Politique

RDC : Justin Inzun Kakiak, le nouveau patron de l’ANR, incarnera-t-il un vrai changement ?

Nommé administrateur général de l’Agence nationale de renseignement (ANR), Justin Inzun Kakiak, l’ancien n°2 de Kalev Mutond, notamment sous sanctions de l’UE, est connu pour sa discrétion et sa longue carrière dans ce service. S’il aura la lourde tâche de redorer l’image de la très critiquée Agence, sa nomination ne fait pas l’unanimité auprès de la société civile.

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Par - à Kinshasa
Mis à jour le 21 mars 2019 à 10:12

Justin Inzun Kakiak, nouvel administrateur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR). © DR

Justin Inzun Kakiak a été nommé mardi 19 mars à la tête de l’Agence nationale de renseignement (ANR), remplaçant le « tout-puissant et craint » – selon la classe politique – Kalev Mutond, en poste depuis 2011.

Au terme des ordonnances présidentielles, Jean-Hervé Mbelu Biosha a également été nommé administrateur général adjoint de l’ANR, tandis que Jean-Pierre Mbombo Tshibi et Kal Tshijik ont respectivement été nommés chef du département intérieur et extérieur, et Numbi Kalala chef du département d’appui à l’ANR.

Une carrière au service des renseignements

Le nouveau patron de l’ANR est présenté par ceux qui le connaissent comme un homme d’une réelle discrétion, très réservé et d’un professionnalisme efficace. « C’est un homme extrêmement discret qui parle très peu, et un professionnel des services de renseignement », précise à Jeune Afrique un agent de l’Agence sous couvert d’anonymat.

Si peu d’informations filtrent sur lui, Justin Inzun Kakiak est surtout connu pour sa carrière d’agent au sein du service des renseignements depuis les années Mobutu, où il a fait ses classes comme analyste, et où il est considéré comme un « kabiliste » : il fut à la fois partisan de Laurent-Désiré Kabila, puis de son fils, Joseph Kabila.

Diplômé d’une licence de philosophie avant d’entrer à l’Université pédagogique nationale (UPN) comme chef des travaux, ce père de famille, originaire de la province du Kwilu, était administrateur général adjoint de l’ANR depuis 2011. Il a également été administrateur principal puis chef du département extérieur, de 2003 à 2006.

« Je salue un haut fonctionnaire de l’État qui, en trente-quatre ans de carrière dans les renseignements, a gravi tous les échelons de l’ANR sans en sauter un seul. Il n’est connu de personne, effacé comme aucune autre personne, n’a ni garde du corps ni chauffeur, et conduit un véhicule quelconque », souligne à Jeune Afrique Tryphon Kin-Kiey Mulumba, ancien candidat à la présidentielle de décembre 2018.

Marquer l’après-Mutond

Justin Inzun Kakiak aura la lourde tâche de donner un autre visage à ce service. Comme l’a réaffirmé à plusieurs reprises Félix Thisekedi, l’Agence nationale de renseignement doit, sous son règne, être humanisée et au service des citoyens. Le nouveau patron de l’ANR incarnerait ainsi « l’antithèse de Kalev Mutond », selon notre source à l’ANR et d’autres personnes interrogées.

Kalev Mutond est en effet l’une des personnalités congolaises sanctionnées par l’Union européenne pour la répression brutale des manifestations de l’opposition avant le départ de Joseph Kabila et pour des « entraves au processus électoral ». Les États-Unis, qui l’accusent de « menacer les institutions et de nuire au processus démocratique », ont gelé ses avoirs aux États-Unis en 2016.


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« Sa mission est d’essayer de tout faire avec professionnalisme, en essayant d’effacer tout ce que la population a connu comme terreur avec Kalev Mutond sous le règne de Joseph Kabila », précise à Jeune Afrique un collaborateur du nouveau président de la République sous couvert d’anonymat.

« Inzun Kakiak n’est pas exempt de certaines choses qui sont contraires à la démocratie »

Sa nomination ne fait pas pour autant l’unanimité. « C’est un pas, mais le président a nommé l’adjoint de Kalev Mutond alors qu’il a également participé tout au long du régime de Kabila à reproduire les violations des droits des Congolais et à ternir l’image de l’ANR, nuance à Jeune Afrique Carbone Beni, le coordonnateur du mouvement citoyen Filimbi, emprisonné à plusieurs reprises sous la direction de Kalev Mutond. Le nouvel administrateur général a été très proche de Kalev Mutond et il n’est pas exempt de certaines choses qui se sont passées et qui sont contraires à la démocratie. »

Ce sont les mêmes personnes qui sont reconduites, il n’est pas la personne qu’il fallait

Pour Marcel-Héritier Kapitene, militant de la Lucha, également emprisonné sous Kalev Mutond, « on s’attendait à des changements beaucoup plus radicaux que ceux-là ». « Ce sont les mêmes personnes qui sont reconduites, il n’est pas la personne qu’il fallait. On ne peut coudre du vieux sur un statut nouveau et espérer faire la différence », souligne-t-il.

« Ils sont tous dans une même organisation réputée pour avoir commis de graves atteintes aux droits fondamentaux, ajoute Herve Diakiese, du mouvement Les Congolais debout de Sindika Dokolo. Nous verrons en fonction du degré d’implication individuelle et personnelle et des dégâts qui seront portés à notre connaissance ».

La société civile, qui attend de Justin Inzun Kakiak qu’il travaille « dans le respect strict de la Constitution et des droits de l’homme », désire également qu’il « revalorise les sanctions contre leurs collaborateurs qui seront impliqués dans des abus », précise Georges Kapiamba, président de l’ONG de défense des droits de l’homme.

Félix Tshisekedi, qui poursuit la mise en place de son administration, fait néanmoins l’objet de différentes critiques, les personnes nommées aux services comme l’ANR, la Direction générale des migrations (DGM), ou même François Beya, son conseiller en matière de sécurité, étant des anciens collaborateurs de l’ancien président Joseph Kabila. « Mon inquiétude est que le président de la République ne pense pas encore a régénérer les services avec de nouvelles personnes », souligne Carbone Beni.