Politique

Législatives en Guinée-Bissau : pourquoi le scrutin du 10 mars suscite autant d’attente

La Guinée-Bissau organise dimanche 10 mars des élections législatives, un scrutin décisif pour sortir le pays de l’impasse, notamment depuis le limogeage de l’ancien Premier ministre Domingos Simões Pereira par le président José Mário Vaz, en 2015. Décryptage.

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Mis à jour le 12 novembre 2019 à 16:38

Le président de Guinée-Bissau José Mario Vaz (à g.) et l’ancien Premier ministre bissau-guinéen Domingos Simões Pereira. © Montage JA

Limogeages et démissions en cascade, accusations de corruption, sanctions de la Cedeao, grèves, colère et manifestations… Depuis que le président José Mário Vaz, alias Jomav, a limogé en août 2015 son ancien Premier ministre Domingos Simões Pereira, dit DSP, une crise institutionnelle paralyse la Guinée-Bissau.

Pour tenter de tourner la page de plus de trois ans de soubresauts politiques, les Bissau-Guinéens sont donc appelés aux urnes dimanche 10 mars. Objectif : renouveler le mandat des 102 députés de l’Assemblée nationale populaire, après une campagne émaillée par des accusations d’irrégularités sur les listes électorales.

• Quels sont les enjeux des législatives ?

Ce scrutin à un tour suscite beaucoup d’espoir pour mettre fin à l’instabilité politique. Depuis l’éviction de Domingos Simões Pereira, patron du puissant Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) dont est également issu le chef de l’État, six Premiers ministres se sont succédé.


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Conséquence, le pays tourne au ralenti. La crise institutionnelle a effrayé bon nombre d’investisseurs, aggravé un climat social déjà tendu et provoqué l’impatience des partenaires du pays. Preuve en est, la Cedeao avait adopté début 2018 des sanctions contre 19 personnalités – dont le fils du président – accusées d’entraver toute sortie de crise. Rapidement levées, elles n’avaient toutefois pas empêché le report de ces législatives, initialement prévues en novembre dernier.

L’élection du 10 mars doit donc rebattre les cartes. Car en Guinée-Bissau, le Premier ministre tire sa légitimité des législatives : il est en effet nommé par le président selon les résultats électoraux et les partis politiques représentés au Parlement. Son rôle est primordial, puisque que c’est au Premier ministre, chef du pouvoir exécutif, de conduire la politique générale.

• Qui sont les principaux partis et adversaires du scrutin ?

Le résultat du PAIGC sera particulièrement scruté. Considéré comme responsable de la crise actuelle par l’opposition, l’ex-parti unique domine la vie politique bissau-guinéenne depuis l’indépendance du pays, proclamée en 1973 et reconnue par le Portugal en 1974. Victorieux aux élections présidentielle et législatives de 2014, organisées après le dernier coup d’État de l’armée en 2012, le parti avait porté José Mário Vaz et Domingos Simões Pereira au pouvoir.

Le président José Mário Vaz en 2014 (image d'illustration). © Sylvain CHERKAOUI pour Jeune Afrique

Le président José Mário Vaz en 2014 (image d'illustration). © Sylvain CHERKAOUI pour Jeune Afrique

Cinq ans après les dernières élections, les Bissau-Guinéens pourraient avoir un air de déjà-vu. Si le PAIGC l’emportait le 10 mars, Domingos Simões Pereira serait de fait en position de redevenir Premier ministre. Interviewé par Jeune Afrique en novembre dernier sur les risques d’un nouveau blocage, l’intéressé s’était bien gardé de dévoiler ses intentions. « Le dernier congrès du PAIGC a apporté des changements qui devraient faciliter les choses. Avant, il n’y avait pas d’alternative : en cas de victoire aux législatives, le chef du parti était forcément candidat au poste de Premier ministre. Aujourd’hui, il est le premier candidat mais il peut proposer d’autres noms que le sien », affirmait-il.

Le PAIGC devra d’abord affronter ses frondeurs. Plusieurs dissidents de l’ex-parti unique ont en effet créé en août 2018 leur propre formation politique, le « Madem G-15 ». Une référence aux 15 membres et députés du parti qui avaient préféré Jomav à DSP, faisant perdre au PAIGC sa majorité absolue au Parlement. Des adversaires « seulement animés par un esprit revanchard », estime João Bernardo Vieira, porte-parole du parti de DSP. « Il y a plusieurs années que le PAIGC n’a rien de nouveau à apporter à la Guinée-Bissau », rétorque Umaro Sissoco Embaló, numéro deux du Madem G-15 et ancien Premier ministre de Jomav.

