Ce ne sont pas des négociations directes. La rencontre est appelée « table ronde » par l’ONU, organisatrice de l’évènement. Horst Köhler, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU au Sahara occidental depuis juin 2017, va ainsi sonder la volonté de chaque partie de s’engager dans un nouveau processus de négociations. Le dernier, celui de Manhasset, lancé en 2007, avait été interrompu en 2012. Les protagonistes du conflit ne se sont pas retrouvés depuis.
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L’idée de réunir les quatre parties remonte au début de l’année 2018. En mars, devant le Conseil de sécurité, et après consultations avec de nombreux acteurs régionaux et internationaux, Köhler fait part de son intention de voir le Maroc et le Polisario revenir à la table des négociations avant la fin de l’année.
D’un autre côté, les États-Unis poussent pour que le mandat de la Minurso soit reconduit de six mois au lieu d’un an comme habituellement. « Le Sahara occidental est devenu un exemple typique de conflit gelé », déclare en avril 2018 un représentant américain devant le Conseil de sécurité. L’administration Trump ne cache pas son agacement, Washington étant un gros contributeur aux opérations de maintien de la paix des Nations unies – le coût de la Minurso est évalué entre 55 et 56 millions de dollars annuels.
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Définition des rôles
Köhler et ses équipes ont dû prendre en compte l’importance de la terminologie. Pour Rabat, si Manhasset a échoué, c’est aussi parce qu’Alger n’y a joué qu’un rôle d’observateur. En avril 2018, Mohammed VI écrit, dans un courrier transmis par le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita au secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres : « L’Algérie a une responsabilité flagrante (…) C’est l’Algérie qui finance, c’est l’Algérie qui abrite, c’est l’Algérie qui arme, c’est l’Algérie qui appuie et qui apporte son soutien diplomatique au Polisario. »
Rabat s’est réjoui des termes de la résolution du 31 octobre, qui ne fait pas de distinguo entre les quatre invités à la table ronde
Rabat s’est donc réjoui des termes employés dans la résolution 2440, adoptée par le Conseil de sécurité le 31 octobre, qui ne fait pas de distinguo entre les quatre invités à la table ronde. Dans son rapport sur la situation au Sahara occidental, le 3 octobre dernier, Guterres établit toutefois une différences entre « les parties » et « les voisins immédiats ». Pour Alger, être intégré dans la seconde case plutôt que la deuxième est bienvenu : « L’Algérie n’a pas à s’impliquer dans les négociations entre le Front Polisario et le Maroc », se plaît à répéter Abdelkader Messahel, ministre algérien des Affaires étrangères, dont la présence est prévue à Genève.
Les précautions de langage des staffs onusiens portent finalement leurs fruits : entre le 2 et le 3 octobre, le Maroc puis le Front Polisario acceptent l’invitation. Alger et Nouakchott confirment également leur participation, quelques jours avant la fin de l’ultimatum posé par Köhler, le 20 octobre.
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Composition des délégations
Le Maroc prévoit de disputer au Polisario la représentativité des populations du Sahara occidental en envoyant en Suisse des élus locaux, à savoir les présidents de région Sidi Hamdi Ould Errachid (Laâyoune-Sakia El Hamra) et Yanja Khattat (Dakhla-Oued Eddahab), ainsi que Fatima Adli, responsable associative siégeant au conseil municipal de Semara. La communauté internationale ayant reconnu la valeur des dernières élections marocaines – législatives (2016), régionales et communales (2015) – , la tactique, déjà éprouvée une fois au courant de l’année 2017, peut s’avérer payante.
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Le Front Polisario, quant à lui, peut mettre en avant son ouverture constante à des négociations. Entre une Algérie qui refuse le rôle de partie prenante, et un Maroc qui attend que cette dernière se dévoile, le Front est en effet, sur le papier, celui qui n’a de cesse de se dire disposé à entamer des négociations directes avec Rabat. Avant de recevoir une invitation, dès juin, le Front adressait des courriers dans ce sens à New York. Et en plus d’envoyer à Genève le président de son Parlement, Khatri Addouh – afin de rappeler qu’il dispose lui aussi de représentants populaires – le Front compte sur M’Hamed Khaddad, habitué des négociations puisqu’il était déjà présent lors des discussions de Nouakchott en 1979.
