À New York, mercredi 5 décembre, le verdict n’a surpris personne. « Il y avait juste beaucoup de preuves », a même déclaré Margaret Ann Withers, présidente du jury, à la sortie de la salle d’audience. Patrick Ho, inculpé et en détention au Metropolitan Correctional Center depuis novembre 2017, venait d’être déclaré coupable de sept chefs d’accusation sur huit, notamment de complot, de blanchiment d’argent et de violation de la loi sur la corruption à l’étranger.
Sa peine sera prononcée le 14 mars 2019, a annoncé la juge américaine Loretta Preska. Les avocats de la défense n’ont pas encore annoncé s’ils comptaient ou non faire appel du verdict du tribunal fédéral de New York. Patrick Ho, 69 ans, secrétaire des Affaires intérieures du gouvernement hongkongais entre 2002 et 2007, a lui-même montré peu d’émotion. S’adressant brièvement aux journalistes alors qu’il quittait la salle d’audience, il a affirmé que le résultat était « attendu ».
« Se faire passer pour un humanitaire »
L’homme d’affaires de Hong Kong n’avait d’ailleurs pas nié les faits qui lui étaient reprochés. Il était accusé d’avoir effectué des paiements à des dirigeants étrangers afin de favoriser l’implantation de l’entreprise chinoise CEFC China Energy, qui a toutefois farouchement nié son implication. En cause, notamment : le versement de 2 millions de dollars, courant 2014, au président tchadien Idriss Déby Itno, à travers une organisation non gouvernementale à but non lucratif, le China Energy Fund, financée par la CEFC.
Selon Tidiane Gadio, la CEFC aurait insisté pour que Déby Itno conserve l’argent, prétextant un « don de charité »
« Faire fonctionner une ONG a permis à l’accusé de se faire passer pour un humanitaire », a déclaré aux jurés Paul Hayden, avocat du ministère de la Justice des États-Unis, au début du procès. « Il a offert des millions de dollars en pots-de-vin, et il l’a fait pour gagner des affaires », a-t-il ajouté. Les avocats de Patrick Ho ont quant à eux assuré que l’entreprise chinoise CEFC n’avait rien reçu en échange des paiements, ont-ils déclaré, ce que les procureurs ont contesté.
« Idriss Déby Itno était furieux »
Dans ce procès étonnant, c’est le témoignage de Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal (2000-2009), engagé comme consultant par la CEFC, qui est apparu comme le plus haut en couleur. Celui-ci avait d’abord été soupçonné d’avoir été le complice de Patrick Ho dans l’affaire de corruption tchadienne, avant d’être « rétrogradé » au rang de simple facilitateur et, en septembre 2018, d’être mis hors de cause après avoir accepté de témoigner.

Cheikh Tidiane Gadio, alors ministre sénégalais des Affaires étrangères, en compagnie de son homologue chinois de l'époque, Li Zhaoxing, le 12 janvier 2006, à Dakar. © REBECCA BLACKWELL/AP/SIPA
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En novembre 2014, selon les échanges de courriers aux mains des enquêteurs, Tidiane Gadio avait notamment écrit à Patrick Ho pour lui suggérer de remercier le président Déby Itno par « un joli package financier ». Il avait évoqué la possibilité d’une donation au profit de ses « projets sociaux » ou la création d’un hôpital.
Lors du procès, le Sénégalais a notamment déclaré aux jurés qu’Idriss Déby Itno (IDI) était furieux quand son équipe de sécurité avait découvert les 2 millions de dollars en espèces disposés dans une demi-douzaine de coffrets cadeaux présentés par la compagnie énergétique lors d’une visite au palais présidentiel. Selon le Sénégalais, IDI lui aurait alors demandé « pourquoi les gens [croyaient] que tous les dirigeants africains [étaient] corrompus ». Toujours selon Cheikh Tidiane Gadio, le président tchadien aurait d’abord refusé les 2 millions, ce qui aurait « impressionné » Patrick Ho, mais la CEFC aurait insisté pour qu’il conserve l’argent, prétextant un « don de charité ».
