Politique

RDC – Adolphe Muzito : Félix Tshisekedi à la présidence, « c’est pire que Joseph Kabila »

Dans sa première interview depuis le scrutin du 30 décembre, l’ancien Premier ministre congolais, allié de Martin Fayulu, appelle les Congolais à la résistance pacifique contre le nouveau pouvoir.

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Mis à jour le 1 février 2019 à 13:16

L’ancien Premier ministre congolais Adolphe Muzito, à Paris le 10 juin 2018. © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

Il ne peut l’ignorer : Adolphe Muzito a perdu la première manche. Son candidat, Martin Fayulu, n’a pas été proclamé vainqueur de la présidentielle du 30 décembre. Et, si la communauté internationale a d’abord émis de « sérieux doutes » sur la victoire de son rival Félix Tshisekedi, elle a fini par le reconnaître comme nouveau président.

Mais Muzito refuse de se satisfaire de cette alternance. Cet ancien Premier ministre de Joseph Kabila (2008-2012), co-fondateur de la coalition d’opposition Lamuka, veut poursuivre la lutte. Dans ces propos recueillis à Paris par Jeune Afrique, cet homme originaire de l’ex-Bandundu, comme Martin Fayulu, appelle à la résistance pacifique.


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Jeune Afrique : Reconnaissez-vous la victoire de Félix Tshisekedi ?

Adolphe Muzito : Non, je ne la reconnais pas. Personne au monde ne la reconnait.

Certains partis congolais, y compris dans votre camp, comme l’Alternance pour la république (AR), l’ont pourtant fait…

Ils vont à la mangeoire ! Parmi eux, deux avaient déjà abandonné leur groupe : Delly Sesanga et André-Claudel Lubaya. Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas se faire élire chez eux sans soutenir le candidat de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), pour des raisons ethniques. Mais leur décision ne change rien.

Le fait que Félix Tshisekedi ait été proclamé vainqueur de cette présidentielle n’est-il pas une avancée pour le pays ?

Non, puisque Joseph Kabila reste en place en tant que chef du Front commun pour le Congo [FCC], qui a la majorité parlementaire. Tshisekedi l’a aidé à tricher en lui servant de bouclier contre le peuple. Mais ce bouclier ne tiendra pas longtemps, car il n’a pas été élu. Il ne représente pas une force significative dans le pays. De plus, il n’aura pas de pouvoir. En vertu de l’accord qu’ils auraient passé, Kabila va tout garder : l’armée, les services de sécurité, la justice, le secteur minier, etc.

Avez-vous le texte de cet accord en votre possession ?

Je n’en ai pas le contenu, mais cela se dit abondamment dans la presse. Et il y a les faits : Kabila contrôle l’armée et ne la cédera jamais. Par conséquent, il n’y a pas d’avancée. Au contraire, Tshisekedi aura aidé à consolider un pouvoir de plus en plus présent et qui sera de plus en plus occulte.

En tant que président, Tshisekedi a convoqué les responsables de la police après les manifestations sanglantes de Lubumbashi, et suspendu le directeur général de la compagnie publique Transco suite à la grève de ses employés… N’est-ce pas un changement réel dans la manière d’exercer le pouvoir ?

Au contraire. C’est pire que Kabila. Du point de vue de la forme, ce n’est pas à lui d’agir, c’est au gouvernement. Ensuite, pour moi, c’est de la communication. À ce jour, je n’ai pas vu de sanction réelle.

Tout ce que je vois, ce sont des tractations pour un partage des postes

Ce que j’attendais de lui, c’est un débat de fond sur l’organisation des institutions. En principe, il vient de l’opposition – je n’y crois d’ailleurs plus. Mais normalement, il devrait porter un projet alternatif à celui du pouvoir, qui est toujours là. Donc pour qu’il impose sa ligne politique, il faut de fortes négociations. Je ne vois pas ça. Tout ce que je vois, ce sont des tractations pour un partage des postes.

Mais nous sommes encore dans une situation transitoire : le nouveau gouvernement n’est pas encore formé. N’est-ce pas normal qu’il essaie d’agir avec les leviers dont il dispose ?

Nos amis belges ont mis deux ans pour former leur gouvernement, parce qu’ils n’arrivaient pas à trouver un consensus sur les questions de fond : la forme de l’État, etc. C’est ce qu’il devrait négocier aujourd’hui. Or, ce débat n’a pas lieu. Au lieu de cela, il pose des actes dans des domaines qui ne sont pas les siens, au travers de son directeur de cabinet qui convoque les gens sans en avoir la compétence… Je suis déçu.

Félix Tshisekedi ne va-t-il pas gagner son autonomie progressivement ?

L’État ne peut se gérer comme ça. Il faut trouver un accord clair et durable sur la gestion du pouvoir à long terme.

Comment savez-vous que ces discussions n’ont pas lieu en privé ?

Elles ne doivent pas avoir lieu dans un cadre privé. Le peuple doit savoir où on l’emmène et y adhérer.

