Start-up de la semaine : au Nigeria, Piggybank booste l’épargne

Deux ans et demi après sa création par Odunayo Eweniyi, Somto Ifezue et Joshua Chibueze, la fintech Piggybank revendique 100 000 utilisateurs qui ont épargné au total 12 millions d’euros. Un succès qui répond à une nécessité pour la classe moyenne africaine : mettre de côté pour les difficultés du quotidien.

De g. à d., Joshua Chibueze, Somto Ifezue et Odunayo Eweniyi, cofondateurs de Piggybank. © Piggybank

De g. à d., Joshua Chibueze, Somto Ifezue et Odunayo Eweniyi, cofondateurs de Piggybank. © Piggybank

Publié le 22 novembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Le 31 mai, Piggybank a levé 1,1 million de dollars (950 000 euros) auprès de l’américain Village Capital et des nigérians Leadpath NG et Ventures Platform. Ce succès est venu couronner deux ans de croissance mensuelle à 30 %, et lui a permis d’acheter sa licence bancaire de microfinance en rachetant Gold Microfinance Bank pour 50 millions de nairas (120 000 euros).

L’histoire de la start-up débute en 2016, suite à un débat sur l’épargne entre les trois cofondateurs, amis depuis leur rencontre sur les bancs de la fac nigériane de Covenant University. « Tout est parti d’une discussion en ligne, alors que j’étais à Ogun, Joshua Chibueze –  le directeur produit – à Lagos et Somto Ifezue – le directeur marketing – à Port-Harcourt. On a réalisé qu’une majorité écrasante de Nigérians plaçaient toujours leurs économies dans des tirelires de bois ! On s’est dit qu’il fallait changer ça », se souvient Odunayo Eweniyi, directrice opérationnelle de l’entreprise. Les trois amis créent alors Piggybank- tirelire en anglais -, sans apport de capital et conscients qu’ils ne pourraient pas se rémunérer pendant les premiers mois.

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Des « jours autorisés » pour les retraits

La start-up propose une plateforme d’épargne automatisée, qui prélève chaque mois un montant prédéfini sur le compte en banque de ses clients. Chaque utilisateur défini son propre objectif d’épargne, les jours de prélèvement et le montant retiré.

Avec Piggybank, pas de cochon à briser pour récupérer ses économies, mais une amende – 5 % du montant retiré – si le retrait intervient hors des jours autorisés (en général quatre fois par an). Mais les incitations sont également positives : les clients gagnent des « piggypoints » à 10 nairas par point et à mesure qu’ils économisent, et leurs dépôts sont rémunérés entre 10 et 12,4 % par an – un taux à relativiser quand on sait que l’inflation mensuelle au Nigéria dépasse les 10 % (11,28 % en septembre).

« Les gens font davantage confiance aux méthodes traditionnelles qu’à la technologie. Même les personnes bancarisées ont recours aux tirelires en bois, alors que ce n’est ni pratique, ni rémunéré, et encore moins sécurisé. il nous fallait donc un outil pédagogique », explique la jeune femme de 25 ans. L’objectif de la start-up est de stabiliser et simplifier les finances de ses utilisateurs, en espérant à terme les rendre financièrement indépendants.

Les millennials en ligne de mire

La start-up a dépassé cet été le cap des 100 000 utilisateurs. « Notre cible ce sont les millennials (génération née entre 1980 et 2000), qui représentent plus de 65 % de notre clientèle, le reste étant composé d’un mix d’autres profils démographiques », précise Odunayo Eweniyi. Ce sont des gens qui ont des jobs de niveau intermédiaire (responsables commerciaux, employés des télécoms, autoentrepreneurs…) qui gagnent entre 150 (soit trois fois le salaire minimum nigérian) et 500 dollars par mois. Ils ont tous un smartphone, un compte en banque et pour la plupart les notions basiques d’internet.

