
Abdelaziz Bouteflika, le 9 avril 2018 à Alger. © REUTERS/Ramzi Boudina
La démission d’Abdelaziz Bouteflika de son poste de président, dans la soirée du mardi 2 avril 2019, marque la fin de vingt ans de règne. Elle fait suite à un énième coup de pression de l’armée algérienne, survenu quelques minutes plus tôt, et qui confirme le poids de cette institution dans les jeux de pouvoir algériens.
La requête de l’armée algérienne a été satisfaite en un temps record : quelques minutes seulement après l’appel formulé par l’état-major, dans un communiqué rendu public mardi soir, à « appliquer immédiatement » les articles 7, 8 et 102 de la Constitution, prévoyant la destitution du président, Abdelaziz Bouteflika a demandé au Conseil constitutionnel de mettre fin à son mandat.
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La veille, un texte diffusé par la présidence annonçait pourtant que le chef de l’État s’engageait à quitter la présidence avant le 28 avril. Ce départ anticipé est donc loin d’être le fruit du plein gré d’Abdelaziz Bouteflika. Si cela ne tenait qu’à lui, il serait resté au pouvoir sous une forme ou une autre.
Ce départ ne doit pas être lu comme un acte politique motivé par l’intérêt du pays, mais plutôt comme une conséquence de l’ultimatum lancé par l’armée et motivé par la pression de la rue algérienne. Car cette démission n’aurait pas été possible sans le mouvement populaire inédit qui dure depuis le vendredi 22 février. Dans son communiqué, l’armée rappelle ainsi son « alignement total sur les revendications populaires ».
La grande muette « prend ses responsabilités »
Cet ultimatum fait suite aux appels répétés du chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, à appliquer l’article 102 pour ouvrir la voie à la destitution du président. « Malheureusement, cette démarche a été accueillie par l’entêtement, la tergiversation et la sournoiserie de certains individus qui œuvrent à faire perdurer la crise et la rendre plus complexe, avec comme seul souci la préservation de leurs intérêts personnels étroits, en se souciant que peu des intérêts du peuple et de l’avenir du pays », a estimé mardi soir la grande muette.
Si l’armée déclare aujourd’hui vouloir ‘assumer ses responsabilités dans le respect de la volonté populaire’, le caractère tardif de cet aveu pourrait lui être reproché
« Alors que le peuple algérien attendait avec impatience la satisfaction de ses revendications légitimes, parut en date du 1er avril un communiqué attribué au Président de la République, alors qu’en réalité il émanait d’entités non constitutionnelles et non habilitées, ayant trait à la prise de décisions importantes concernant la phase de transition », poursuit-elle.
L’Armée nationale populaire (ANP) reconnaît ici explicitement que le pouvoir a été exercé de manière usurpée, et qu’elle se trouve dans l’impossibilité de reconnaître les décisions qui sont prises au nom du chef de l’État, car elle ne saurait déterminer leur réelle provenance. L’institution militaire reconnaît donc l’existence d’un pouvoir parallèle et occulte en Algérie – ce que l’opposition dénonce depuis 2013. Si l’armée déclare aujourd’hui vouloir « assumer ses responsabilités dans le respect de la Constitution et de la volonté populaire », le caractère tardif de cet aveu pourrait lui être reproché par une partie des Algériens.
Stratégie progressive
Le premier appel à l’application de l’article 102 de la Constitution, datant du 26 mars, a été lancé personnellement par Ahmed Gaïd Salah, à travers ce texte, tout en citant ce dernier à plusieurs reprises. Cette fois, l’armée s’est exprimée au nom de l’institution.
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En effet, ce communiqué a été diffusé à l’issue d’une réunion, au siège de l’état-major, entre les hauts responsables militaires – les commandants de forces, les commandants des régions militaires, le secrétaire général du ministère de la Défense nationale et les chefs des deux départements de l’état-major.
La réactivité de Bouteflika prouve encore une fois que lorsque l’Algérie connaît une crise au plus haut sommet de l’État, l’opinion de l’armée est décisive – celle-ci tenant à réaffirmer son respect du cadre constitutionnel. Alors que le pays craignait un coup d’État, le ministère a choisi d’effectuer d’abord quelques sommations en appelant à plusieurs reprises au départ de Bouteflika, avant de finalement asséner le coup de grâce ce mardi 2 avril.
Enquêtes judiciaires en cours (et à venir ?)
Plus loin dans le texte, le ministère de la Défense nationale évoque les « vastes opérations de pillage et de dilapidation qu’a connues notre pays, ciblant ses potentiels et ressources économiques et financières ». ll rapporte que le chef d’état-major « s’est interrogé sur les moyens qui ont permis à cette poignée de personnes d’amasser des richesses immenses par des voies illégales et dans un court laps de temps, en toute impunité », et rappelle que des enquêtes judiciaires sont en cours.
Si l’armée reconnaît l’existence d’un système de gouvernance parallèle, tous ceux qui y ont contribué devraient être poursuivis
Le parquet général d’Alger a ouvert récemment des enquêtes préliminaires pour corruption et transferts illicites de capitaux vers l’étranger. 12 hommes d’affaires sont désormais interdits de sortie de territoire, dont l’ex-patron des patrons Ali Haddad, proche du camp Bouteflika arrêté dans la nuit du samedi 30 au dimanche 31 mars à la frontière algéro-tunisienne.
Ce réquisitoire très sévère des militaires pousse à se demander s’il n’est pas exclu que ces mêmes enquêtes s’étendent à la sphère politique. En reconnaissant l’existence d’un système de gouvernance parallèle, l’armée ouvre la porte à la poursuite de tous ceux qui y ont contribué.

Le général Ahmed Gaïd Salah à l’académie militaire Houari-Boumédiène de Cherchell, en juillet 2018 (image d’illustration). © Anis Belghoul/AP/SIPA
De quoi demain sera-t-il fait ?
« Nous sommes convaincus qu’aussi longtemps qu’une personne vive, elle est appelée à disparaître un jour, mais la patrie vivra éternellement », conclut le communiqué du ministère.
Le 2 avril 2019 pourrait bien être la date de fin du système Bouteflika, cerpendant, la grande question qui subsiste pour l’Algérie est de savoir de quoi demain sera fait. Une situation qui évolue d’heure en heure depuis plusieurs semaines rend la réponse quasi impossible.
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Selon la Constitution, c’est le président du Conseil de la nation (chambre haute du Parlement), Abdelkader Bensalah, 77 ans, qui assurera l’intérim durant une période maximale de quatre-vingt-dix jours, au cours de laquelle une élection présidentielle doit être organisée. Mais cette option peut être largement rejetée par la rue. Bensalah, à la tête de cette institution depuis dix-sept ans, est loin de faire l’unanimité pour mener une telle transition.
L’ampleur et la tonalité de la mobilisation de vendredi, devenu jour national de manifestations, pourraient être un premier indicateur. De nouvelles marches qui seront assurément l’occasion de fêter la satisfaction des revendications de la rue, comme l’ont déjà exprimé les nombreux Algériens qui sont sortis spontanément mardi pour célébrer à leur manière la démission du président.
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