Économie

Ghana : après la fin du programme du FMI, des finances publiques à surveiller

Alors que la dette crevait le plafond, le Ghana n’a eu d’autre choix, en 2015, de se tourner vers le FMI pour redresser la barre, avec un programme qui a pris fin le 20 mars dernier et que Nana Akufo-Addo n’a pas souhaité renouveler. Si les indicateurs macroéconomiques sont presque revenus à la normale, il reste du chemin à parcourir, alors que l’approche de l’élection présidentielle laisse présager d’importantes dépenses.

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Par - à Accra
Mis à jour le 27 mars 2019 à 12:48

Nana Akufo-Addo lors d’une visite d’État au Japon, le 11 décembre 2018 © Shohei Izumi/AP/SIPA

« On revient de loin », souffle Peter Quartey, professeur à l’institut de recherches statistiques, économiques et sociales de l’Université du Ghana. « Et même si beaucoup de travail a été accompli, on ne pourra juger du programme du FMI qu’à la fin de l’année 2020. »

Vu l’histoire récente du Ghana, l’économiste préfère rester prudent : « FMI ou pas, chaque année électorale, nous dépensons trop, sans penser aux conséquences. Le Ghana est un pays où il y a deux partis majeurs (le Nouveau parti patriotique, NPP, au pouvoir, et le Parti national démocrate, NDP, opposition, ndlr). Alors la tentation est grande, pour l’équipe au pouvoir, de dépenser pour gagner des votes. » Les Ghanéens éliront le successeur de Nana Akufo Addo en décembre 2020…


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Le 20 mars dernier, le Fonds monétaire international (FMI) annonçait la fin de son programme de facilité de crédit prolongé (FEC) au Ghana, après le succès de ses 7e et 8e révisions, conduites en février 2019, qui ont permis de débloquer les 185 millions de dollars d’aides restant.

Une loi de responsabilité fiscale

Depuis 2015, le Ghana a reçu 926 millions de dollars de la part du FMI. « C’est une étape importante qui vient d’être franchie » tient à souligner le représentant du FMI à Accra, le docteur Albert Touna Mama. Et depuis le début du programme en 2015, le pays a redressé la barre. De 17 %, l’inflation est passée sous la barre des 10 %. Le déficit est à 3,7 % du PIB.

Pour la deuxième année consécutive, le Ghana a réussi à dégager un excédent primaire. « Il est juste de penser que jamais le pays n’a été aussi bien équipé pour maintenir une discipline fiscale », juge le représentant de l’institution de Bretton Woods. Depuis fin 2018, une loi de responsabilité fiscale interdit le déficit de dépasser 5 % du PIB. Et depuis le début de l’année, le pays s’est doté d’un conseil de discipline fiscale et d’un conseil de stabilité financière.

Si Albert Touna Mama préfère voir le verre à moitié plein, il n’occulte pas les défis qu’il reste à relever. Le programme FEC a pris fin, mais tous les objectifs n’ont pas été remplis. « Nous classons toujours le Ghana parmi les pays à fort risque de surendettement. Mais sans les deux chocs que le pays a dû traverser en 2016 et en 2017, le tableau serait sûrement différent », continue le représentant du FMI.

Des autorités faibles dans l’application des règles fiscales

Mais si les indicateurs macroéconomiques se redressent, cela ne se traduit pas par une amélioration au quotidien. « Le mécanisme de transfert des bons chiffres macroéconomiques vers de la création d’emplois et une amélioration des conditions de vie n’a pas encore eu lieu au Ghana, regrette Peter Quartey. Il y a du mieux, mais nous attendons plus ». En outre, l’inflation, si elle est maîtrisée, pourrait encore diminuer. Et le cours du Cedi demeure instable – il a chuté de 17 % par rapport au dollar américain cette année.

