Patrimoine : d’anciennes photographies aériennes de l’Afrique menacées de destruction

Les images aériennes collectées par l’IGN français à l’époque de la colonisation sont aujourd’hui victimes du « syndrome du vinaigre », qui les condamne à la destruction. Faute de fonds suffisants, elles pourraient disparaître avant d’avoir été scannées, privant les nations concernées de la mémoire de leur territoire.

Cliché de Ouagadougou, au Burkina Faso, en 1955, conservé à l’IGN. © IGN

Cliché de Ouagadougou, au Burkina Faso, en 1955, conservé à l’IGN. © IGN

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Publié le 4 décembre 2018 Lecture : 4 minutes.

À l’heure où les médias s’agitent autour de la question de la restitution des œuvres d’art africaines spoliées pendant la colonisation, il est un autre patrimoine africain qui, lui, risque fort de disparaître à jamais si personne ne réagit.

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Peu connu, mais néanmoins fondamental sur le plan anthropologique, géographique, urbanistique, environnemental, le fonds étranger de la photothèque de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) français est actuellement menacé. Constitué par l’IGN, ce fonds comporte quelque 950 000 clichés originaux, plaques de verre et films, réalisés dans les anciennes colonies françaises et pour la grande majorité, en Afrique.

Une photo aérienne de Cotonou, conservée actuellement à l'IGN. © IGN

Une photo aérienne de Cotonou, conservée actuellement à l'IGN. © IGN

Couverture complète

Créé en 1940 avec pour objectif de cartographier le territoire national, l’IGN a vu ses fonctions élargies par décret, en 1944, aux « travaux géodésiques, topographiques et cartographiques d’intérêt général dans les territoires d’outre-mer relevant du secrétariat d’état à la marine et aux colonies ». Si bien qu’au début des années 1960, à l’heure des Indépendances, la France disposait d’une couverture complète au 1:200 000e de ses territoires africains, d’une couverture partielle au 1:50 000e ; et de toutes les photographies aériennes utilisées pour réaliser ces cartes.

Leur sauvegarde passe par leur dématérialisation, c’est-à-dire leur numérisation

Ce trésor – constitué par la France coloniale à des fins de contrôle économique et administratif – est aujourd’hui menacé par le temps. Ou, plus précisément, par ce que l’on appelle le « syndrome du vinaigre » : une lente dégradation du support des films en acétate de cellulose qui s’accélère au bout de quelques décennies, rendant rapidement l’ensemble des clichés inexploitables. Pour le rédacteur en chef d’IGN Magazine, Eric Bonneau, « L’ensemble des films infrarouges des années 1950 et 1960 et les films panchromatiques des années 1940 et 1950 sont actuellement menacés, à des niveaux divers. Leur sauvegarde passe par leur dématérialisation, c’est-à-dire leur numérisation. »

Le littoral sénégalais d'hier à aujourd'hui, avec une photo conservée par l'IGN. © WACA

Le littoral sénégalais d'hier à aujourd'hui, avec une photo conservée par l'IGN. © WACA

Restitution à la demande

Bien entendu, c’est là que le bât blesse, puisque le montant annoncé lorsque la sonnette d’alarme a été tirée, autour de 2013, tournait autour de 2,5 millions d’euros, une somme que ne peut dépenser l’IGN sur un temps aussi court en période de restrictions budgétaires.

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Resté en contact avec les nations africaines indépendantes où il continue parfois d’intervenir, l’IGN n’a jamais refusé de restituer ces fonds et les a rendus aux pays qui en faisaient la demande, comme par exemple le Mali, la Tunisie, l’Algérie et le Cameroun. « Pour le Mali, un premier rapatriement a été organisé en 1998, concernant 31 497 négatifs sur films de prises de vue aériennes (PVA) postérieures à l’indépendance (1963), rappelle Eric Bonneau. Le rapatriement du reste des PVA a été réalisé entre l’automne 2007 et l’automne 2008, de mémoire, en deux ou trois envois. » Le Tchad, pour sa part, a préféré faire scanner les fichiers plutôt que les rapatrier.

Carte forestière de Madagascar en 1931, conservée à l'IGN. © IGN

Carte forestière de Madagascar en 1931, conservée à l'IGN. © IGN

Le fonds comporte plus de 100 000 clichés de Madagascar, 93 000 clichés du Niger, 75 000 clichés de la Côte d’Ivoire, 36 000 du Bénin…

Évolution de l’état des lieux

Rares sont néanmoins les pays qui, à ce jour, ont manifesté leur intérêt pour récupérer ces documents. Lesquels représentent pourtant un état des lieux très précis de leur territoire à un moment donné. À titre d’exemple, le fonds comporte plus de 100 000 clichés de Madagascar, 93 000 clichés du Niger, 75 000 clichés de la Côte d’Ivoire, 36 000 du Bénin, etc. Pour l’IGN, « la sauvegarde des fonds patrimoniaux anciens liés aux terres d’Afrique et d’Asie est essentielle pour en favoriser une gestion durable par leurs dirigeants car elle favorisera leur compréhension de l’évolution de ces territoires dans le temps. »

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La comparaison avec des images satellites actuelles, par exemple, peut être riche d’enseignements sur l’érosion des sols, la montée des eaux, la désertification, l’emprise des terres agricoles, les surfaces forestières…

Patrimoine de l’humanité

« Pour montrer le potentiel de ces photos anciennes, nous avons créé pour la France le site Remonter le temps qui permet de voir et comparer les évolutions du territoire, explique encore Eric Bonneau. Quant à l’évolution du littoral ouest-africain, notamment, l’IGN a travaillé avec cinq organismes sous l’égide du ministère de la Transition écologique, dans le cadre du programme WACA, pour mettre en place un site du même ordre. »

Une photo aérienne de Saint-Louis du Sénégal, conservée actuellement à l'IGN. © IGN

Une photo aérienne de Saint-Louis du Sénégal, conservée actuellement à l'IGN. © IGN

L’objectif est de sauvegarder ce patrimoine par un appel à mécénat, puis de mettre à disposition ce bien comme « patrimoine de l’humanité »

Si aujourd’hui l’Institut agite un drapeau rouge, ce n’est pas vraiment avec l’espoir que les nations africaines se précipitent pour récupérer des images qu’elles ne pourraient sans doute pas sauver de la destruction. L’idée est plutôt de susciter l’attention de mécènes qui permettraient de rendre ces images disponibles pour tous ceux qui s’y intéressent. « L’objectif est de sauvegarder ce patrimoine par un appel à mécénat, puis de mettre à disposition ce bien comme « patrimoine de l’humanité », disponible pour tous, États, citoyens, enseignants, chercheurs, historiens, entreprises, dans l’esprit du site Remonter le temps. »

Reste à attendre les bonnes volontés – et les financements idoines.

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