Société

Hervé Renard : « Le Maroc fait partie des gros outsiders de la CAN 2019 »

Le 9 janvier dernier à Dakar, Hervé Renard a reçu de la CAF le titre de meilleur entraîneur du continent africain pour la troisième fois, après 2012 et 2015. Le technicien français, qui dirigera le Maroc lors de la CAN 2019 en Égypte (15 juin-13 juillet), a accepté de répondre longuement aux questions de Jeune Afrique.

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Mis à jour le 19 janvier 2019 à 16:04

Hervé Renard, sélectionneur français du Maroc. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Les vacances se terminent pour Hervé Renard, 50 ans, qui profite de ses derniers jours de repos dans sa maison au Sénégal. Dans quelques jours, il se rendra aux Émirats arabes unis pour assister à des matches de la Coupe d’Asie des nations, avant de rentrer au Maroc. Récemment récompensé par la CAF, le champion d’Afrique 2012 (Zambie) et 2015 (Côte d’Ivoire) revient sur ce titre, ses expériences africaines et ses ambitions.

Jeune Afrique : Que ressentez-vous après ce titre de meilleur entraîneur d’Afrique, obtenu pour la troisième fois en six ans ?

Hervé Renard : Beaucoup de fierté. Il y a une chanson de Soprano, qui est franco-comorien, et qui s’intitule « ma vie est un miracle. » On va dire que j’exagère un peu, mais pourtant, c’est un peu ce que je ressens. Quand Claude Le Roy m’a proposé d’être son adjoint au Ghana, j’étais en national, le troisième niveau en France. Onze ans plus tard, je suis le sélectionneur du Maroc, une des meilleures équipes d’Afrique, avec qui j’ai disputé la Coupe du Monde, j’ai gagné deux fois la CAN avec deux équipes différentes… Avec le recul, c’était presque inespéré. Ma relation avec le continent africain a débuté en 2007. J’ai tout de suite aimé les couleurs, l’enthousiasme et la passion autour du football. J’ai travaillé au Ghana, en Zambie, en Angola, en Algérie, en Côte d’Ivoire et désormais au Maroc. J’ai vécu des moments fabuleux, d’autres plus compliqués.

Comme en Angola, en 2010 ?

Oui, par exemple. J’étais venu avec un projet, un staff, et au bout de six mois, je me suis aperçu que rien n’avait bougé. Je suis donc parti. J’ai aussi entraîné deux clubs en France, Sochaux (2013-2014) et Lille (2015). A Sochaux, on avait manqué de rien le maintien, et ce fût une très belle expérience. Lille, par contre, reste le plus mauvais choix de ma carrière. Mais il faut toujours retirer du positif des expériences négatives.


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Venir au Maroc, ce n’était pas forcément un choix facile…

Mais c’est aussi pour cela que j’ai accepté la proposition marocaine. Je voulais voir si j’étais capable de diriger une sélection nord-africaine, et d’y obtenir des résultats. J’avais été le sélectionneur de trois sélections subsahariennes, dans des parties de l’Afrique très différentes. Le Maroc, c’était une nouvelle culture, un nouvel environnement, mais aussi une vraie passion pour le foot. Le challenge me tentait d’autant plus que les Lions de l’Atlas, depuis la finale de la CAN 2004 (1-2 face à la Tunisie) n’avaient plus vraiment de résultats.

Une CAN au Maroc, cela aurait été fantastique…

Depuis votre arrivée, le Maroc s’est qualifié pour les CAN 2017 et 2019, et la Coupe du Monde. Les objectifs ont été atteints…

Ils l’ont été parce que la fédération met à ma disposition des moyens exceptionnels. Je travaille vraiment dans de très bonnes conditions. Le Centre technique national, à Rabat, sera bientôt terminé et j’espère que nous pourrons y préparer la CAN. J’ai aussi la chance de d’avoir un staff technique et médical de qualité, et aussi de très bons joueurs. Cela aide pour atteindre les objectifs. Même si, en Russie, je persiste et je signe : on devait se qualifier pour les huitièmes de finale. Mais que ce soit contre le Portugal (0-1) ou l’Espagne (2-2), nous avons été victimes de décisions arbitrales anormales. C’est comme ça, on ne va pas refaire l’histoire.

Le Maroc a terminé à la première place du classement annuel des sélections de Jeune Afrique

Et c’est une vraie satisfaction. Cela prouve qu’on travaille bien, qu’on avance. Et qu’il faut continuer.


