[Tribune] Élections en RDC : avec ses résultats, la Ceni sonne le glas de la démocratie

Avec des résultats qui interrogent, dus à un non-respect des procédures de contrôle existantes, la Ceni a abusé de sa position institutionnelle lors des scrutins du 30 décembre 2019 en RDC.

La Ceni lors de l’annonce des résultats, à Kinshasa. © Jackson Njehia/REUTERS

La Ceni lors de l’annonce des résultats, à Kinshasa. © Jackson Njehia/REUTERS

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  • Botethi Beya Liandja

    Expert en stratégie et en management public. Diplômé en administration d’élections, il contribue depuis 2006 à l’élaboration de rapports sur le processus électoral en RDC.

Publié le 15 janvier 2019 Lecture : 3 minutes.

Félix Tshisekedi, quelques instants après la proclamation de sa victoire par la Ceni, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2019. © REUTERS/Olivia Acland
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Présidentielle en RDC : l’alternance, et après ?

Après deux années d’une crise politique ouverte en décembre 2016, la RDC a renoué avec les urnes. Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur par la Ceni, devant Martin Fayulu et Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila. Une victoire accueillie entre joie et contestations.

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Dans la nuit du 10 au 11 janvier 2019, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a publié les résultats provisoires de l’élection présidentielle, mettant ainsi fin à deux années d’attente. Si la victoire annoncée de l’opposant Félix Tshisekedi, le candidat de la plateforme Cap pour le changement (Cach), marque une alternance politique à la tête du pays, Martin Fayulu, le candidat de Lamuka, l’autre plateforme de l’opposition, crie au hold-up électoral.

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A priori, rien de plus normal que le verdict d’une élection soit contesté par l’une ou plusieurs des parties prenantes. Cependant, à y regarder de plus près, les chiffres de la Ceni causent des problèmes quant à leur origine.

Des chiffres qui interrogent

Depuis les élections de 2006, la loi électorale congolaise a connu plusieurs modifications afin d’apporter toujours plus de transparence et d’efficacité dans le processus électoral notamment dans les procédures de traçabilité des résultats. Ceux de chaque bureau de vote sont inscrits dans les procès-verbaux (PV) qui sont envoyés dans les centres locaux de compilation de résultats (CLCR), où les témoins des candidats y sont également admis. Une fois la compilation des CLCR terminée et vérifiée, les PV consolidés sont transmis au centre national de traitement de la Ceni pour consolidation nationale. C’est la procédure qui a toujours prévalue depuis les élections de 2006, et qui a même été rappelée par la Ceni en novembre 2018.

Alors que plusieurs compilations au sein des centres locaux ne sont pas encore terminées, la Ceni annonce les résultats des élections

Cette procédure offre l’avantage de permettre à chaque candidat, avant la publication provisoire des résultats par la Ceni, d’introduire au niveau des centres de compilation des recours administratifs suite à des erreurs matérielles constatées. Cette étape de procédure de la compilation explique l’opposition de certaines parties prenantes à l’utilisation de la machine à voter (MAV), en dehors du fait de son illégalité pour le scrutin de 2018. Alors que plusieurs compilations au sein des centres locaux ne sont pas encore terminées, la Ceni annonce les résultats des élections. D’où la Ceni sort-elle ces chiffres ?

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L’une des explications plausibles, malgré les écarts entre les PV manuels et les résultats annoncés constatés par la mission d’observation électorale de l’Église catholique (Cenco), reste l’utilisation illégale des PV issus de la machine à voter. Ce choix irresponsable de la Ceni devrait conduire en toute logique à l’annulation de l’élection comme cela a été le cas au Kenya en 2017 pour des problèmes de même nature. De plus, refusant de publier les résultats bureau par bureau comme l’exige la loi, la Ceni renvoie tout le monde auprès de la Cour constitutionnelle. Cette dernière est saisie en recours juridique. En qualité de juge électoral, il lui est loisible de demander un comptage manuel des PV. La jurisprudence en la matière ainsi créée devra s’appliquer à tous les trois scrutins du 30 décembre.

Responsabilité de la Ceni

En effet, la Ceni a également appliqué la même recette aux élections législatives nationales et provinciales. Outre les sujets habituels de contentieux, les juges électoraux se retrouveront à traiter des calculs mathématiques que les recours administratifs auraient évité. Concernant les deux élections législatives, le recomptage de PV portera à la fois sur les voix obtenues individuellement par un candidat mais également sur les voix collectifs de chaque regroupement politique en lice. En effet, plusieurs candidats n’ont pas été élus dans leur circonscription uniquement à cause du seuil d’éligibilité collectif non atteint par leur regroupement politique. Cette situation pourrait conduire à une recomposition totale des différentes assemblées.

La Ceni manœuvre non pas pour un hold-up mais pour un véritable coup d’État électoral.

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Plus que l’institution elle-même, ce sont les hommes qui la composent qui en font sa réputation. La situation particulière que connaît la RDC aujourd’hui relève en majeure partie de la responsabilité des dirigeants de la Ceni. Après des saignées effectuées tout au long du processus électoral, avec les enrôlements douteux, les invalidations iniques, le non-respect du calendrier et le déploiement partiel du matériel le jour du scrutin, voilà que l’estocade est portée avec l’annonce des résultats. De même à plusieurs reprises, Corneille Naanga, le président de la Ceni, a tenu des propos mensongers devant l’opinion publique et les institutions internationales sur la non-utilisation des résultats issus des machines à voter.

En ne respectant pas les lois de la République malgré les différents engagements publics pris par son président, la Ceni a abusé de sa position institutionnelle. Elle manœuvre non pas pour un hold-up mais pour un véritable coup d’État électoral.

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