénégal fait néanmoins figure de bon élève depuis 2010, date à laquelle le pays a adopté une loi sur la parité. Votée sous la présidence d’Abdoulaye Wade, elle consacre la représentativité des femmes sur les listes électives et les listes de candidatures. Elle rend obligatoire la parité absolue homme-femme sur les listes électorales, sous peine de nullité.

De 22% de femmes présentes sur les bancs de l’Assemblée Nationale en 2007, le Sénégal a bondi à plus de 42% après les législatives de 2012. Aujourd’hui, 41.8% du parlement est féminin, hissant le pays à la onzième place mondiale, selon une étude récente publiée par ONU Femmes et l’Union Interparlementaire (UIP).

Penda Mbow dresse un bilan en demi-teinte de cette loi. « Ce n’est pas tout de mettre des femmes à l’Assemblée : il faut surtout qu’elles puissent changer les choses. La parité n’est utile que si elle permet d’accéder à une transformation en profondeur de la société ».

L’historienne regrette que leur présence dans les instances de décision n’ait pas amélioré la qualité des débats sur la question des droits des femmes, et surtout qu’elle n’aient pas intégré les « luttes historiques du féminisme ».

Au Sénégal, les femmes sont pourtant présentes dans l’espace politique depuis longtemps. En 1963, Caroline Faye Diop a ouvert la voie à la participation des femmes dans les instances électives nationales, en devenant la première députée à siéger sur les bancs de l’Assemblée nationale. Le premier mouvement féministe du pays, « Yewu Yeewi » (« éveiller et (se) libérer », en wolof) a été créé en 1984 par Marie-Angélique Savané. Un mouvement dans lequel militait une certaine Aminata Touré…

Nouvelle génération

Mais ces luttes n’ont pas changé les mentalités dans le pays, selon Penda Mbow. « Le leadership des femmes n’est pas accepté au Sénégal », déplore Penda Mbow, où les hommes rejettent les « fortes personnalités » et les figures féminines trop émergentes.

En 2012, elles étaient deux à se présenter à la course à la magistrature suprême. Cette année, six femmes avaient l’intention de se présenter à l’élection présidentielle du 24 février. Les trois d’entre elles qui déposeront leur dossiers de parrainage seront toutes écartées par le Conseil constitutionnel, comme 17 de leurs adversaires masculins. Au final, pas une femme ne sera en lice pour la course à la magistrature suprême.

Dans les rangs de la nouvelle génération de féministes, la pilule a du mal à passer. La blogueuse Aïsha Dabo, « très déçue » de n’avoir pas vu de femmes candidates à l’élection présidentielle, espérait plus de cette nouvelle équipe gouvernementale : « 40, peut-être 50% de femmes… Macky Sall avait l’opportunité de faire mieux, surtout que ne sont pas les femmes compétentes qui manquaient ».

Renforcer la présence féminine dans son équipe aurait été pour le président « une manière de récompenser les femmes qui ont fait campagne pour lui. On les voyait dans les meetings, se sont elles qui se mobilisaient ! » C’était aussi, estime Aïsha Dabo, le moyen d’envoyer un symbole fort aux jeunes Sénégalaises.

Y en a marre à la traîne

Coordinatrice au sein du mouvement Y en à marre, Astou Faye attend surtout du gouvernement « une meilleure prise en charge des besoins » des femmes, seul moyen selon elle d’accéder à l’indépendance. Au sein même du collectif, elle reconnaît par contre que la présence des femmes reste marginale, au point même qu’elle n’est pas comptabilisée. « Pas moins de 10% », estime-t-elle à la louche. Soit moins que le gouvernement…

Le mouvement, historiquement porté par des figures majoritairement masculines, ne semble pas avoir une politique spécifique en matière de parité, au sein de son bureau ou parmi ses membres.

Plusieurs leaders de Y en a marre ont pourtant décidé récemment de « laisser la place aux jeunes » pour participer au renouvellement démocratique du collectif. Mais il ne semble pas que ce vent de changement ait soufflé dans le sens de plus de parité. « Quoi qu’on en dise, les femmes ne sont pas tellement dans la contestation. Elles ne sont pas très intéressées », répond la militante.

Le mouvement essaie-t-il d’attirer et de promouvoir les femmes dans ses instances dirigeantes et au sein de ses équipes ? « Pas vraiment… mais ça serait peut-être le bon moment », concède Astou Faye.