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Cela va un peu plus renforcer les ambitions de vos dirigeants, qui évoquent déjà une victoire lors de la CAN 2019 en Égypte…

On ira avec des ambitions, c’est normal. Mais aujourd’hui, il y a deux grands favoris : l’Égypte, bien sûr, et le Sénégal. Le Maroc, avec l’Algérie, la Tunisie, la Côte d’Ivoire et d’autres, fait partie des gros outsiders. Chacun exprime comme il le veut ses objectifs. Moi, je dis qu’on va aller en Égypte pour faire une belle CAN. Dire qu’on va la gagner, c’est autre chose. Il ne faut pas oublier que rien n’est facile lors d’une CAN. On va affronter des équipes très motivées. On ne sera pas chez nous, et on sait qu’à l’extérieur, c’est toujours plus compliqué. On en saura un peu plus, après le tirage au sort de la phase finale, le 9 avril prochain.

Longtemps, on a cru que le Maroc serait candidat à l’organisation de la CAN 2019, après que la compétition a été retirée au Cameroun. Finalement, il ne l’a pas été. Avez-vous été déçu ?

Quand j’ai appris que la CAN n’aurait pas lieu au Cameroun, j’ai pensé que le Maroc était un des rares pays africains à pouvoir organiser dans d’excellentes conditions un tournoi à vingt-quatre, car il y a tout ce qu’il faut dans le Royaume. Finalement, le Maroc n’a pas été candidat. J’ai bien sûr été déçu, car une CAN au Maroc, cela aurait été fantastique. E pense que les supporters aussi auraient aimé que cela se passe chez eux. Mais ce n’est pas moi qui décide…

Vous suivez le championnat marocain. Quel est votre avis sur son vrai niveau ?

Il est assez bon. Il progresse. Les clubs sont de mieux en mieux structurés, à tous les niveaux. Il y a de bons joueurs qui sont formés au Maroc. Au niveau international, le WAC Casablanca a remporté la Ligue des Champions en 2017 et la Raja la Coupe de la CAF en 2018. Cela signifie quelque chose, comme les résultats de la sélection. Le football marocain est en pleine dynamique, et il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête.

Moi, je serais le président d’une fédération africaine, je m’intéresserais vraiment à Patrice Beaumelle

Au sein de votre sélection, on trouve des locaux, des joueurs nés en France ou aux Pays-Bas…

(Il coupe) De l’extérieur, cela peut paraître compliqué. Mais de l’intérieur, ce n’est pas le cas. On a un groupe qui vit bien. Ceux qui sont nés aux Pays-Bas ou en France ont toujours eu un lien avec leur pays d’origine. Car leurs parents, même depuis l’Europe, leur ont également inculqué la culture marocaine. Ainsi, tous parlent arabe. Après, évidemment, comme dans toutes les équipes, il y a des affinités. Les Néerlandophones ont davantage tendance à être entre eux, car ils ne parlent pas français. Mais cela n’empêche pas l’ambiance d’être bonne : sur et en dehors du terrain.

Parlez-nous de votre relation avec Patrice Beaumelle, votre fidèle adjoint, avec qui vous travaillez depuis près de dix ans, hormis à Sochaux…

Je l’ai rencontré lors d’un stage d’entraîneurs. Quand j’ai été nommé sélectionneur de la Zambie, en 2008, je l’ai appelé en lui demandant ce qu’il faisait les deux prochaines années. Il a accepté de me suivre. On forme un duo complémentaire. Nos personnalités sont différentes. On croit que je suis plus extraverti, mais Patrice, c’est un sudiste, il parle beaucoup plus que moi (rires). Il est efficace, compétent, et on se comprend très vite. Mais un jour, il faudra qu’il aille chercher la lumière. Il a été sélectionneur de la Zambie quand je suis parti à Sochaux. Moi, je serais le président d’une fédération africaine, je m’intéresserais vraiment à lui. Je n’oublie pas que Claude Le Roy, dont j’avais été l’adjoint, avait parlé de moi à Kalusha Bwalya, alors président de la fédération zambienne, car Claude estimait que j’étais prêt pour entraîner une sélection.

Comment voyez-vous votre avenir ?

Je suis sous contrat avec le Maroc jusqu’en 2022. J’ai travaillé dans neuf pays, je peux aller partout. J’ai toujours privilégié le projet sportif au volet financier. Et même si on devait me proposer un jour un très gros contrat, l’aspect sportif sera très important, qu’il s’agisse d’une sélection ou d’un club. Les objectifs, les ambitions, pour moi, sont des choses importantes.