Dans le vaste bureau de l’abbé Donatien Nshole, la climatisation tourne à plein régime sans pour autant refroidir ses nerfs. Depuis le report de l’élection présidentielle dans quatre circonscriptions (Beni, Beni-ville, Butembo et Yumbi), le secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) ne mâche plus ses mots. « Les raisons avancées, comme l’épidémie d’Ebola, ne me convainquent pas, assure-t-il à Jeune Afrique. Les gens étaient bien plus exposés pendant la campagne. Je n’exclus pas qu’il y ait un agenda caché derrière cela ».
Voilà qui tranche avec les discours, parfois lénifiants, des prêtres catholiques. Ce pourrait n’être qu’un tour de chauffe. En tant que porte-parole de la Cenco, c’est à cet homme de 55 ans que reviendra la lourde tâche de dire, au nom de l’Église catholique, si le scrutin du 30 décembre était sincère ou frauduleux. Dans la forme, son franc-parler pourrait faire la différence. « C’est mon caractère, sourit-il. Je suis comme ça depuis tout petit. »
Des résultats propres à la Cenco
Pour se porter garant du scrutin, la Cenco a mis en place un dispositif inédit. Sa Commission épiscopale justice et paix (CEJP), soutenue par les agences de développement de huit pays occidentaux, doit déployer 40 000 observateurs dans tout le pays – de quoi couvrir l’intégralité des quelque 20 000 centres de vote. Elle a même équipé certains de ses agents de téléphones satellitaires : ils pourront communiquer, même depuis les zones non couvertes par les réseaux ou en cas de coupure des télécommunications.
Nous ne souhaitons pas le bras de fer. Il n’aura lieu que si l’on cherche à cacher la vérité
À partir de ces données, recueillies à la source, la CEJP prévoit de faire sa propre compilation des résultats, parallèlement à ceux de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Elle sera, de loin, l’institution la mieux placée pour la contredire si nécessaire.
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Un parti pris
Mais jusqu’où l’abbé Donatien Nshole sera-t-il prêt à aller ? Traditionnellement, l’Église catholique évite de se retrouver parti à un conflit. « Nous ne souhaitons pas le bras de fer, convient-il. Il n’aura lieu que si l’on cherche à cacher la vérité. »
Lorsqu’il a été confronté à la guerre, l’abbé Nshole a toujours mis tout en œuvre pour éviter qu’il y ait des morts. En 1997, il est enseignant au grand séminaire de Kikwit à l’arrivée des troupes rebelles de Laurent-Désiré Kabila venues chasser le maréchal Mobutu Sese Seko. Avec d’autres prêtres, il plaide alors auprès des soldats de Mobutu pour qu’elles évitent la confrontation, et offre aux rebelles le gîte et le couvert, pour éviter les pillages.
À plusieurs moments clés de l’histoire congolaise, l’Église catholique a toutefois su se mesurer au pouvoir. En 1991, Mgr Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kisangani, a présidé la Conférence nationale souveraine, censée démocratiser le régime Mobutu. Devenu cardinal, c’est encore Monsengwo qui a déclaré, au lendemain des élections de 2011, que ses résultats n’étaient « conformes ni à la vérité, ni à la justice ». L’abbé Nshole est l’un de ses disciples, natif du même territoire que lui (Kutu dans la province du Mai-Ndombe, dans l’ouest du pays).
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Une médiation difficile
L’Église catholique s’est, de plus, particulièrement impliquée dans ce processus électoral. Fin 2016, alors que la fin du dernier mandat de Joseph Kabila approchait, les évêques ont joué les médiateurs entre pouvoir et opposition pour aboutir aux fameux accords de la Saint-Sylvestre. L’abbé Nshole, à l’époque secrétaire général de la Cenco par intérim (il a depuis été élu pour six ans), n’en a pas gardé que des bons souvenirs.
« Nous avions organisé cette médiation pour le bien du Congo. Mais les hommes politiques, de la majorité comme de l’opposition, n’étaient là que pour défendre leurs intérêts, accuse-t-il. Ils s’étaient même mis d’accord pour augmenter le nombre de ministères à se répartir, dans notre dos. Nous avons dû les menacer pour qu’ils reviennent à la raison ».
Depuis, ce titulaire d’un doctorat en théologie de l’université pontificale urbanienne de Rome estime que le pouvoir n’a pas respecté l’accord de bonne foi. « Mais l’opposition nous a aussi déçus par son incapacité à préserver son unité », ajoute-t-il.
Ce sera aux évêques de décider, en fonction du contexte, d’ouvrir ou non l’accès aux résultats recueillis par les agents de l’Église
Pour les élections du 30 décembre, l’abbé Donatien Nshole exclut de publier ses résultats avant la Ceni. « La loi n’autorise pas d’autres institutions à faire la proclamation », assure-t-il. La Cenco devrait en revanche publier un rapport « qualitatif », sur la manière dont s’est déroulé le scrutin deux jours après la fermeture des bureaux de vote.
Après la proclamation des résultats, envisagera-t-il d’ouvrir l’accès aux résultats recueillis par les agents de l’Église ? « Ce sera aux évêques d’en décider, en fonction du contexte », lâche-t-il.