« Il n’a pas été et ne sera jamais corrompu »
En échange, selon l’accusation, le président aurait offert à l’entreprise chinoise des droits pétroliers dans le pays sans passer par un appel d’offres international. Des « affabulations », selon le gouvernement tchadien, et un « acharnement » contre le président Déby, qui, dès l’inculpation du Hongkongais en 2017, avait vigoureusement nié. « Votre frère, votre président, est blanc comme mon habit, il n’a pas volé, il n’a pas été corrompu et il ne sera jamais corrompu », avait-il lancé, s’adressant à ses compatriotes.
Les avocats de la défense ont réaffirmé que Cheikh Tidiane Gadio avait suggéré le pot-de-vin
Après le témoignage de Tidiane Gadio, le jury américain n’a toutefois guère douté de la culpabilité de l’homme d’affaires de Hong Kong, inculpé et jugé à New York car plusieurs réunions en lien avec les faits avaient eu lieu à Manhattan. Les avocats de la défense ont pourtant réaffirmé que Cheikh Tidiane Gadio avait suggéré le pot-de-vin. En acceptant de témoigner, ce qui a provoqué l’abandon des charges à son encontre, « il n’a jamais assumé la responsabilité de ses actes », a déclaré l’avocat de la défense Edward Kim à propos du Sénégalais.
L’Ougandais Yoweri Museveni également cité
Outre l’affaire tchadienne, Patrick Ho était également accusé de corruption en Ouganda, toujours pour favoriser l’implantation de l’entreprise chinoise CEFC. Selon le département de la Justice américain, l’homme d’affaires aurait notamment effectué, début mai 2016, un versement de 500 000 dollars sur le compte d’une fondation ougandaise dans une banque de Kampala, via New York (voir la plainte du département de la Justice américain en fin d’article).
Le compte et les détails de la transaction avaient, selon la justice américaine, été transmis à Patrick Ho par l’épouse de Sam Kutesa, ministre des Affaires étrangères ougandais et beau-frère du président Yoweri Museveni. L’enquête affirme que, lors d’une précédente réunion, Patrick Ho avait promis au ministre que la CEFC fournirait, via une fondation créée par Kutesa, un « don » au profit de la campagne de réélection du président Museveni.
La CEFC China Energy Company Limited (CEFC China) a rejeté, dès novembre 2017, ces allégations. « En tant qu’organisation non gouvernementale et à but non lucratif, le China Energy Fund [dont Patrick Ho était le secrétaire général, ndlr] ne participe à aucune des activités commerciales de CEFC China et n’a aucune relation d’autorisation commerciale avec la société. (…) Le CEFC China exerce ses activités commerciales dans le strict respect de la loi et opère dans le cadre d’une gestion saine », déclarait l’entreprise dans un communiqué.
Une affaire plus diplomatique que judiciaire ?
En septembre 2017, la compagnie chinoise, relativement méconnue, avait fait son apparition parmi les acteurs majeurs du secteur énergétique en prenant une participation de 9 milliards de dollars dans le géant russe des hydrocarbures Rosneft. Le rapprochement entre Russes et Chinois était ensuite allé plus loin avec la signature, le 16 novembre, d’un accord de fourniture de 12 millions de tonnes de pétrole par Rosneft à la CEFC sur l’année 2018.
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C’est quelques jours après l’annonce de cet accord que Patrick Ho avait été arrêté. Ce que n’avait pas manqué de dénoncer un cadre de la CEFC dans un journal chinois, tout en souhaitant conserver l’anonymat. Il y a « de profondes motivations politiques internationales », avait-il expliqué. La défense du Hongkongais a elle-même tenté de démontrer que l’arrestation de son client était une réaction américaine au réchauffement des relations commerciales sino-russes. En vain, au moins pour le moment.