
Un drapeau algérien sur la place de la République à Paris, dimanche 17 mars 2019 (photo d'illustration). © Rafael Yaghobzadeh/AP/SIPA
La nouvelle ère politique qui s’ouvre en Algérie à la suite de la démission mardi 2 avril du président Bouteflika, aux commandes du pays depuis vingt ans, permettra-t-elle d’accélérer la diversification de l’économie afin de réduire la dépendance aux hydrocarbures ? Éléments de réponse avec l’économiste El Mouhoub Mouhoud.
Après vingt ans de règne, Abdelaziz Bouteflika n’est plus le président de l’Algérie. Il laisse derrière lui un pays enfermé dans une économie de rente, n’ayant pas su se diversifier. Au-delà de la dimension politique, les Algériens attendent désormais une réforme du système économique.
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Dans un rapport sur l’économie algérienne – « Contribution à la vision Algérie 2035 », mars 2018 – El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine, spécialiste des questions économiques internationales et des relations euro-méditerranéennes, avait fait une série de propositions pour réformer l’économie, favoriser l’employabilité et préparer l’après-hydrocarbures. Interview.
Jeune Afrique : Quelle est la situation économique et sociale de l’Algérie après vingt ans de pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika ?
El Mouhoub Mouhoud : Les tares d’une économie rentière se sont aggravées. Elle n’a jamais su se diversifier, ce qui a fait reculer la part de l’industrie (4 %) et de l’agriculture (8 %) dans le Produit intérieur brut (PIB). Abdelaziz Bouteflika a mené une politique qui a conduit à l’effondrement de la confiance dans le gouvernement et la détérioration de l’impression de sécurité économique des Algériens. Cette rupture était prévisible depuis plusieurs années.
Cependant, il y a eu de grandes avancées en matière d’éducation, la part du pourcentage des dépenses publiques afférentes ayant doublé entre le début des années 2000 et aujourd’hui. Par ailleurs, l’État a beaucoup subventionné les consommations depuis 2011 (30 % du PIB entre 2012 et 2014) ainsi que l’enrôlement dans l’enseignement supérieur, qui a augmenté de plus de dix points entre 2011 et 2016, passant [selon les données de l’Unesco] de 30 % à 42 % d’une classe d’âge.
Si l’objectif était d’obtenir la paix sociale, ces efforts se sont toutefois concentrés sur la quantité et non la qualité, comme l’illustre le très mauvais score international de l’Algérie en matière de qualité de l’éducation, notamment dans l’enquête PISA [où elle s’est classée à l’avant-dernier rang des 72 pays].
En deux décennies, l’économie algérienne ne s’est-elle pas diversifiée ?
L’économie algérienne est composée de trois secteurs. D’abord, les ressources proviennent essentiellement des hydrocarbures, qui représentent environ 35 % du PIB, 72 % du budget de l’État et environ 98 % des recettes extérieures. En période de boom, l’argent afflue vers l’État qui le redistribue de manière clientéliste, en particulier ces dernières années, sous forme d’aides à la consommation et de subventions.
Ce secteur rentier est prédominant dans l’économie. Les revenus proviennent massivement de l’extérieur et sont sensibles aux fluctuations du marché mondial, et la rente est distribuée de manière plus ou moins discrétionnaire, au lieu d’être réinjectée dans l’investissement.
L’industrie manufacturière a reculé pour laisser place à un troisième secteur : celui des biens non échangeables
Le deuxième secteur, celui des importations (un tiers du PIB), est un secteur improductif qui nourrit également les relations de clientélisme entre l’État, le clan au pouvoir et les entreprises connectées à ce clan.
Enfin, l’industrie manufacturière a reculé pour ne représenter plus que 5 % du PIB, et laisser place à un troisième secteur : celui des biens non échangeables (service, construction, bâtiment). Ce dernier représente l’essentiel de l’économie et fait que l’Algérie a le taux de participation de la force de travail le plus bas du monde – comme les autres pays rentiers d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – et un taux de chômage des diplômés extrêmement élevé.
Au-delà de la dimension politique, les problèmes économiques ont-ils contribué à nourrir la révolte algérienne ?
Une partie non négligeable de la population n’a pas été prise en compte par le système, en particulier la jeunesse. Dans les zones rurales, où le taux de chômage avoisine parfois les 80 %, la situation est encore plus grave. Les gens sont acculés et assignés à résidence, car le coût du logement est absolument prohibitif dans les villes. Même en ayant un emploi, l’accès au logement dans les grandes agglomérations comme Alger est très difficile pour les jeunes, car le loyer absorberait leur salaire immédiatement.
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Une croissance forte dépend de la fluctuation des hydrocarbures, mais peut aussi exclure une grande partie de la population : beaucoup de jeunes diplômés sont au chômage, acculés au déclassement interne ou à l’immigration forcée. L’Algérie, comme les autres pays de la région, a un taux d’expatriation des qualifiés anormalement élevé par rapport à son revenu par tête : presque deux fois plus élevé que les autres pays à revenu intermédiaire. On assiste également à des phénomènes de « harraga » [migrants « brûleurs de frontières »], dont certains ont trouvé la mort en tentant de quitter l’Algérie par bateau. Ces épisodes ont été choquants et violents pour la mémoire collective.
Quelles sont les conséquences économiques de l’implication de l’armée dans la vie politique algérienne ?
La démission d’Ali Haddad de la présidence du Forum des chefs d’entreprises (FCE), composé d’entreprises extrêmement connectées au pouvoir, puis son arrestation, sont l’une des conséquences de l’implication directe de l’armée dans l’économie. Il faut toutefois rappeler que l’armée a toujours été présente dans ce système, issu de deux héritages : la colonisation [avant l’indépendance, la part des importations dans le PIB était déjà de 67 % du PIB] et la période de planification quasi soviétique de l’économie, quand les activités étaient gérées en grande partie par l’État.
Le fait que l’armée se trouve aujourd’hui au premier plan, comme à chaque fois qu’il y a une crise, aura peu d’impact sur l’économie
Lors de la période de privatisation des années 1980-1990, l’armée a également été un relais dans les affaires. Jusqu’à présent, elle était un « régime autoritaire derrière la démocratie ». Elle se trouve aujourd’hui au premier plan, comme à chaque fois qu’il y a une crise. Mais selon moi, cela aura peu d’impact sur l’économie.
D’après vous, le système peut-il être réformé afin de sortir de la dépendance aux hydrocarbures ?
L’Algérie n’est pas le Venezuela. Le pays bénéficie toujours de 80 milliards de dollars de réserves de change et d’un taux d’endettement international encore bas – même si le déficit public de 15 % du PIB enregistré ces dernières années peut être catastrophique à moyen terme. Il reste donc des marges de manœuvre pour réformer l’État en profondeur.
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S’il n’y a pas de dilapidation des ressources de l’économie et de fuite des capitaux, il pourrait y avoir une transition politique douce qui se traduise par une transition économique forte, et pourrait être financée aisément grâce à ces réserves de changes, mais aussi aux bénéfices liés aux résultats futurs et à la mise en place d’un véritable fonds. Il existe vraiment des possibilités pour initier des politiques stratégiques, des diversifications dans lesquelles l’État pourrait jouer un rôle de coordonnateur, et non pas d’intervenant direct.
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