L’affrontement de ces deux camps irréconciliables pourrait toutefois profiter à la principale formation de l’opposition, le Parti de la rénovation sociale (PRS) dirigé par Alberto Nambeia. « Il existe une volonté de changement et nous sommes à la hauteur pour assurer cette alternance, assure Victor Pereira, porte-parole du PRS, parti réputé proche de l’armée. Le peuple en a assez du PAIGC, leurs luttes intestines les empêchent de gouverner ».

D’autres petites formations politiques seront également en lice, dont le Parti de convergence démocratique (PCD), l’Union pour le changement (UM) et le Parti de la nouvelle démocratie (PND). Ces trois formations ont signé un accord de coopération avec le PAIGC en cas de victoire de ce dernier, assure Iaia Djalo, président du PND.

Domingos Simoes Pereira, ancien Premier ministre de la Guinée-Bissau, livre un discours devant les Nations unies, septembre 2014. © Seth Wenig/AP/SIPA

Domingos Simoes Pereira, ancien Premier ministre de la Guinée-Bissau, livre un discours devant les Nations unies, septembre 2014. © Seth Wenig/AP/SIPA

• Qu’en est-il de la présidentielle prévue pour 2019 ?

Une élection présidentielle doit avoir lieu dans la foulée des législatives. Si le mois de septembre est avancé, aucune date n’a encore été annoncée. Elle pourrait être fixée par le chef de l’État après les résultats des législatives.

José Mário Vaz cherchera-t-il à briguer un second mandat ? Le président n’a pas encore fait part de ses intentions, mais il semble de plus en plus isolé. Si le limogeage de DSP l’avait un temps rapproché des frondeurs du PAIGC, le Madem G-15 et Jomav ont depuis pris leur distance.

Selon plusieurs sources, le chef de l’État tenterait désormais d’obtenir le soutien du PRS. Plusieurs de ses proches ont d’ailleurs rejoint le parti d’opposition pour ces législatives. « Le PRS répondra plus tard aux demandes d’investiture », élude Victor Pereira, porte-parole du parti. Mais la formation du défunt président Kumba Yala n’aurait pas forcément intérêt à adouber Jomav, tant le PRS fait campagne sur l’alternance face à cette crise, dont le président est l’un des protagonistes.

• Comment est née la crise politique ?

La mésentente couvait depuis plusieurs mois entre Jomav et DSP. Mais leur animosité a éclaté au grand jour le 12 août 2015, quand le chef de l’État a annoncé le limogeage de son Premier ministre, accusant son gouvernement de corruption.

« José Mário Vaz l’a limogé sans raison, sans pouvoir donner de preuve de culpabilité dans cette soi-disant affaire de corruption. C’était un faux prétexte et le peuple le sait », rétorque le porte-parole du PAIGC.

Cette instabilité doit cesser

Au-delà des querelles de personnes, la répartition très concurrentielle du pouvoir n’a pas manqué d’accroître une rivalité déjà notoire. En Guinée-Bissau, la Constitution impose en effet un régime bicéphale, à l’origine de conflits réguliers entre président et Premier ministre.

Pour éviter de nouveaux soubresauts, l’écrasante majorité des partis en lice le 10 mars ont promis de se montrer bon perdants en signant un pacte de stabilité les engageant à utiliser les moyens légaux en cas de contestation des résultats. « L’objectif de ce pacte, c’est que quel que soit le gagnant, il puisse gouverner le pays pendant quatre ans, explique Iaia Djalo, président du PND et ministre de la Justice. Cette instabilité doit cesser ».

Un mantra maintes fois répété en Guinée-Bissau, où les militaires ont plusieurs fois interrompu la conduite des affaires courantes. Depuis l’élection de José Mario Vaz, l’armée bissau-guinéenne aujourd’hui dirigée par le général Biague Nantam est toutefois restée dans ses casernes. Et malgré les dernières tensions, beaucoup espèrent qu’elle y reste.