Algérie : « La tournée diplomatique de Lamamra signe l’échec de la solution politique »

Le vice-Premier ministre algérien, Ramtane Lamamra, a entamé une intense tournée diplomatique avec pour mission de convaincre les partenaires étrangers du bien-fondé du plan d’action d’Abdelaziz Bouteflika et de rassurer sur la situation en Algérie. Pour le politologue Adlene Mohammedi, il s’agit du « degré zéro de la diplomatie ».

Ramtane Lamamra, le ministre des affaires étrangères algérien, en 2019. © Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA

Ramtane Lamamra, le ministre des affaires étrangères algérien, en 2019. © Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA

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Publié le 20 mars 2019 Lecture : 6 minutes.

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 1er mars à Alger. © Anis Belghoul/AP/SIPA
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Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie

Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.

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Après l’Italie et la Russie, c’était au tour de l’Allemagne d’accueillir l’émissaire Ramtane Lamamra, ce mercredi. Il a été reçu par le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, en compagnie du conseiller diplomatique d’Angela Merkel. Le dirigeant algérien est venu présenter aux gouvernements étrangers son plan d’action pour sortir l’Algérie de la crise, tout en voulant rassurer sur la continuité des accords avec les différents partenaires internationaux.

« Ceux qui observent de loin notre réalité ont le sentiment qu’il se développe une situation potentiellement porteuse de risque », a-t-il déclaré à l’agence de presse algérienne APS lors de sa visite à Rome, lundi, avant d’affirmer que « l’Algérie, connue pour être exportatrice de paix, de sécurité et de stabilité, rassure ses partenaires internationaux sur le fait que ce moment privilégié de notre histoire est un moment qui se passe en famille ».

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Mais derrière le leitmotiv de l’apaisement et la volonté affichée de rassurer, cette tournée diplomatique est en elle-même une rupture dans les pratiques habituelles de la diplomatie algérienne. Adlene Mohammedi, docteur en géographie politique, décrypte pour Jeune Afrique la stratégie du pouvoir derrière ces visites, et la portée que ces dernières pourraient avoir dans le pays.

Jeune Afrique : Est-ce dans les coutumes de la diplomatie algérienne d’enchaîner les rencontres de ce type avec des gouvernements étrangers ?

Adlene Mohammedi : Tout est assez singulier dans la situation actuelle. Lamamra, qui avait été légèrement écarté du gouvernement algérien en 2017, a été rappelé pour occuper un poste qui a été conçu sur mesure pour lui, celui de vice-Premier ministre.

Les Algériens portent un drapeau national géant lors d'une manifestation à Alger, en Algérie, le vendredi 15 mars 2019 (photo d'illustration). © Toufik Doudou/AP/SIPA

Les Algériens portent un drapeau national géant lors d'une manifestation à Alger, en Algérie, le vendredi 15 mars 2019 (photo d'illustration). © Toufik Doudou/AP/SIPA

Plus l’étau se referme à l’intérieur, plus la stratégie gouvernementale tend vers l’extérieur

Cette mise en avant de Lamamra, qui jouit d’une certaine notoriété à l’international, mais aussi celle de Lakhdar Brahimi, qui avait été pressenti pour la présidence de la conférence nationale – deux diplomates et négociateurs – , ne pouvaient être qu’à destination des gouvernements étrangers.

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La réponse à cette crise politique a, dans un premier temps, été donnée sur le plan intérieur. Le pouvoir algérien a commencé par proposer des réformes politiques. Mais celles-ci reposaient sur de fausses promesses et un programme flou et douteux. Cette stratégie s’est avérée infructueuse, que ce soit avec la rue ou avec l’opposition.

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Personne ne veut dialoguer avec les hommes du pouvoir. Les anciennes composantes du régime sont elles aussi en train de se détourner de lui. Plus l’étau se referme à l’intérieur, plus la stratégie gouvernementale tend vers l’extérieur. Cette tournée signe d’échec de leur solution politique à l’échelle nationale.

Mais celle-ci n’est pas totalement inédite. Dans les années 1990, alors que Brahimi lui même était ministre des Affaires étrangères, le gouvernement algérien a joué la carte de la lutte anti-terroriste pour asseoir sa légitimité à l’international.

Les événements du 11 septembre 2001 leur ont également permis de poursuivre dans cette rhétorique. Aujourd’hui, ils optent pour la même stratégie, mais cette fois en jouant la carte non pas du terrorisme, mais de l’instabilité.

Quel est le message que portent les officiels algériens auprès de leurs homologues étrangers ? 

Ils cherchent à démontrer que le pouvoir est en train de trouver des solutions à la crise et qu’il dispose des compétences nécessaires pour y parvenir. Cette thèse, qu’ils n’ont pas réussi à soutenir auprès de l’opposition et de la population algérienne, ils cherchent à la vendre à l’étranger.

Ils cherchent à limiter la casse et donc à dépasser l’impasse à l’échelle nationale. C’est en quelque sorte une opération de séduction.

