
Idrissa Seck salue ses militants pendant un meeting. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique
Trois semaines après l’élection présidentielle, alors que Macky Sall invite à un « dialogue national sans exclusive », l’opposition sénégalaise observe le silence et mûrit sa stratégie en vue des prochaines échéances électorales.
« Nous organisons la riposte », confiait à Jeune Afrique Malick Gakou (coalition Idy2019), le 27 février, à la veille de la publication des résultats provisoires de la présidentielle, convaincu que ceux-ci seraient « tripatouillés » en faveur de Macky Sall. Le lendemain, la Commission nationale de recensement des votes (CRNV) annonçait la victoire du président sortant, avec 58,27% des suffrages exprimés. Des résultats immédiatement rejetés par l’opposition, qui ne les a pas pour autant contestés devant le Conseil constitutionnel. Mais depuis lors, ses principaux leaders observent le silence.
Idrissa Seck et Ousmane Sonko, arrivés respectivement deuxième et troisième de l’élection, ont fait de brèves déclarations afin de remercier leurs sympathisants, réitérant leur refus de reconnaître la transparence et la neutralité du scrutin.
Actuellement aux États-Unis, Issa Sall s’est contenté d’un message posté sur Twitter début mars, demandant « à tous d’avancer sans rancune ni déception. Une élection n’est qu’un moment dans la vie de la République. Le devoir a été fait avec une exemplarité dans le militantisme et des convictions. De belles pages sont encore à écrire avec vous ». Madické Niang, arrivé bon dernier avec 1,48 % des voix, a rencontré son « fan club », annoncé son départ du Parti démocratique sénégalais (PDS) et démissionné de son poste de député. Quant aux proches de Khalifa Sall et de Karim Wade, empêchés de se présenter et dont l’avenir politique est encore incertain, ils ne se sont pas exprimés publiquement.
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Investigation électorale
« Après la présidentielle, tout le monde fait silencieusement le point dans son coin », justifie Khalifa Mbodj, secrétaire permanent du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR) et membre de l’équipe de campagne d’Issa Sall. Fixée sur ce qu’elle considère comme un « hold-up électoral », l’opposition, réunie au sein du Front pour la démocratie et la résistance nationale (FRN), assure avoir entamé un « travail d’investigation » portant sur le processus électoral et les fraudes qu’elle dénonce.
« Il nous faut dresser un bilan très sérieux du processus de la présidentielle. Tout le reste est superfétatoire », assure Mamadou Diop Decroix, secrétaire général d’And Jëf-PADS, proche d’Abdoulaye Wade mais qui s’est rallié à Idrissa Seck lors de l’élection.
« Nous compilons et examinons les preuves de fraudes qui ont eu lieu », assure un leader de la coalition Idy2019. L’opposition avait pourtant renoncé à déposer des recours devant le Conseil constitutionnel. Mais elle assure vouloir ainsi « convaincre l’opinion publique ».
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Union sacrée en vue des locales ?
En ligne de mire, les élections locales de décembre 2019. Se gardant bien d’étaler publiquement sa stratégie, l’opposition planche sur la manière dont elle pourrait s’emparer d’un maximum de communes et de collectivités territoriales face à la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar. À cet égard, les approches divergent. Ousmane Sonko, arrivé nettement en tête dans la région de Ziguinchor, en Casamance, réfléchit aux municipalités que le Pastef pourrait gagner seul, et à celles où il sera nécessaire de présenter des listes communes pour battre la majorité. Comme à Dakar, où l’opposition a enregistré de bons scores mais où Macky Sall est tout de même arrivé en pole position.
La seule chance de survie de l’opposition est une mutualisation des forces
Parmi les leader de la coalition d’Idrissa Seck, dont on ne sait comment elle évoluera d’ici aux locales, le ton est à l’unité : « La seule chance de survie de l’opposition est une mutualisation des forces au-delà de notre coalition », prévient Mamadou Diop Decroix. Une analyse partagée par Khalifa Mbodj, du PUR, qui appelle l’opposition à « un partenariat serré », convaincu qu’« aucun candidat de l’opposition n’est capable de gagner tout seul face à Macky Sall ». Il promet donc des concertations avec l’ensemble de l’opposition très bientôt.
Climat de suspicion
Encore faudra-t-il que toutes ses composantes jouent le jeu. Certains s’inquiètent en effet du silence observé aussi bien par l’entourage de Karim Wade que par celui de Khalifa Sall. Un silence qui alimente toutes sortes d’hypothèses, et notamment l’éventualité de négociations avec la présidence. « Rien ne nous garantit aujourd’hui qu’il n’y aura pas de compromission entre Abdoulaye Wade et Macky Sall, soutient un lieutenant d’Idrissa Seck. Par son silence et en n’appuyant pas l’opposition pendant l’élection, Abdoulaye Wade a posé des actes allant dans le sens de la réélection de Macky Sall. Nous nous attendons donc à des contreparties. »
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Parmi les scénarios envisagés avec insistance dans les rangs de l’opposition, le vote d’une loi d’amnistie en faveur de Karim Wade, qui pourrait recevoir le soutien de la majorité parlementaire. Mais pour l’instant, aucune demande n’a été introduite par un camp ou par l’autre.
La seule option qui reste à Khalifa Sall est la négociation
Dans ce climat de suspicion, les raisons du silence de Khalifa Sall n’échappent pas aux spéculations. « Khalifa Sall est dans l’impasse. Si Idrissa Seck avait gagné la présidentielle, il l’aurait fait sortir de prison. Mais aujourd’hui, sa seule option est la table des négociations, peut-être en vue d’une grâce présidentielle », souffle ce même allié d’Idrissa Seck. Une théorie fermement réfutée par un proche de l’ex-édile, qui exclut toute demande de grâce de la part de l’ex-maire de Dakar. Selon lui, une telle demande reviendrait à « légitimer un processus judiciaire qui a été émaillé par les violations des droits de Khalifa Sall ».
Gestes d’apaisement
En vue « d’engager un dialogue national constructif », Macky Sall a annoncé qu’il formulerait des propositions après son investiture, le 2 avril. « Je convie à ce dialogue républicain toutes les forces vives de la nation, sans exclusive, dialogue auquel mes prédécesseurs, les présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, pourraient apporter leur contribution », a-t-il fait savoir le 5 mars, lors d’une allocution depuis le palais présidentiel.
Des paroles qui seront peut-être assorties de « gestes d’apaisement » envers l’opposition, laisse entendre le collaborateur de Khalifa Sall, qui refuse d’envisager tout dialogue tant que son leader reste incarcéré.
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