Économie

Pourquoi Air France réclame 46 millions de dollars à Air Madagascar

Comme l’a révélé Jeune Afrique en décembre, la compagnie malgache a assigné devant le tribunal de commerce de Paris son homologue française suite à un désaccord quant au montant de la vente de deux avions. La survie d’Air Madagascar est en jeu dans cette affaire dont le verdict est attendu le 13 février.

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Mis à jour le 10 janvier 2019 à 12:31

Air Austral détient aujourd’hui 49% d’Air Madagascar et entend bien redresser la compagnie à la dérive. © Alan Wilson by Wikimedias Commons

C’est un des tout premiers dossiers brûlants que le président élu à Madagascar, Andry Rajoelina, aura à gérer après son intronisation. Une affaire qui date de 2012, une époque où il était chef de l’État à titre transitoire et où son successeur (et prédécesseur), Hery Rajaonarimampianina, présidait le conseil d’administration de la compagnie nationale.

À l’époque, la crise politique sévit sur la Grande Île et Air Madagascar est depuis un an sur la liste noire de l’Union européenne, officiellement appelée Annexe B. Dans la précipitation et sous pression, les équipes du pavillon malgache signent un contrat de location-vente d’une durée de sept ans pour deux Airbus A340 d’occasion auprès d’Air France, pour un montant de 67 millions de dollars. L’un doit assurer le vol vers Paris, l’autre est dédié au trajet Tana-Bangkok-Canton, avec pour le premier des équipages fournis par Air France.

Rachat anticipé

Après avoir regardé d’autres A340 de Turkish Airlines, les dirigeants d’Air Madagascar préfèrent les conditions proposées par le français : pas d’apport et un paiement en 72 mensualités. « À cette époque, les valeurs résiduelles des appareils, dont Airbus avait stoppé la production en 2011, avait plongé. Plus aucune compagnie n’achetait ces avions dotés de quatre moteurs, qui revenaient trop cher en entretien et en carburant, surtout avec un baril à 110 dollars », rapporte une source proche du dossier.

Six ans après – en avril 2018 -, Air Madagascar, qui s’est associé à Air Austral en 2017 dans le cadre de l’apurement de ses dettes, entend procéder au rachat anticipé des deux appareils en question, dont Air Austral souhaitait la rapide mise au rebut. La somme totale de 55 millions de dollars avait déjà été versée au titre des loyers : 24 millions de dollars pour le premier (dont 5 millions d’intérêts), 31 millions de dollars (dont 7 millions d’intérêts) pour le second.

Des mois de négociations infructueuses

Mais comme l’a révélé en exclusivité Jeune Afrique en décembre, les deux compagnies peinent à s’accorder sur le montant du solde, et Air Madagascar, actuellement en phase de relance, a porté l’affaire en urgence devant le tribunal de commerce de Paris, après des mois de négociations infructueuses. Car c’est près de 46 millions de dollars que réclame Air France à Air Madagascar, alors que l’opérateur malgache estime que sa note devrait s’élever à 23,5 millions de dollars, 9 millions pour le premier A340, 14 millions pour le second.

Si le tribunal donnait raison à Air France, c’est un total de 101 millions de dollars (les 55 millions déjà versés et les 46 millions demandés) que devrait payer la compagnie d’Antananarivo pour un type d’appareil qui s’échangeait à l’époque entre 10 et 20 millions de dollars. En revanche, en s’en tenant au calcul d’Air Madagascar, la compagnie, qui a 20 millions de dollars en réserve de maintenance chez Air France, n’aurait plus que 3,5 millions de dollars à sortir.

Expert indépendant

Au cœur de la bataille juridique, un article du contrat stipulant que l’avion doit être remis à niveau à un certain potentiel. Contactées, aucune des deux compagnies n’a souhaité commenter l’affaire en cours. Après un premier round courant décembre, la prochaine audience se tiendra le 13 février à Paris.

Mais selon des sources proches du dossier, Air France, qui conserve actuellement les titres de propriété des avions, pourrait plaider le fait que les directions successives d’Air Madagascar (avant la signature du partenariat stratégique avec Air Austral) ont confirmé trois fois depuis 2012 le contrat de location-vente. De son côté Air Madagascar, qui ne se sentirait pas comptable des engagements de directions antérieures, pourrait faire valoir la nullité du contrat et des conditions abusives. Selon certains observateurs, un expert indépendant pourrait être nommé pour trancher.

Une faillite laisserait le champ libre à Ethiopian Airlines

Il y a urgence à trouver une issue, car la compagnie malgache qui a engagé sa relance n’est pas en mesure de régler la note et se trouverait de fait condamnée si les conclusions n’étaient pas en sa faveur. Un arrangement de nature politique apparaît à ce jour difficile, d’autant plus que le nouveau président d’Air France-KLM, le Canadien Ben Smith, est encore peu rompu aux relations avec les pays africains et qu’il devra faire accepter un accord à la fois à ses partenaires néerlandais et à ses syndicats de pilotes. Délicat… À moins que la compagnie française ne fasse monter les enchères avant de consentir à ce qu’elle estimerait être un geste.

À Madagascar, dans les cercles officiels, on regrette que le dossier ne soit pas traité directement par la direction d’Air France mais renvoyé à des directions techniques. Alors que la population de la Grande Île doit doubler dans les vingt prochaines années et que le pays mise beaucoup sur le tourisme, une faillite d’Air Madagascar laisserait inévitablement la place à Ethiopian Airlines, qui pourrait être le grand gagnant de l’affaire.

Le transporteur éthiopien, qui avait postulé en vain pour devenir partenaire stratégique d’Air Madagascar en 2017, mène depuis un an une offensive importante sur Antananarivo et Nosy Be, ne cessant de demander des fréquences supplémentaires … au grand dam d’Air Madagascar.