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Cameroun : les véritables victimes de la crise anglophone
Cela fera bientôt huit mois. Autant de longues semaines passées loin de chez eux, à Loum, dans cette localité à la lisière de la région anglophone du Sud-Ouest qui leur sert de refuge. Et ce, pour une période encore indéterminée. Attaqué par des séparatistes ambazoniens en août 2018, leur domicile à Mboh, qu’ils avaient quitté dans la précipitation, reste inaccessible à Chrysantus Teku et sa famille. Les craintes de « représailles de l’armée » sont toujours présentes.
« Nous sommes partis de peur d’être confondus avec les Ambazoniens [qui réclament la partition du pays, ndlr], qui avaient tué trois gendarmes dans un village proche et étaient recherchés par des militaires », raconte le père de famille à Jeune Afrique. Les responsables n’ayant toujours pas été retrouvés, leur retour y est « très risqué », selon Chrysantus. « Les Ambazoniens nous prennent pour des traîtres, et les militaires pour des Ambazoniens », explique-t-il.
Seule possibilité : rester à Loum, une des localités francophones qui accueillent de nombreux déplacés de la crise anglophone, malgré les difficultés. « Manger est un défi quotidien, on gagne très peu », confie ce menuisier de profession, qui s’est depuis reconverti dans la vente de légumes pour subvenir aux besoins de sa famille. Il les cultive dans un champ laissé en friche non loin de son habitation, pour 2 500 à 3 000 francs CFA (environ 3 euros) de recettes journalières, qu’il cumule avec celles que rapportent les activités de coiffeuse de son épouse.
De quoi permettre à seulement l’un de ses quatre enfants d’être scolarisé. Tous les matins, il se rend au Comprehensive college de Loum, l’un des deux établissements secondaires anglophones qui ont été créés à la rentrée de septembre, face à la forte demande.
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« Le nombre de personnes dans le besoin n’a jamais été aussi élevé »
Près de 432 000 personnes sont aujourd’hui déplacées à cause de la crise anglophone, selon le plan de réponse humanitaire 2019 de l’Organisation des Nations unies (ONU). Environ 330 écoles ont été fermées dans les deux régions touchées (Sud-Ouest et Nord-Ouest) et la scolarité de 240 000 élèves serait menacée. « Le nombre de personnes dans le besoin n’a jamais été aussi élevé », certifie à Jeune Afrique Allegra Maria Del Pilar Baiocchi, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour le Cameroun. « Les besoins sont de plus en plus grandissants. Ils concernent principalement la santé, la sécurité alimentaire, l’éducation et le logement », ajoute-t-elle.
Dans les villes qui accueillent les déplacés, les ressources se raréfient très souvent et les prix flambent. La désertion des bassins de production du Sud-Ouest et du Nord-Ouest a entraîné une hausse de certaines denrées alimentaires sur les marchés. Les déplacés, qui ne disposent que de très peu de moyens financiers, sont les principales victimes de cette inflation.

Impact des sécessionnistes anglophones. © JA
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Une assistance humanitaire qui tarde
Dans son plan de réponse humanitaire, l’ONU sollicite une aide de 299 millions de dollars, dont une bonne partie sera affectée à la situation humanitaire des populations anglophones. De son côté, le gouvernement camerounais, par la voix du ministre de l’Administration territoriale, affirme que des mesures appropriées sont prises pour résorber la crise.
Nous avons déjà distribué plus de 80 000 couvertures, 30 000 matelas, 40 000 sacs de riz et farine
Le 21 février dernier, le ministre Paul Atanga Nji a présenté aux membres du corps diplomatique accrédités à Yaoundé les dispositions en cours. « Nous avons lancé un plan d’urgence humanitaire qui va sur trois ans. Je peux vous dire que nous avons déjà distribué plus de 80 000 couvertures, 30 000 matelas, 40 000 sacs de riz et farine, et ce que nous avons en stock peut nourrir 200 000 voire 300 000 personnes », a-t-il indiqué.
« Nous n’avons pas encore reçu cette aide, rejette cependant le père de famille. Ils nous ont dit qu’il fallait s’enregistrer dès notre arrivée dans la ville or, quand vous fuyez, votre première préoccupation n’est pas celle d’inscrire votre nom sur une liste », ajoute-t-il. Face à ces craintes, le ministre Paul Atanga Nji a assuré que l’aide sera disponible pour tous, et que le gouvernement était actuellement en train « de revoir la gestion de l’information ». « Parfois, les informations qu’on nous donne ne sont pas fiables. Je suis allé personnellement sur le terrain dans des localités où l’on me disait qu’il y avait 2 000 personnes (déplacées). Nous avons emmené des provisions, or ils n’atteignaient même pas les 1 000 », a-t-il affirmé aux diplomates.
Pour Chrysantus et ses proches, le temps s’annonce encore long à Loum.