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On distingue différents types d’épargnants chez Piggybank : un grand nombre d’utilisateurs réalise des économies qu’on pourrait qualifier « de survie », pour payer loyers ou factures à la fin du mois. « Grâce à l’appli, certains arrivent aujourd’hui à payer un an d’avance de loyers » se réjouit Odunayo Eweniyi (pratique couramment exigée par les propriétaires au Nigeria, en raison de l’inflation).

À LIRE : Le Nigeria renoue avec la croissance mais son économie reste fragile, prévient le FMI

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Mais la première raison d’épargne concerne des choix de vie ou des événements : payer des études à ses enfants, partir en vacances… Beaucoup économisent également pour faire face aux imprévus. Quand on lui demande si elle a en tête une histoire qui l’a particulièrement touchée, elle sourit « Il y en a des milliers chaque jour ! L’une de nos toutes premières utilisatrices a acheté sa première voiture avec Piggybank ! Très souvent c’est pour des mariages. Une personne a financé sa chimiothérapie. »

Atteindre le million de dollars de chiffre d’affaires en 2019

La directrice opérationnelle de la start-up insiste sur le fait que ses utilisateurs n’ont pas d’autres moyens d’épargner. Les frais pratiqués par les établissements bancaires, l’absence de solution à la carte et de flexibilité poussent les consommateurs vers les solutions traditionnelles. « Là où on voit que ça marche, c’est qu’une fois atteint leur 1er objectif, beaucoup de clients reviennent et augmentent leurs taux de prélèvement mensuels ».

Piggybank réalise aujourd’hui 500 000 dollars de chiffre d’affaires annuel, et compte sur sa croissance à 25 à 30 % par mois pour doubler ce chiffre et atteindre le million de dollars en 2019. La clé de la réussite selon la start-upeuse ? Avoir su conserver le strict minimum nécessaire : « Cela fonctionne parce que nous sommes 12 ! Nos coûts généraux sont extrêmement bas ». Concernant le business modèle, Piggybank investit l’épargne confiée dans des obligations d’État et des bons du Trésor nigérians, via la société de management des actifs nigériane AIICO.

La feuille de route de Piggybank pour les années qui viennent est chargée. Au vu des très faibles taux d’inclusion financière qui prévalent au Nigeria -plus de 61 % de la population n’est pas bancarisée- la start-up réfléchit à une version sans compte en banque. L’entrepreneure souhaite également multiplier les partenariats, comme celui récemment conclu avec la compagnie d’assurance nigériane HMO : « nos utilisateurs peuvent à présent bénéficier d’une assurance santé pour 60 nairas/jour ».

Le Ghana, destination la plus proche en termes de profil de marché

Dans un pays ou moins de 2 % des adultes ont souscrit à une police d’assurance, le champ des possibles est vaste : « la santé ce n’est pas assez, il y a l’assurance vie aussi, la retraite, les voitures. Pour que les gens puissent faire plus avec leur argent ». Des négociations sont également en cours avec certains établissements bancaires, dont l’entrepreneure ne peut parler à l’heure actuelle.

Mais la fintech compte bien aller bien plus loin, en commençant par le Ghana, son voisin le plus proche en termes de profil de marché. « Nous étudions aussi le Kenya, parce que c’est un pays porté par le digital et surtout un des plus durs à pénétrer en raison de la concurrence : si on réussit là, alors on peut réussir partout ! ». Une expansion géographique qui sera portée par une nouvelle levée de fonds, prévue fin 2019. Le modèle ultime de Piggybank ? « Devenir la référence des millennials africains en matière de finance digitale, une sorte d’App-store où trouver différents produits d’épargne numérique ».

Les trois jeunes gens se distinguent déjà et ont eu une année 2017 particulièrement riche : Piggybank a été l’une des deux start-up distinguées par le Village Capital Fintech Accelerator Program et a été sélectionnée pour faire partie du Google Pitchdrive tour, qui s’est déroulé en août.

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