À la suite des affrontements du 7 avril, les forces de Tripoli ont maintenu leur position à Qasr Bin Ghashir, à une trentaine de kilomètres du centre-ville. Lundi, les forces du Gouvernement d’entente nationale (GNA) ont repris le contrôle de l’aéroport international de la capitale. Comme le rapportent plusieurs médias locaux, les combats entre les deux factions ont fait au moins 27 morts. Plus de 2 200 Libyens ont également fui la zone sud de Tripoli, selon l’UNHCR.
>>> À LIRE – Offensive du maréchal Haftar en Libye : la Tunisie et l’Algérie sur le qui-vive
Beshir Alzawawi, chercheur libyen installé au Royaume-Uni, revient sur les principaux enjeux du conflit en cours.
Jeune Afrique : Khalifa Haftar a lancé son offensive sur Tripoli très rapidement. Quelques jours après le début de l’opération militaire de l’Armée nationale libyenne (ANL), quel regard portez-vous sur la stratégie du maréchal ?
Beshir Alzawawi : Il faut bien comprendre que Haftar est un militaire et n’a qu’une seule stratégie : l’utilisation de la force. Aux premières heures, on a eu l’illusion qu’il était à deux doigts de conquérir la Tripolitaine et de prendre la capitale, comme l’annonçait son discours victorieux. Mais en observant la situation sur le terrain quelques jours plus tard, on se rend compte qu’il y a une différence entre sa propagande et ce qui se passe dans la pratique.
Les forces loyales à Fayez al-Sarraj conservent leurs positions au sud de la ville. La prise de Tripoli n’est pas aussi simple que celles de Benghazi ou de Derna, où le maréchal a bénéficié du soutien des principaux groupes tribaux. Au contraire, en Tripolitaine, on n’est pas en train d’observer une adhésion des tribus au soutien à Haftar.
Pourtant, plusieurs brigades semblaient se tourner vers lui…
C’est plus compliqué que cela. Il faut comprendre que Khalifa Haftar se présente comme le « libérateur de l’Ouest », et il lui suffit qu’une faction d’une ville ou d’un village affiche son soutien à l’ANL pour justifier son avancée. Selon la propagande de son armée, Gheryan, el-Aziziya, Zintan et même les TPS (Tripoli Protection Force) seraient du côté de Haftar. Mais beaucoup de villes sont partagées : soutenir Haftar ne fait pas l’unanimité, au contraire.
Haftar a promis de libérer Tripoli de manière pacifique, mais il est en train de mener une guerre par la violence. Qui souhaiterait l’imposition d’une dictature militaire ?
Prenons l’exemple de Zintan. C’est évident que la ville est partagée : après avoir affiché son soutien au GNA et tenté de repousser l’ANL, un communiqué annonce l’entrée à Zintan des forces de Haftar pour « libérer la ville du terrorisme ». Le maréchal est soutenu par une petite partie des ces villes, et les forces de l’ouest libyen sont en train de le dépasser. Il y a de nombreux groupes armés qui sont également en train de changer de camp. Le maréchal a promis de « libérer » Tripoli de manière pacifique, mais il est en train de mener une guerre par la violence. Quelle ville, milice ou même groupe armée souhaiterait l’imposition d’une dictature militaire dans le pays ?
Qu’en est-il de certaines milices qui semblaient sympathiser avec l’ANL, comme la force Rada ?
C’est vrai que Khalifa Haftar est un allié des salafistes en Libye. Mais pour le moment, la force Rada, une milice d’idéologie salafiste makhdaliste très puissante à Tripoli, n’a aucun intérêt à intervenir en soutien de Haftar à l’intérieur de la capitale. Son caractère salafiste ne fait pas de cette milice un allié systématique de Haftar. Sur le terrain, il n’y a aucune évidence qu’elle prendra position. Comme d’autres groupes armés, cette milice se trouve dans une position instable.
Mais alors, qui soutient Haftar ?
Comprendre qui compose les forces pro-Haftar est fondamental. Le nom de son armée, l’Armée nationale libyenne (ANL), peut être trompeur. Il ne s’agit aucunement d’une force nationale inclusive. L’ANL est composée d’un ensemble de milices, dont les plus dangereuses sont certainement les Makhdalistes. Cette organisation salafiste fidèle est en train de se structurer en Libye et bénéficie du soutien de Khalifa Haftar, qui lui fournit des ressources, des moyens et des armes. C’est très dangereux, car ses membres sont guidés par une idéologie qu’ils n’hésiteront pas à imposer.
>>> À LIRE – Libye : sur quels pays peut compter Khalifa Haftar ?
Au-delà des frontières libyennes, le soutien des Émirats arabes unis à l’ANL de Haftar est de plus en plus évident. Les Émiratis sont en train de se constituer un allié en Libye. Les rapports parlent d’eux-mêmes : le soutien logistique et financier d’Abou Dhabi à Haftar est prouvé, comme l’atteste un rapport de 2017 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui retrace l’origine de plusieurs moyens militaires. C’est un conflit transnational.
Peut-on encore espérer une médiation entre les parties ? La conférence nationale maintenue pour mi-avril a-t-elle toujours du sens ?
Pour l’instant, la tenue d’une conférence nationale sur la Libye n’est pas réaliste. La promesse de Ghassan Salamé n’est plus crédible. Si la Libye est de plus en plus partagée, le processus est désormais entre les mains d’autres acteurs. Une médiation sera envisageable seulement si les forces de Haftar acceptent de se retirer.