Présidentielle au Sénégal : « Le Fouta apporte systématiquement son soutien au parti au pouvoir, quel qu’il soit »

Du Fouta à la Casamance et de Dakar à Touba, en passant par la diaspora, « Jeune Afrique » revient cette semaine sur les grandes leçons du scrutin dans cinq bastions électoraux où s’est en partie jouée l’élection. Dans ce premier volet, le chercheur Alassane Bèye évoque les résultats pharaoniques de Macky Sall dans la vallée du fleuve Sénégal.

Meeting de Macky Sall à Podor le 24 février 2019. © Présidence du Sénégal

Meeting de Macky Sall à Podor le 24 février 2019. © Présidence du Sénégal

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Publié le 4 mars 2019 Lecture : 4 minutes.

Dans un bureau de vote à Fatick, lors du premier tour du scrutin pour la présidentielle 2019 au Sénégal. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique
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Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall

La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.

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Dans le Fouta-Toro, ce territoire du nord-est du Sénégal qui borde le fleuve éponyme, Macky Sall n’a laissé aucune chance à ses adversaires. Avec 93,32 % des suffrages – en compilant les résultats du département de Podor et de la région de Matam -, le président sortant a obtenu son meilleur score à l’échelle du pays, selon les résultats provisoires publiés par la Commission nationale de recensement des votes (CNRV).

Face à ce score « nord-coréen », les explications divergent. Pour Jeune Afrique, Alassane Bèye, doctorant en sociologie électorale à l’Université Gaston-Berger (UGB) de Saint-Louis et à l’Université de Bruxelles, décrypte la razzia de Macky Sall.

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(Tout au long de la semaine, JA reviendra, avec d’autres experts, sur les résultats les plus emblématiques de la présidentielle.)

Le Fouta est un espace de « basculement électoral »

Jeune Afrique : Comment expliquer que Macky Sall ait engrangé des scores aussi élevés dans le Fouta ?

Alassane Bèye : ruraux,

Par ailleurs, le parti du président sortant a un ancrage très fort dans cette région. Déjà en 2012, alors qu’il était le candidat de l’opposition, Macky Sall avait devancé Abdoulaye Wade dans certains départements de la région de Matam. Et lors du recueil des parrainages, il y a obtenu la promesse de très nombreuses signatures.

Au Sénégal, on ne peut plus bourrer les urnes

Une partie de l’opposition estime que ces résultats sont trop élevés pour être honnêtes…

Le processus électoral sénégalais est suffisamment organisé pour qu’il soit quasiment impossible de voler une élection. Les partis ont en effet des représentants dans les bureaux de vote, qui signent chaque procès-verbal. Au Sénégal, on ne peut plus bourrer les urnes.

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Y a-t-il eu des précédents à un vote aussi massif du Fouta en faveur du candidat sortant ?

En 2007, Abdoulaye Wade y avait obtenu des scores très élevés, notamment dans le département de Ranerou Ferlo. Ce basculement massif en faveur du pouvoir en place n’est pas quelque chose de nouveau – pas plus que les dénonciations qui vont de pair.

Aucun élément empirique ne permet de valider la thèse du vote ethnique

Macky Sall est né dans une famille halpulaar, la population majoritaire dans le Fouta, ce qui laisse craindre à certains que le vote ethnique explique ce raz-de-marée…

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À l’échelle nationale, la question du vote ethnique ne doit pas être exagérée, même si chaque candidat a son fief. Macky Sall a aussi obtenu des résultats importants à Tambacounda ou à Kédougou, qui ne sont pas des zones majoritairement halpulaaren. On peut, certes, se questionner sur les leviers qui influent sur le vote des Sénégalais, mais on ne peut pas résumer celui-ci à une variable ethnique. Empiriquement, nous ne disposons pas d’éléments permettant de valider cette thèse.

Podor, dans la région de Saint-Louis, avait plébiscité le socialiste Ousmane Tanor Dieng en 2012. Cette année, le ralliement à Macky Sall de la maire de la ville, Aïssata Tall Sall [ex-socialiste], permet-il d’expliquer un tel plébiscite dans le département ?

Le cas de Podor est intéressant car cette ville constitue un réservoir électoral important. Le ralliement d’Aïssata Tall Sall a sans aucun doute eu un impact déterminant sur les résultats enregistrés par Macky Sall dans le département de Podor – et plus largement dans la région de Saint-Louis. Même si elle a surpris certaines personnes en se ralliant au chef de l’État juste avant l’élection, la maire de Podor jouit d’une réelle popularité dans sa ville. Le vote a révélé que le ralliement d’une personnalité influente, capable de mobiliser en nombre, peut faire la différence.

Les élections feront office de second tour de la présidentielle

Depuis sa première élection, Macky Sall a toujours pris soin faire campagne dans les zones reculées du pays. Ses meetings en grande pompe à Matam ou Podor ont-ils contribué à sa victoire dans le Fouta ?

D’autres candidats ont fait campagne dans ces régions, comme Ousmane Sonko ou Madické Niang. D’ailleurs Ousmane Sonko y a fait de meilleurs scores que les autres candidats de l’opposition. Mais Macky Sall a échafaudé sa stratégie électorale depuis 2012, voire même avant, puisqu’il arpentait déjà le Fouta et d’autres localités reculées du Sénégal dès 2009.

Lors des locales de décembre 2019, quel sera l’enjeu dans le Fouta pour le chef de l’Etat ?

Ces élections feront office de second tour de la présidentielle. La coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) devra procéder à des arbitrages, notamment dans des communes comme Podor où il s’agira, pour Macky Sall, de présenter un candidat de son propre parti, l’Alliance pour la République [APR] ou de soutenir sa nouvelle alliée, Aïssata Tall Sall [Osez l’avenir].

Selon qu’il privilégiera les “authentiques APR”, qui le soutiennent depuis la première heure, ou ses nouveaux alliés “transhumants”, Macky Sall renforcera ou fragilisera ses alliances. La survie de sa coalition en dépendra fortement. Aux locales de 2009, Abdoulaye Wade avait créé de nombreuses frustrations dans son parti, ce qui a préparé sa chute en 2012. Mais s’il respecte la Constitution et ne brigue pas un troisième mandat en 2024, Macky Sall évitera cette épée de Damoclès.

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