Politique

Maroc : le PAM peut-il sortir de la tourmente et réussir le pari de devenir « le parti des régions » ?

Réputé proche du Palais depuis sa naissance, le Parti authenticité et modernité (PAM) a fêté ses dix ans dans une ambiance morose, sur fond de fronde interne. Des cadres estiment néanmoins que la formation, forte de son ancrage local, peut se rénover pour devenir « le parti des régions », et tourner la page d’une action tournée vers l’opposition aux islamistes.

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Mis à jour le 6 janvier 2019 à 11:04

Hakim Benchamach, secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM) et président de la deuxième chambre du Parlement marocain. © Vincent Fournier/JA

Ces derniers temps, il était même difficile pour les journalistes politiques de prendre la température du Parti authenticité et modernité (PAM), en l’absence de porte-parole. La formation a récemment pallié à la situation, en nommant à ce poste Khadija El Gour, mais l’épisode confirme que depuis qu’Ilyas El Omari, président de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, a quitté ses fonctions de Secrétaire général (SG) fin mai 2018, le PAM semble dans la tourmente.

Hakim Benchamach, nouveau SG – par ailleurs président de la Chambre des conseillers, chambre haute du Parlement marocain – , est très décrié en interne. Si peu de militants prononcent le mot de « crise », Mehdi Bensaïd, ancien parlementaire et membre du bureau politique du parti, n’hésite pas à l’employer dans une déclaration à Jeune Afrique : « Dix ans après sa naissance, le PAM vit une crise, certes, mais dont il peut se relever. Il suffit d’y travailler. Les atouts et la légitimité sont là. »


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Bensaïd, avec d’autres cadres du parti, a constitué une commission reconnue par le secrétaire général et par la présidente du Conseil national, Fatima-Zahra Mansouri, qui a sévèrement critiqué la nouvelle gestion. Le nouvel organe doit aider le parti à se réunir alors que certains cadres, comme l’avocat Abdellatif Ouahbi, appelle à en dissoudre les instances.

Mais dans le fond, et certains l’admettent à demi-mot, il semble que la crise que traverse le PAM n’est pas qu’organique. « Nous devons en effet ajuster notre programme, après que le peuple marocain a replacé le social au cœur du débat », tranche Bensaïd. Les dernières années au Maroc ont en effet été marquées par des mouvements sociaux offensifs (dans le Rif, la région minière de Jerada ou encore à Zagora), dont la majorité de la classe politique a semblé déconnectée.

Après les « progressistes », les « régionalistes » ?

Le PAM, depuis sa naissance en 2008, est un attelage d’anciens militants de gauche et de « progressistes », de notables et d’une jeune génération de militants politiques d’obédience libérale. Le parti est effectivement né sous l’impulsion de Fouad Ali El Himma, aujourd’hui conseiller royal, ancien ministre de l’Intérieur et proche de longue date du roi Mohammed VI. Le projet initial de maintenir une digue face aux islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) ne suffit plus. D’autres formations politiques et personnalités endossent aujourd’hui ce rôle : le puissant ministre de l’Agriculture et grand patron Aziz Akhannouch et son parti, le Rassemblement national des indépendants (RNI), qui ont engagé le bras de fer avec le PJD au sein du gouvernement.

À l’intérieur même du PAM, la frange progressiste qui incarnait l’opposition à l’islamisme a perdu de sa force. Salah El Ouadie, ancien militant d’extrême gauche et ex-prisonnier, reconverti dans la défense des droits humains et des libertés individuelles, a quitté la formation en 2014. En 2016, une voix féminine de gauche du parti, Khadija Rouissi, est nommée ambassadrice au Danemark, bien loin de Rabat.

Le PAM peut faire le pari d’attirer des politiques de toutes les régions, mais aussi des profils plus technos et intellos que notables et, surtout, des jeunes

Mais le PAM peut compter sur une assise régionale. Aux élections régionales et communales de 2015, il est arrivé second, derrière les islamistes mais devant le « plus vieux parti du Maroc », l’Istiqlal, l’autre principale formation d’opposition aujourd’hui. Le PAM préside cinq régions sur 12 des circonscriptions renforcées dans leurs compétences depuis 2011.

En interne, les présidents de région pèsent. Le comité des sages réunis pour remédier à la crise se base sur eux : Abdenbi Bioui, président de la région de l’Oriental, Ahmed Akhchichine, de Marrakech-Safi, et Mustapha Bakkoury, de Casablanca-Settat. Un retour aux « notables », ce pouvoir profond au Maroc, pour le PAM, qui en a toujours compté dans ses rangs ? Un militant et élu local promet que non : « Le PAM peut faire le pari d’attirer des compétences et des politiques de toutes les régions, mais aussi des profils plus technos et intellos que notables et, surtout, des jeunes. »

Allier déconcentration et mesures sociales

La démission d’Ilyas El Omari de son poste de secrétaire général pourrait être de mauvaise augure : le président de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima se fait discret depuis l’émergence du mouvement social du Hirak du Rif, qui a notamment dénoncé une mauvaise gestion des programmes de développement locaux.

Mais notre militant et élu assure que le PAM peut incarner « la voix des régions » et plaider « en faveur d’une déconcentration encore plus accrue », quelques années après la réforme de la régionalisation. Mehdi Bensaïd appelle à mêler virage social et projet de déconcentration : « Les citoyens parlent avant tout de santé et d’éducation. Dans ces domaines aussi, on peut défendre des prérogatives accrues pour les régions. »


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Mehdi Bensaïd estime que le parti doit se réorganiser en conséquence : « Le PAM, c’est quelques 6 000 élus locaux, soit bien plus que la plupart des autres formations. Ces élus demandent du soutien, et nous devons peaufiner une machine qui puisse le leur offrir. » À en croire certains frondeurs, c’est justement à une réorganisation interne du parti sur des bases régionales qu’une partie de la direction s’oppose : « Nous aimerions justement que le parti colle à la réalité et au projet de régionalisation, en offrant plus de pouvoir à ses instances locales », confie à Jeune Afrique Abdellatif Ouahbi, membre du bureau politique et représentant de la région Souss-Massa.

Si Mehdi Bensaïd se refuse à citer nommément ses camarades, un autre membre du bureau politique, sous couvert d’anonymat, ne cache pas que le profil de Fatima Zahra Mansouri, ancienne présidente de la commune de Marrakech, pourrait correspondre à l’image d’un PAM réformé.