Les deux parties ne se privent pas non plus de tester les nerfs de l’adversaire : fin novembre, Abdellah Lahbib Bilal, ministre de la Défense de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd) a mené des exercices militaires très médiatisés à proximité du mur de défense marocain, alors même que l’année 2018 a été marquée par un regain de tension du fait du déploiement de membres du Polisario dans la même « zone tampon », provoquant la colère des fonctionnaires onusiens. À Rabat, personne n’ignore non plus que la présence dans la délégation du notable Ould Errachid, figure pour les indépendantistes du « collaborateur », ne pourra qu’irriter les représentants du Front.
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Guerre des positions
Les positions de chacun ont souvent semblé irréconciliables. « Pour l’Algérie, la décolonisation et l’autodétermination font partie de son ADN », répétait encore le 16 octobre devant la quatrième commission de l’ONU Sabri Boukadoum, l’ambassadeur algérien auprès de l’ONU, qui sera présent à Genève. Seule la Mauritanie semble neutre. Sans rien avoir demandé, Nasser Bourita a eu droit à la position mauritanienne lors de son déplacement à Nouakchott en octobre : son homologue Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, qui représentera son pays à Genève, lui a répété sa neutralité absolue.
Fin octobre, le Conseil de sécurité a invité chacun « à faire preuve d’une plus grande volonté politique de parvenir à une solution, notamment en examinant de façon plus approfondie leurs propositions respectives ». Le Front Polisario, lui, réitère sa proposition mise sur la table en 2007. « Nous y indiquions être d’accord sur le principe d’une exploitation et d’une mise en valeur en commun des ressources naturelles», souligne Oubi Bouchraya Bachir, ambassadeur du Front à Paris.
En avril 2017, dans une résolution du Conseil de sécurité, le référendum d’autodétermination voulu par le Front n’était plus mentionné
Une grande partie des pays qui siègent au Conseil de sécurité, comme le « Groupe des amis du Sahara occidental » ( France, Russie, Royaume-Uni, États-Unis et Espagne), perçoivent le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 comme une des rares pistes pour sortir du statu quo. En avril 2017, dans une résolution du Conseil de sécurité, qui appelait déjà à l’enclenchement du « processus politique », le référendum d’autodétermination voulu par le Front n’était plus mentionné.
Mais à Rabat, « on se méfie de John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale du président américain », comme le confie Mustapha Sehimi, politologue qui suit de près la situation. Et pour cause : Bolton, qui pilote le dossier « Western Sahara » à Washington, a été un des artisans du plan « Baker II » proposé en 2005, basé sur le principe de référendum d’autodétermination et rejeté par Rabat. Si Bolton a pu avoir des échanges froids avec des fonctionnaires marocains, c’est en réalité un pragmatique, par ailleurs d’accord avec l’idée selon laquelle l’Algérie doit être plus directement impliquée dans des négociations. Alger peut quant à elle compter sur le soutien des Russes : Moscou a préféré s’abstenir lors de l’adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 2440.
- Des réunions de suivi nécessaires
La communauté internationale est confrontée à une difficulté majeure : personne ne veut brusquer ni Rabat, ni Alger, pour des raisons énergétiques, sécuritaires et diplomatiques évidentes. C’est donc à tous que les Américains – en premier lieu – mettent la pression. Le Conseil de sécurité préconise ainsi deux réunions de suivi dans les mois qui suivront la rencontre de Genève.
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Cette dernière n’est en tout cas pas une fin en soi, mais plutôt l’expression d’une lassitude devant une situation qui perdure depuis une quarantaine d’années maintenant. Même l’Union africaine s’est dite favorable, lors de son sommet à Nouakchott en juillet, à un règlement onusien rapide.
Khadija Mohsen-Finan, politologue et enseignante à l’université de Paris 1, relève de son côté : « On parle de solution politique, mais sur le terrain manquent plus que jamais les initiatives en faveur des réfugiés, des familles séparées ou encore des blessés par les mines héritées de la guerre. » Tout un chacun affûterait-il donc sa stratégie aux dépends d’une approche de terrain et humaine ?