Mobilisation anti-Bouteflika : à Paris, la diaspora « unie contre un pouvoir qui joue au sourd »

Islamistes, indépendantistes kabyles, artistes… Malgré la diversité des milliers de membres de la diaspora algérienne qui se sont retrouvés dimanche 3 mars sur la place de la République à Paris, tous voulaient exprimer leur solidarité avec les manifestants qui se mobilisent dans leur pays d’origine contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Reportage.

Une manifestation de la diaspora algérienne, dimanche 3 mars sur la Place de la République (Paris). © Capture d’écran Twitter.

Une manifestation de la diaspora algérienne, dimanche 3 mars sur la Place de la République (Paris). © Capture d’écran Twitter.

CRETOIS Jules

Publié le 4 mars 2019 Lecture : 4 minutes.

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 1er mars à Alger. © Anis Belghoul/AP/SIPA
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Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie

Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.

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Il est environ 15 heures quand résonnent des cris : « Soolking, Soolking ! » La star du rap, qui réside en France depuis quelques années, est présent sur la Place de la République, dans l’est parisien, aux côtés des manifestants qui clament leur opposition au cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. D’autres artistes sont là, au milieu des centaines de drapeaux algériens, amazighs et palestiniens. Le poète kabyle Lounis Ait-Menguellet prend la pose avec des manifestants, tandis que la chanteuse Souad Massi s’affiche tout sourire derrière un drapeau algérien.

Selon la préfecture de police, ils sont environ 6 000 à s’être regroupés. Pas loin de cinq ou six mots d’ordre de mobilisation avaient été lancés sur Facebook par des pages communautaires, comme « Mon Algérie » ou « Les Kabyles de Paris », ainsi que les habituels partis politiques et organisations de l’émigration algérienne. « Nous étions quatre structures pour organiser la manifestation du 24 février, et plus d’une dizaine pour celle du 3 mars », souligne un militant de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), le parti de Zoubida Assoul.  Quelques militants tunisiens ainsi que de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) se sont également glissés dans la masse pour exprimer leur solidarité.

La chanteuse Souad Massi dans une manifestation de la diaspora algérienne, dimanche 3 mars à Paris. © Facebook/Souad Massi OFFICIEL

La chanteuse Souad Massi dans une manifestation de la diaspora algérienne, dimanche 3 mars à Paris. © Facebook/Souad Massi OFFICIEL

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« Ressentir un peu de ce qu’il se passe là-bas »

Une semaine auparavant, à l’appel notamment du mouvement d’opposition Mouwatana, des centaines de personnes s’étaient rassemblées sur la même place. « Il y a des différences de point de vue entre les organisations qui appellent à manifester à Paris, entre les islamistes, les démocrates, etc. Mais nous sommes d’accord sur le principe d’unité contre un régime qui joue au sourd. » Surtout, les branches françaises des partis comme les organisations de la diaspora insistent : « Nous sommes là avec un objectif : soutenir les Algériens qui manifestent là-bas. » Un peu plus loin, on retrouve également des manifestants se présentant comme animateurs d’un « Collectif de solidarité et vigilance au mouvement du 22 février en Algérie ».

Nous voulons lancer un message à la diplomatie française, pour qu’elle ne soutienne pas ce régime dont on ne veut plus

Ce dimanche, dans la foule dense qui investit la place de la République, chacun a son mot à dire. « Nous voulons lancer un message à la diplomatie française, pour qu’elle ne soutienne pas ce régime dont on ne veut plus », lâche un trentenaire franco-algérien. Rafiq, Algérien qui réside en France, suit la situation avec assiduité, via Twitter et Facebook. « Ça fait du bien de se retrouver, tout simplement, de vivre ce moment en groupe, pour donner de la force à ceux qui sont là-bas », explique-t-il.

Une partie de la presse algérienne répercute les manifestations de la diaspora, qui sont aussi dûment photographiées et filmées pour alimenter les réseaux sociaux. Une étudiante ne peut se retenir. Les yeux humides, elle avoue : « Je suis dégoûtée d’être ici. Je voudrais manifester à Alger ; j’ai pleuré devant la télé ! » Dans la foule, certains tournent des directs Facebook, d’autres s’échangent les noms des groupes Whatsapp militants. Chacun donne son avis sur le mouvement. « Je suis là surtout pour ressentir un peu de ce qu’il se passe là-bas. C’est tellement fort que je ne veux pas rater ça, alors ici on partage un peu », sourit un autre passant, plus âgé.

MAK, Rachad et élus français de gauche

Des membres d’organisations politiques et d’associations algériennes ont également fait le déplacement. Les nombreux militants du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) n’ont pas lésiné sur les drapeaux. Abdelouhab Fersaoui, président du RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse) est là aussi. Il prend le micro pour une courte allocution. Une petite estrade entourée de barrières de sécurité a été montée pour des prises de parole, couvertes par les chants. Mohamed Larbi Zitout, du mouvement islamiste Rachad, est là aussi, ainsi que Zouheir Rouis, représentant de Jil Jadid. Des cris d’hostilité fusent ça et là entre opposants de différentes obédiences, mais cela ne va pas plus loin.

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Les cris et les chants résonnent : « Y en a marre, y en a marre de ce pouvoir, y en a marre ! » ; « Pouvoir assassin ! » La personne du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, est particulièrement ciblée. L’ambiance, elle, est bon enfant. Des manifestants brandissent des pancartes en arabe et en français, qui reprennent les slogans scandés dans les manifestations en Algérie. Certains sont venus avec un gilet jaune, d’autres avec un cachir (saucisson algérien).

>>> À LIRE – Algérie : marche vers la présidence, gaz lacrymogènes, slogans… retour sur une journée de mobilisation historique

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Des personnalités politiques, notamment de gauche, font le pont entre le tissu de l’émigration algérienne et la politique française. Sur RT France, la chaîne proche du pouvoir russe, c’est Sophia Hocini, candidate du Parti communiste français (PCF) aux élections européennes, qui est intervenue la veille pour donner son point de vue. Quelques figures politiques françaises se sont aussi déplacés, à l’instar du député de La France insoumise (LFI) Éric Coquerel.

Mais il n’y a pas que pour les pancartes et les slogans que les manifestants parisiens s’inspirent des images algériennes. À la fin du rassemblement, tout comme dans plusieurs villes algériennes, quelques-uns se lancent dans un ramassage de déchets sur la place. Alors que la veille, une poignée de supporteurs du président Bouteflika avaient été pris à partie en se retrouvant au même endroit, d’autres rassemblements anti-Bouteflika de plus petite taille ont eu lieu ce dimanche ailleurs en France, à Lyon, Marseille ou Toulouse, mais aussi en Allemagne, en Belgique et aux États-Unis.

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