C’est un rappel à l’ordre qui a fait beaucoup réagir. Samedi 30 mars, Ernest Kabila, directeur général de la Radio-télévision nationale congolaise (RTNC), et Jean-Marie Kassamba, directeur général de Télé 50, une chaîne de télévision privée proche du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, ont été convoqués par Jean-Pierre Mbombo Tshibi, directeur du Département de la sécurité intérieure de l’Agence nationale de renseignement (ANR/DSI). Au même moment, le signal de Télé 50 a été coupé, avant d’être rétabli quelques heures plus tard sans plus d’explication.
Ce dernier leur a enjoint de réduire le nombre de passages à l’écran de l’ancien chef de l’État, jugeant « exagérée » l’ampleur de la diffusion d’images de Joseph Kabila. « Le directeur Mbombo m’a demandé pourquoi je continuais à diffuser les images de Joseph Kabila. Il m’a dit : “Il faut que ces images soient extirpées de l’antenne” », rapporte Jean-Marie Kassamba.
« Mise au point » de Justin Inzun Kakiak
Une source de Jeune Afrique au sein de l’ANR confirme que l’objectif de cette réunion était bel et bien d’obtenir une limitation de la diffusion d’images de l’ancien président congolais. « Il s’agit de faire taire cette confusion, au sein de l’opinion publique, entre le vrai président et l’ancien », nous explique ce cadre, sous couvert d’anonymat.
Cette convocation a suscité un véritable tollé, notamment sur les réseaux sociaux où des militants des droits de l’homme ont crié à la censure et dénoncé une « usurpation de pouvoir ». Visiblement décidé à éteindre la polémique, le nouveau patron de l’ANR, Justin Inzun Kakiak – qui a succédé le 19 mars dernier au très redouté et décrié Kalev Mutond –, a organisé une nouvelle réunion « de mise au point », mercredi 3 avril, à laquelle a notamment participé Jean-Marie Kassamba.
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Georges Kapiamba, coordonnateur de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), a également assisté à cette réunion, à l’issue de laquelle l’ONG congolaise a diffusé un communiqué affirmant que « après échange, il s’est dégagé que ces allégations, imputées à l’ANR, ne sont pas fondées ».
« L’ACAJ encourage vivement les responsables de l’ANR à poursuivre ce genre d’échanges, en vue de contribuer à la protection des droits et libertés fondamentaux des citoyens en RDC », ajoute par ailleurs Georges Kapiamba, qui prend garde à ne pas attaquer directement la présidence depuis l’investiture de Félix Tshisekedi.
Mais si elle a pris officiellement acte des dénégations de Justin Inzun Kakiak, qui a réfuté que l’ANR ait souhaité faire pression sur les deux médias télévisuels, des sources au sein de l’ONG se montrent plus prudentes.
Contacté par Jeune Afrique, Jean-Marie Kassamba n’a pas souhaité rapporter la teneur des discussions qui ont eu lieu lors de la rencontre avec le patron de l’ANR, se contenant de déplorer, amer, que « certains individus veulent semer la confusion, alors que l’entente est bonne entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi ».
La guerre des images et le débat sur le « vrai président »
Télé 50, la chaîne que ce proche de l’ancien pouvoir dirige, est née en 2010 avec pour ligne éditoriale affichée de « promouvoir la bonne image du pays et des institutions ». Si la moindre sortie publique de Joseph Kabila y tourne systématiquement en boucle, celles de Félix Tshisekedi sont aussi régulièrement diffusées, depuis son investiture.
C’est le cas également à la RTNC qui couvre de plus en plus les différentes sorties publiques du président de la République Félix Tshisekedi. Mais difficile de faire l’impasse sur Joseph Kabila, argue un haut responsable de la chaîne, sous couvert d’anonymat. « Joseph Kabila reste incontournable au regard de son positionnement comme autorité morale du FCC, qui est la plateforme majoritaire dans toutes les assemblées », souligne-t-il.
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Derrière cette guerre des images, c’est en réalité tout le débat autour du « vrai chef de l’État » qui resurgit. Martin Fayulu, actuellement en tournée en Europe et aux États-Unis, ne cesse de revendiquer la victoire, au nom de son combat « pour la vérité des urnes ».
« Joseph Kabila contrôle tout, Félix Tshisekedi n’est qu’un masque », martèle-t-il en toutes occasions. Affirmations rejetées de concert par le Front commun pour le Congo (FCC, de Kabila) et Cap pour le Changement (Cach, de Tshisekedi), qui forment ensemble une « coalition gouvernementale », et continuent d’affirmer que Félix Tshisekedi est bien le seul à diriger le pays.