Lamuka, la coalition dont vous faites partie, n’a-t-elle pas intérêt à aider Félix Tshisekedi à gagner en autonomie ?

Nous n’allons pas l’aider à s’émanciper. Ce serait trahir le peuple qui a rejeté son programme et celui de Kabila. De toute façon, comment pourrions-nous l’aider, dans la mesure où les résultats proclamés nous mettent dans une position de faiblesse au Parlement ? Même le parti de Tshisekedi y est d’ailleurs très faible.

Moïse Katumbi, aussi membre de Lamuka, ne s’est pas exprimé pour l’instant. Comment interpréter son silence ?

Moi non plus, je n’avais pas beaucoup parlé jusque-là ! Il n’y a pas d’ambiguïté. Katumbi est avec nous. Il s’est beaucoup battu sur le front diplomatique pour avoir le soutien des chefs d’État.


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Il y a un enjeu personnel : pouvoir retourner dans son pays. Katumbi n’a-t-il pas intérêt à discuter avec Félix Tshisekedi ?

Tshisekedi n’a pas de pouvoir. Je ne crois pas que Katumbi négociera son retour en trahissant le peuple qui l’a beaucoup suivi et qui le suit encore.

Vous-même avez été élu député. Allez-vous siéger ?

J’ai été élu, et même plus largement que les résultats officiels ne le disent. Mais je n’ai pas encore décidé si j’allais siéger.

Vous avez introduit des recours au nom de votre parti, l’Union pour la république (Urep)…

Ce n’est pas mon parti au départ. Je viens du Parti lumumbiste unifié (Palu). Mais Kabila a tout fait pour m’en faire suspendre. Mon parti, c’est Nouvel élan, mais il était trop récemment créé pour prendre part à ces élections. Donc je l’ai fait avec l’Urep. Ses cadres, candidats à la députation, ont exigé ces recours. Donc nous l’avons fait pour la forme. Connaissant la Cour constitutionnelle, je n’y crois pas beaucoup.

Que pensez-vous de l’attitude des chefs d’État des pays voisins, qui ont mis une grande pression avec leur communiqué d’Addis-Abeba, avant de la relâcher en annulant leur visite à Kinshasa ?

Kabila les a pris de court en publiant les résultats avant leur arrivée. Cela rendait leur visite sans objet. Mais ils sont conscients, comme le monde entier, qu’il y a eu fraude. Il n’y avait pas de chef d’État à l’investiture de Félix Tshisekedi, à l’exception du Kényan [Uhuru Kenyatta], qui semble être le parrain de sa coalition. De toute façon, on ne mise pas sur les chefs d’État étrangers. Le vrai travail, nous devons le faire avec le peuple.

La communauté internationale aussi a reconnu la victoire de Félix Tshisekedi. Cela n’a-t-il pas enterré vos espoirs de voir Martin Fayulu reconnu président ?

Ils ne pouvaient pas faire autrement. Mais ils savent qu’il y a eu fraude. À nous, maintenant, de les encourager à revoir leur position par un nouveau rapport de force.

Quelle va être votre stratégie ?

Nous allons porter la lutte démocratiquement, pacifiquement, avec le peuple, qui va continuer à revendiquer le pouvoir qu’on lui a volé. Nous allons organiser un meeting samedi 2 février à Kinshasa.

Félix Tshisekedi a promis d’éradiquer la pauvreté sur tout le territoire. Le front social l’attend. On va bien voir

Ce sera le début. Félix Tshisekedi a promis d’éradiquer la pauvreté sur tout le territoire. Le front social l’attend. On va bien voir.

Des violences de vos partisans, qui estiment s’être fait voler la victoire, seraient-elles compréhensibles à vos yeux ?

La violence est compréhensible. Le peuple est en colère contre ce régime. D’ailleurs, au lendemain de la publication des résultats, le pays a bougé. Ce n’est que parce que Martin Fayulu a appelé au calme que cela s’est arrêté. Nous avons eu peur que des violences contre les édifices publics et entre les communautés soient commises. C’était très dangereux. Nous voulons encadrer le peuple pour que son expression soit démocratique et pacifique.

La violence est-elle légitime ?

Il ne s’agit pas de dire si elle est légitime ou pas. Mais elle s’exprime si elle n’est pas encadrée. Ceci dit, il n’y aura pas de violence de notre part et de notre chef.

Vous êtes originaire de l’ex-Bandundu, comme Martin Fayulu. Cette région a des frontières communes avec le grand Kasaï, fief de Félix Tshisekedi. Y a-t-il le risque d’un conflit communautaire ?

Il y a déjà eu cela à Tshikapa, au moment des milices Kamuina Nsapu. Le risque existe à cause de la misère et de l’insécurité. Tant qu’on ne règle pas les injustices, il y a un risque que ça reprenne. C’est un défi pour Tshisekedi. Pour le relever, il peut par exemple ouvrir le dossier des fausses communes dans le Kasaï, et faire toute la lumière sur les charniers.