Né à Sousse, de mère anglaise et de père tunisien il y a 31 ans, Taieb Ben Sghaier, chargé d’affaires pour les ventes Moyen-Orient-Afrique, a passé son enfance en Tunisie, avant de faire des études en aérospatiale Stuttgart et Crownfield (Royaume-Uni) en mécanique des fluides et en turbo-réacteurs.
Entré chez Rolls-Royce en 2013, il est désormais installé à Abu Dhabi, où le motoriste a ouvert très récemment son centre de service clients qui couvre l’Afrique et le Moyen-Orient. Il évoque pour Jeune Afrique la stratégie du célèbre motoriste britannique alors que les nouveaux Airbus A330 neo (exclusivement motorisés par Rolls Royce) ont fait leur première rotation dans le ciel africain, chez Air Sénégal et Air Mauritius, avec la volonté d’accroître sa présence en Afrique de l’Ouest.
Jeune Afrique : Comment Rolls-Royce commercialise-t-il ses moteurs ?
Taieb Ben Sghaier : En 1997, on a changé notre modèle de services. Nous sommes désormais rémunérés au prorata du nombre d’heures de vols, en fonction d’un taux en dollars, et nous assurons la maintenance pour permettre aux compagnies aériennes d’opérer sans interruption.
Comment envisagez-vous l’évolution de vos activités au cours des prochaines années ?
Il y a aujourd’hui 4 000 moteurs Rolls-Royce sur les appareils longs-courriers dans le monde. En 2025, ils seront 8 000. Notre expertise se concentre sur le marché du long-courrier, sur lequel on a doublé notre production pour atteindre 500 moteurs par an, et notre carnet s’étend bien au-delà de 2025.
En Afrique, 60 avions sont motorisés par Rolls Royce et une quarantaine sont en commande avec des clients comme Air Sénégal, Rwandair, Air Tanzania avec deux Dreamliner, Uganda Airlines qui rentrent tous sur le marché du long-courrier. C’est ce dernier marché qui nous intéresse principalement aujourd’hui, celui des Airbus A330neo, des A350 et des Boeing 787. Sur les trois dernières années, nous en avons livré 10.
Il y aura mille appareils à livrer, sur le continent tous types confondus, dans les vingt prochaines années, avec une proportion de 700 monocouloirs et 300 gros porteurs.

L'A330neo d'Air Sénégal. © Airbus
Certaines zones vous apparaissent-elles plus dynamiques que d’autres ?
La croissance est visible partout sur le continent. Les économies d’Afrique du Nord, qui avaient pris un peu de retard, sont en train de repartir. Nous avons notamment reçu des nouvelles commandes pour les 787 d’Egyptair, une compagnie avec laquelle nous opérons en outre un site de maintenance au Caire, où nous faisons l’assemblage et le désablemblage de modules de moteurs.
Si l’Ethiopie sera en 2019 notre plus grand client en Afrique, en termes de nombre d’avions*, c’est l’Afrique de l’Ouest qui a le plus grand potentiel d’expansion, notamment si une compagnie aérienne leader émerge au Nigeria. Pendant ce temps, des hubs se forment au Togo, en Côte d’Ivoire. Mais l’Afrique de l’Ouest est aussi le marché que nous avons le plus de mal à appréhender, car il n’y a pas encore de compagnie en termes de nombre d’avions, comme Ethiopian l’est à l’Est.
L’Éthiopie est en train d’émerger grâce à sa compagnie aérienne. L’aviation est un moteur du développement d’un pays, surtout quand il est enclavé, et certains ont compris qu’il fallait se relier aux pays qui investissent beaucoup comme la Chine. Reste que sur le continent, les coûts freinent le marché. La taxation des vols et du carburant est très élevée en Afrique.
La santé des compagnies aériennes est peut-être plus fragile en Afrique qu’ailleurs. Comment prenez-vous cela en compte ?
Nous proposons différents niveaux de service. Notre système de maintenance permet de faire de nos produits de bons investissements pour les compagnies de leasing tels que LessorCare, qui représentent aujourd’hui plus de 30 % de notre clientèle. Ces dernières peuvent bénéficier de services dédiés, notamment pour faciliter le transfert d’un moteur d’une compagnie aérienne a une autre.
La reprise des cours du baril change-t-elle votre stratégie ?
Cela favorise la vente de nouveaux produits, que nous pouvons développer grâce au milliard de livres sterling (1,17 milliard d’euros) consacré chaque année à la recherche et au développement. Notre moteur Trent 7 000 a ainsi une consommation en carburant de 10 % inférieure au Trent 700. Ultrafan, notre futur moteur, encore en développement, permettra encore 25 % d’économies en carburant par rapport au Trent 700.
Le Brexit aura-t-il des conséquences sur vos activités en Afrique ?
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On suit cela de près. Notre chaîne de production n’est pas qu’européenne, elle est globale. Nos pièces de moteurs viennent de partout dans le monde. Nous veillons à n’avoir aucun retard de production, à avoir un plus grand inventaire de nos pièces, dont on sait qu’elles pourraient être touchées par des retards dus au Brexit. Toutes les entreprises en Angleterre font la même chose.
Au niveau de l’assemblage de nos moteurs et de la livraison finale, on a un site à Berlin, siège de Rolls Royce Allemagne. Si on voit que le Brexit pose problème au niveau de la taxation, il nous sera possible de faire l’assemblage final en Allemagne, pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de retard dans les livraisons.
*Entretien réalisé avant la catastrophe aérienne du 10 mars dernier d’Ethiopian Airlines