Politique

Tunisie : Slim Riahi « ne peut pas rentrer au pays dans de telles conditions », estime son avocat

Alors que la plainte de Slim Riahi contre Youssef Chahed et plusieurs de ses proches a été déboutée par la justice militaire, l’absence prolongée à l’étranger du secrétaire général de Nidaa Tounes suscite des interrogations. Entre accusations de fuite et complot politique, les hypothèses vont bon train. Décryptage.

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Mis à jour le 5 février 2019 à 18:16

L’homme d’affaires tunisien Slim Riahi, en campagne lors de l’élection présidentielle de 2014. © AP/SIPA

Rentrera ? Rentrera pas ? Slim Riahi, secrétaire général du parti Nidaa Tounes, se trouve à l’étranger depuis le 23 novembre dernier. Un séjour prolongé, non sans conséquences. L’administration de la justice militaire a annoncé, lundi 10 décembre dans un communiqué, que la plainte de ce dernier contre le chef du gouvernement et d’autres personnalités pour fomentation de coup d’État avait été classée sans suite.


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L’homme d’affaires s’était d’abord rendu le 23 novembre à Paris, où il avait été invité sur le plateau de « Tunis Paris », une émission de la chaîne France 24. C’est à cette occasion qu’il avait révélé sa plainte auprès du tribunal militaire. Depuis, le fondateur de l’ex-parti Union patriotique libre (UPL) s’est rendu à Londres, où résident ses enfants.

Classement sans suite

Pourquoi Slim Riahi a-t-il quitté le pays après avoir jeté ce pavé dans la marre ? Les accusations sont graves. Son avocat, Taïeb Bessadok, affirme que son client a quitté son pays, entre autres, pour des raisons de sécurité. « Ce n’est pas facile de porter plainte contre un chef de gouvernement. Cela l’a évidemment mis en danger. C’est pour cela qu’il a préféré partir à l’étranger après la plainte », confie-t-il à Jeune Afrique.

Des arguments auxquels la justice militaire ne semble pas sensible. Dans un communiqué, l’administration concernée mentionne deux absences à ses convocations, les 30 novembre et 6 décembre 2018. Pour la première, le plaignant invoque officiellement des raisons professionnelles ; pour la seconde, une cause médicale. Sa défense a d’ailleurs présenté une ordonnance datée du 3 décembre, délivrée par une clinique privée à Londres.

Je suis en contact permanent avec mon client [Slim Riahi] qui veut engager un recours

Le procureur de la République a décidé, « en application de l’article 30 du Code de procédure pénale, de classer l’affaire et de prendre les mesures légales nécessaires ». Selon l’avocat de Riahi, sa demande de report de la dernière audition au 13 décembre pour raisons médicales n’a pas été acceptée. « Cette décision de classement est totalement injuste. D’après l’article 30 du Code de procédure pénale, ce n’est pas au procureur de prendre ce type de décisions, mais au juge d’instruction. J’attends d’avoir la décision judiciaire en main pour préparer la bonne stratégie. Je suis en contact permanent avec mon client qui veut engager un recours », révèle-t-il.

L’article 30 du Code de procédure pénale précise pourtant bien que c’est le procureur de la République qui « apprécie la suite à donner aux plaintes et dénonciations qu’il reçoit ou qui lui sont transmises ».

Retour, alliance puis rupture avec Chahed

Dans les sphères politiques et médiatiques, le timing de son départ en a étonné plus d’un. Selon son avocat, il aurait voulu profiter de son premier séjour à l’étranger depuis la levée de son interdiction de voyage, maintenue du 20 septembre 2017 au 24 juillet 2018. En effet, l’homme d’affaires est visé par plusieurs poursuites judiciaires, notamment pour « blanchiment d’argent » et suspicion de corruption, à la suite d’une plainte déposée par le comité des finances de la Banque centrale.

En décembre 2017, Riahi avait d’ailleurs quitté la vie politique pour se consacrer à sa défense, avant de faire son retour le 26 août dernier. « Je n’aurais jamais osé réintégrer la politique sans être sûr de mon innocence. D’ailleurs, je lutte, encore, pour clôturer définitivement ce dossier », avait-il indiqué dans un statut Facebook. Depuis 2018, il est également accusé de détournement de fonds par le comité directeur du « Club africain », équipe de football tunisoise dont il était le propriétaire.  Contacté par Jeune Afrique sur son numéro anglais, l’ex-président de l’UPL a accepté le principe d’une interview, avant de ne plus répondre à nos sollicitations.


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Le récent passé politique de Slim Riahi a aussi été très mouvementé. En son absence, douze députés de son ancien parti avaient rejoint la Coalition nationale, un nouveau groupe parlementaire proche du chef du gouvernement, Youssef Chahed. Une alliance de très courte durée : le 11 octobre, il a demandé à ce que le ministère de la Justice revienne à sa formation, ce qui avait été refusé. Depuis, la guerre est ouverte.

Slim Riahi ne cache plus son aversion pour le Premier ministre. Samedi 13 octobre, lors du congrès de l’UPL à Sousse, l’ex-président du Club africain a appelé à un remaniement ministériel et au départ du chef de l’exécutif. Dimanche 14 octobre, l’homme d’affaires a annoncé sur sa page Facebook la fusion de son parti avec celui du président Hafedh Caïd Essebsi, en guerre froide avec Youssef Chahed.

Une contre-attaque à venir ?

Pour Lazhar Akremi, avocat et ancien dirigeant de Nidaa Tounes, visé par sa plainte dans l’affaire du coup d’État, Slim Riahi a pris la fuite à la suite de ses déboires judiciaires. « Il n’aura même pas passé deux mois en tant que secrétaire général de Nidaa Tounes. Je crois que tout cela était prémédité », analyse-t-il pour Jeune Afrique. « Dans la fusion de l’UPL avec le parti de Hafedh Caïd Essebsi, il a perdu ses 14 députés, et il est maintenant bloqué à l’étranger. Résultat : il sera probablement poursuivi par le tribunal militaire, car à mon sens le dossier de plainte était vide. Il a accusé Raouf Mradaa, chef de la sécurité de la présidence, d’être impliqué dans ce coup d’État. Cela ne peut pas être pris à la légère ! »

Pour l’avocat du plaignant, l’empressement du procureur à enterrer l’affaire révèle la non neutralité de la justice

L’ancien dirigeant de Nidaa Tounes ne portera toutefois pas plainte contre Slim Riahi. « Pour moi, le dossier est clos. Nous avons été acquittés », affirme Lazhar Akremi. Contacté par Jeune Afrique, Mofdi Mseddi, conseiller en communication de Youssef Chahed, mis en cause lui aussi dans cette affaire, n’envisage pas non plus de plainte pour l’instant.

Pour l’avocat du plaignant, l’empressement du procureur à enterrer l’affaire avant la fin de l’instruction, « après seulement deux semaines », révèle la « non neutralité de la justice ». Il ne rentrera pas, affirme Taïeb Bessadok pour faire taire les rumeurs : « Aujourd’hui, mon client est constamment harcelé par les médias. Tous pressentent son interpellation dès son arrivée à l’aéroport. La justice s’acharne elle aussi contre lui. Dans de telles conditions, il ne peut pas rentrer au pays », conclut-il.