Algérie : « Bouteflika a démissionné grâce aux marches populaires, pas à l’armée »

Après le départ du président Bouteflika, nombreux sont ceux qui réclament la démission d’Abdelkader Bensalah, le président du sénat censé assurer son intérim, privilégiant une transition conduite par la société civile. Nora Ouali, membre du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), esquisse pour Jeune Afrique les formes que cette solution pourrait prendre.

Des manifestants à Alger, mardi 2 avril 2019. © Anis Belghoul/AP/SIPA

Des manifestants à Alger, mardi 2 avril 2019. © Anis Belghoul/AP/SIPA

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Publié le 5 avril 2019 Lecture : 5 minutes.

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 1er mars à Alger. © Anis Belghoul/AP/SIPA
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Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie

Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.

Sommaire

Dans les prochains jours, les deux chambres devront se réunir pour désigner Abdelkader Bensalah, actuel président du Conseil de la nation, comme chef de l’État par intérim pour une durée maximale de quatre-vingt-dix jours, suivant l’article 102 de la Constitution. En effet, après la démission du président Abdelaziz Bouteflika, le Conseil constitutionnel a constaté mercredi 3 avril la vacance à la tête de l’État, ce qui laisse présager son remplacement imminent.

Mais une telle alternative n’est pas acceptée par l’ensemble de la classe politique – Ali Ghediri, candidat à l’élection présidentielle reportée, est le seul membre de l’opposition à s’être prononcé ouvertement en faveur d’un vote pro-Bensalah et à demander l’organisation d’une élection présidentielle dans les trois mois à venir.

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>>> À LIRE – Démission de Bouteflika : la transition se fera-t-elle selon la lettre ou selon l’esprit de la Constitution ?

Le 27 février 2019, Nora Ouali s’est fait remarquer lorsqu’en pleine séance parlementaire, elle a appelé au départ du Premier ministre Ahmed Ouyahia et de son gouvernement. Moins de deux semaines plus tard, la parlementaire RCD choisissait, comme l’ensemble des députés de son parti, de quitter son siège à l’Assemblée.

Jeune Afrique : En ce septième vendredi de mobilisation nationale, quel est votre état d’esprit ?

Nora Ouali : Il y a déjà eu six marches grandioses, et nous allons assister ce vendredi à une septième. Le report de l’élection du 18 avril clôt un chapitre de l’autoritarisme qui a instrumentalisé le peuple et lui a volé la victoire contre le terrorisme, mais aussi contre le colonialisme.

Il faut impérativement que l’armée apprenne à se limiter à son rôle sécuritaire. Elle doit laisser la politique aux politiciens

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La contestation initiée le 22 février est le fait de jeunes exaspérés par la hogra [mépris dont fait preuve la classe supérieure]. La mobilisation des citoyens a pour objet non pas de propulser un mouvement politique, mais de contester le système en place. C’est une expression unanime de la volonté de vivre dans une Algérie libre avec une justice, une compétition politique transparente, une alternance. Nous allons donc continuer à marcher à ses côtés pour demander le départ du président du Conseil de la nation Abdelkader Bensalah, du Premier ministre Nourredine Bedoui et du président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaïz.

Comme interprétez-vous l’appel au départ immédiat du président, lancé par l’armée dans la soirée du mardi 2 avril ?

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Certains parlent de coup d’État déguisé. Bouteflika a démissionné, mais pour moi ce n’est pas grâce à l’armée, mais aux marches populaires et à la volonté du peuple. C’est la mobilisation populaire et pacifique qui a eu raison du clan présidentiel. L’armée s’est immiscée dans les affaires politiques. Il faut impérativement qu’elle apprenne à se limiter à son rôle sécuritaire. Elle doit laisser la politique aux politiciens.

Des manifestants à Alger, vendredi 5 avril 2019. © Sidali Djarboub/AP/SIPA

Des manifestants à Alger, vendredi 5 avril 2019. © Sidali Djarboub/AP/SIPA

Votre parti a rejeté la solution constitutionnelle, qui prévoit une élection présidentielle sous quatre-vingt-dix jours. Pourquoi ?

L’abdication annoncée par Bouteflika est la première victoire du mouvement protestataire. Mais le peuple ne demande pas uniquement le départ du président, il veut que le système entier soit dégagé. Mon parti, le RCD, s’est retiré de l’Assemblée car nous rejetons l’ensemble du régime et de ses ramifications. Cette solution se résume à les maintenir, mais sans Bouteflika.

Nous ne pouvons pas aller vers des élections sans une réelle transition. Par le passé, l’exécutif s’est accaparé toutes les institutions de l’État. Nous contestons donc que le président du sénat, Abdelkader Bensalah, soit désigné à la tête du pays pour assurer l’intérim. S’il reste, c’est comme si toutes ces masses populaires qui sont sorties pendant des semaines étaient insignifiantes.

>>> À LIRE – Après le départ de Bouteflika, les Algériens dans la rue pour un septième vendredi consécutif

Il représente le système, lui et ce nouveau gouvernement, qui est aussi illégitime. Nourredine Bedoui, qui est à sa tête, a déjà été ministre de l’Intérieur. Il a donc assuré l’organisation d’élections frauduleuses. On ne peut lui faire confiance en cette période de transition.

Ceux qui prônent cette option argumentent en mettant en avant la constitutionnalité de cette réponse. Mais cette Constitution, ils l’utilisent quand ils veulent. Ils l’ont amendé plusieurs fois et à leur guise. Elle est donc elle aussi illégitime.

Quelle alternative proposez-vous ?

Nous avons demandé la démission du chef de l’État, cela a été réalisé. Seulement, nous avions soutenu qu’avant d’annoncer cette décision, il se devait de renvoyer le gouvernement actuel et de procéder à la dissolution des deux chambres, mais aussi du Conseil constitutionnel. Une option pour laquelle il n’a pas opté au moment de son départ, donc nous continuons d’appeler à cette solution.

Après s’être débarrassé de toutes ces institutions relatives à l’ancien régime, nous proposons la création d’une Haute instance qui sera chargée de la transition. Elle sera composée de trois personnes issues exclusivement de la société civile, âgés au maximum de 60 ans et qui seront élus par trois grandes corporations : la magistrature, l’enseignement supérieur et les syndicats autonomes. Ce trio aura pour rôle d’incarner la fonction présidentielle, de débattre avec les partis politiques et syndicalistes, et s’assurera aussi de l’écartement de l’armée de la politique.

Un civil nommé ministre de la Défense de plein exercice sera chargé de la sécurité et de l’intégrité du pays

Cet organe aura pour mission l’écriture de la nouvelle Constitution, qui sera ensuite soumise à un référendum populaire, ainsi que la désignation d’un gouvernement de salut national. Ce gouvernement sera composé de compétences nationales, à l’exception de toute personne ayant des attaches partisanes, et aura pour rôle de gérer les affaires courantes. En son sein, un civil nommé ministre de la Défense de plein exercice sera chargé de la sécurité et de l’intégrité du pays.

Une instance indépendante nationale sera également chargée de l’organisation des élections. Elle sera présidée par une personnalité indépendante du gouvernement. Elle sera principalement chargée d’établir un fichier électoral incontestable, et de définir les modalités du déroulement du scrutin du début jusqu’à la proclamation des résultats, qui seront de son seul ressort. Elle devra aussi élaborer une loi électorale qui sera soumise à référendum le même jour que la nouvelle Constitution. Cette période de transition s’achèvera par la tenue d’élections législatives et présidentielle.

Spécial Algérie © Jeune Afrique

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