« Il a fallu entièrement nettoyer le système financier et bancaire. Cela a coûté énormément d’argent, mais il fallait le faire. Et puis il a fallu corriger les dérapages budgétaires de 2016 [autre année électorale, NDLR], qui ont conduit à étendre le programme d’une année supplémentaire », rappelle Albert Touna Mama, pour qui « il faut faire plus ». « Nous pensons que la clé demeure dans la mobilisation des revenus domestiques. Cela aiderait beaucoup à ne pas trop s’appuyer sur la dette ».


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Et c’est là que le bât blesse, pour Dr. Said Boakye, chercheur à l’institut d’études fiscales (IFS). Selon lui, trois facteurs principaux freinent l’augmentation des revenus domestiques : « Depuis plusieurs années, les autorités sont apparues faibles, lorsqu’il s’est agi d’appliquer les règles fiscales en vigueur et de collecter l’impôt. Ensuite, les revenus domestiques dépendent de la croissance. Or la croissance a atteint des taux historiquement bas depuis 2013. Et même aujourd’hui, elle est portée par le secteur pétrolier, ce qui peut être trompeur. Enfin, des exemptions de taxes trop importantes sont distribuées à certaines entreprises pétrolières et minières ». Dans le budget 2019, le gouvernement ghanéen s’est engagé à corriger ces problèmes.

Des politiques créatrices d’emplois

Après la découverte de gisements pétroliers au début de la décennie, les responsables politiques se sont un peu trop reposés sur cette possible manne pour emprunter plus que de mesure. « Les politiques ont promis beaucoup de choses », se souvient Peter Quartey. Et aujourd’hui, l’administration du président Nana Akufo Addo se retrouve coincée entre deux exigences qui pourraient paraître irréconciliables. D’un côté, la nécessité de maintenir le cap budgétaire. Et de l’autre, la pression populaire.

Pour Peter Quartey, les deux ne sont pas irréconciliables. « Si seulement 70 % de ce qui a été budgétisé pour 2019 est accompli, les Ghanéens seront contents. Nous parlons de projets d’infrastructure massifs, qui vont être en mesure de générer de l’emploi, de la stratégie d’industrialisation en 10 points’’, ou encore du programme planting for food and jobs. Ces politiques, si elles sont financées, seront en mesure de créer de l’emploi, de l’investissement, tout en restant dans les clous du FMI », espère l’universitaire.

Avec le programme One distric, One factory, le gouvernement s’est notamment donné pour objectif de construire une usine dans chacun des 216 districts ghanéens.

Vers des obligations à maturité record

Ces leviers politiques s’inscrivent dans le programme phare de la présidence « Ghana beyond Aid », que Nana Akufo Addo met en avant lors de chaque rencontre diplomatique. Lors de la visite d’Emmanuel Macron à Accra en 2017, le président ghanéen avait déclaré : « Nous ne pouvons plus maintenir une politique pour nos pays et région qui se fonde sur le soutien de l’Occident. Cela n’a pas fonctionné et ne fonctionnera jamais ».


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L’administration ghanéenne a en conséquence décidé de se tourner plutôt vers le marché de la dette, et a d’ailleurs émis, le 19 mars, une obligation à trente-et-un ans, sur-souscripte sept fois, ce qui a permis à Accra de ramener à 8,95 % le taux d’intérêt du coupon, initialement prévu à 9,5 %, a relevé le Financial Times. Les deux tiers de cet argent seront affectés à des projets d’infrastructure, le reste servant à apurer les dettes échues du gouvernement.

Dans la foulée, les autorités ghanéennes ont annoncé leur intention d’émettre une obligation à cinquante ans, une maturité encore jamais proposée pour la dette souveraine d’un pays africain. L’ambition première du gouvernement – une obligation de cent ans – a donc été tempérée : « Il semble que le mot «siècle» soit une zone interdite, même si les investisseurs ont manifesté leur confiance à long terme envers notre économie et ce que nous essayons de faire », a confié Charles Adu Boahen, vice-ministre ghanéen des Finances, au Financial Times.