Un drapeau algérien sur la place de la République à Paris, dimanche 17 mars 2019 (photo d'illustration). © Rafael Yaghobzadeh/AP/SIPA

Un drapeau algérien sur la place de la République à Paris, dimanche 17 mars 2019 (photo d'illustration). © Rafael Yaghobzadeh/AP/SIPA

Le seul résultat de ce volontarisme international algérien sera un ressentiment de la population à l’égard des gouvernements étrangers

Quelles pourraient être les répercussions de cette tournée en Algérie ?

Le seul résultat de ce volontarisme international algérien sera un ressentiment de la population à l’égard des gouvernements étrangers. Nous avons déjà vu apparaître dans les manifestations des pancartes hostiles à la diplomatie française, après les commentaires du président Emmanuel Macron et ceux de son ministre Jean-Yves Le Drian. D’autres encore critiquaient la Russie, alors que ce pays jouit d’un certain respect auprès de la population algérienne.

La Russie est un partenaire historique de l’Algérie. Quelle lecture faites-vous de l’évolution de leur relation pendant la crise algérienne ?

Lorsque l’on s’intéresse à la politique étrangère russe, on comprend très vite que ce qu’ils ont fait avec le gouvernement algérien relève en fait du service minimum. La visite de mardi ne devrait pas être interprétée comme une main tendue de Moscou. Lamamra, qui connaît personnellement Lavrov, avait sans doute des attentes bien plus importantes que le seul refus de tout type d’ingérence et un « soutien au dialogue national ». Il ne faut pas oublier que l’Algérie dispose d’un partenariat stratégique avec le Kremlin depuis 2001, et qu’elle reste le troisième client de la Russie pour l’armement.

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Lorsque le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov parle du « peuple algérien » et de son droit de « décider de lui-même de son avenir et de son destin sur la base de sa Constitution et dans le respect du droit international », ce n’est tout de même pas rien. Tout le monde sait bien que cette transition n’est pas constitutionnelle.

Le gouvernement algérien s’est en fait rendu insoutenable, avant même de chercher du soutien. Le maintien de Bouteflika en poste malgré son âge, son état de santé et l’opposition populaire apparaît, y compris pour des États autoritaires, ostensiblement illégal et aberrant.

Lakhdar Brahimi. © Vincent Fournier/JA

Lakhdar Brahimi. © Vincent Fournier/JA

Ceux qui décrivent Brahimi à travers ses interventions à l’ONU parlent de son intégrité, mais oublient qu’il reste un homme du régime qui est revenu pour le sauver

Étant donné la critique des Algériens envers les gouvernements qui commentent le mouvement de protestation, quel est l’intérêt de ces pays à recevoir Ramtane Lamamra ?

Premièrement, la situation en Algérie l’exige. Les dirigeants étrangers sont inquiets. Lorsque l’on est attaché aux questions de souveraineté, le pouvoir officiel reste l’interlocuteur privilégié. Les gouvernements s’adaptent comme ils le peuvent à la situation.

Deuxièmement, il existe l’hypothèse du « malentendu », selon laquelle l’Algérie est entrée dans une phase de transition et Lamamra, vice-Premier ministre, représente la réforme. C’est une erreur, car l’homme représente avant tout le pouvoir algérien en place.

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Je crois que cette hypothèse a notamment cours en France. Je le vois aussi bien dans les médias que chez certains hommes politiques, lorsqu’ils parlent de Lakhdar Brahimi, lui aussi acteur non officiel dans cette transition, par exemple. Ils le décrivent à travers ses interventions à l’ONU, parlent de son intégrité… Mais ils oublient qu’il reste un homme du régime, qui est revenu pour le sauver.

Pour vous, le bilan de cette tournée diplomatique serait donc négatif pour le pouvoir ? 

Je pense que la seule victoire qu’a pu réaliser l’Algérie sur le plan international a été le salut de la France, après l’annonce du report de la présidentielle et le renoncement au cinquième mandat. Et cette victoire n’a pas pu être traduite sur le plan national.

Lamamra ne défend pas l’Algérie, l’économie algérienne. Il défend un clan, un régime. C’est le degré zéro de la diplomatie

Cette tournée traduit un manque d’imagination du gouvernement et une obstination dans le refus de l’hypothèse du départ de Bouteflika. Pour désamorcer cette crise, il suffirait de cela. La solution simple serait de stopper le mandat de Bouteflika au moment de son achèvement officiel, en avril.

Le porte-parole du RND, deuxième parti du pays, a exprimé son soutien hier [mardi 19 mars] au mouvement populaire. Le cercle du pouvoir se rétrécit de jour en jour, alors que celui de la contestation s’élargit. Le gouvernement vend un projet politique opaque, à son image.

Cette tournée diplomatique, c’est une sorte de sursaut mal placé. Nous ne sommes même pas dans la vraie diplomatie, dans un dialogue entre États qui représentent leurs intérêts respectifs. Lamamra ne défend pas l’Algérie, l’économie algérienne. Il défend un clan, un régime. C’est le degré zéro de la diplomatie.

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