4 Questions à Hélène Jayet, à l’origine du projet sur le cheveu afro « colored only – chin up »

Entretien avec la photographe Hélène Jayet, à l’occasion de son exposition « Colored Only- Chin up ». Axé sur la beauté noire, son projet est visible au sortir de la Gare de l’Est (Paris) jusqu’au 18 novembre.

HÉLÈNE JAYET

HÉLÈNE JAYET

Publié le 2 novembre 2017 Lecture : 4 minutes.

Cheveux frisés, rasés, tissés, nattés, bantou knots, dreadlocks… avec « Colored Only-Chin up » – projet lancé dans le 10ème arrondissement de Paris en 2009 – la photographe française d’origine malienne Hélène Jayet, 39 ans, dresse un inventaire des coiffures afro. Né d’abord dans la rue, le concept s’est ensuite invité dans les salons de coiffure. Petit à petit, Hélène Jayet s’est fait une place dans le « réseau noir parisien » malgré les difficultés rencontrées au début : « Je suis métisse. Ça n’a pas été simple. On me disait que je n’étais pas assez noire pour qu’on me fasse confiance ».

Aujourd’hui « Colored Only- Chin up » est devenu un studio happening-ambulant. La trentenaire ne choisit pas ses modèles qui passent devant son objectif. Pas de casting, pas de maquillage , ce sont 180 personnes de la vie de tous les jours qui composent l’exposition située au 29 rue des Récollets.

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En quête de coiffures les plus folles, l’artiste formée au Beaux-arts a installé son studio à Paris, à Lille mais également à Amsterdam au Pays-Bas. Pour elle, s’intéresser au cheveu noir permet d’évoquer l’histoire, la mémoire et les questions identitaires.

Quel est le but de ce studio-happening ?

Ma volonté est de créer des images thérapeutiques pour qu’on apprenne à se tenir droit, à tenir tête. C’est d’ailleurs la traduction de « chin up » (lever le menton). On répète souvent ces mots durant les prises de vue et je les crie à mes modèles quand je les photographie. Je me suis rendue compte que c’était cette attitude que nous devions adopter en tant que Noir.e.s de France. On doit affronter et ne pas faire low profil comme c’est souvent le cas.

Avec ce projet, je veux révéler les personnes qu’on a toujours montrées de manière péjorative dans les médias. On parle constamment de racaille, de sans-papiers, de migrants. Les footballeurs et certains acteurs sont l’exception. J’avais envie de changer ces représentations en montrant d’autres profils, et de modifier le regard qu’on porte sur nous-mêmes également.

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Le titre est très fort. Quelles ont été les premières réactions ?

La première fois que j’ai installé mon panneau « Colored Only », c’était lors d’une soirée au Comptoir Général en 2013. Dans les événements comme celui-ci, les gens accourent lorsqu’ils voient un studio photo ! Je me suis retrouvée à expliquer aux Blancs que mon projet était axé sur le cheveux noir et qu’ils n’avaient pas le potentiel capillaire pour participer. J’inversais la situation.

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Être blanc et se retrouver stigmatisé peut être une expérience rare et étrange. Je souhaite que ce procédé symbolique provoque le débat de l’égalité pour tous. Il y a des gens qui ont ri et compris. La démarche a choqué les gens positivement. D’autres se sont énervés, m’ont taxée de racisme et de communautarisme.

On m’a posé de nombreuses questions sur ce titre. Il faut savoir que la plupart de mes sources littéraires pour ce projet sont en anglais et ne sont pas traduites. Ce titre était un moyen de questionner ce vocabulaire qui n’existe pas chez nous. Par exemple, on va dire « black » au lieu de « noir ». Cela m’agace. Finalement, je n’ai pas trouvé de titre en français parce que dans notre pays, on parle d’intégration et non de ségrégation. « Tu dois t’intégrer ». C’est ce qu’on te dit. On renie et on nie l’existence de la ségrégation.

Pourquoi cet attrait pour le cheveu ?

Je me suis servie du prétexte capillaire parce que les cheveux me fascinent. C’est beau, c’est créatif. Mais c’est aussi lié à mon histoire personnelle. Je suis adoptée. Quand j’étais plus jeune, mes parents ne savaient jamais quoi faire avec mes cheveux. J’ai toujours été en admiration devant les coiffures que je pouvais observer ou par la représentation des Noirs dans les photos et la mode. Je suis par ailleurs très inspirée par la statuaire africaine. Mes études d’histoire de l’art classique y sont aussi pour beaucoup…

J’ai cherché à comprendre quel rapport on a avec nos cheveux, à savoir pourquoi ils sont si importants pour nous. Et ce que signifie avoir recours à des techniques comme les tissages, les décolorations ou le défrisage. Comment expliquer ce rapport versatile nous avons par rapport à notre image ? J’ai compris que nos cheveux nous définissaient. La question identitaire y est intrinsèquement liée.

Quels sont vos projets futurs ?

Après avoir sillonné la France, j’aimerais photographier d’autres visages et d’autres coiffures en Afrique du Sud, aux États-Unis, à Brooklyn, ou encore au Brésil. C’est un pays qui m’intéresse énormément. En décembre 2017, le projet dépassera les frontières ! Je serai à Bamako pour la 11ème édition de la Biennale africaine de la photographie. Je suis curieuse de voir comment les Maliens et les autres photographes de l’exposition panafricaine réagiront en voyant « Colored Only-Chin up ». Ça va peut-être déranger… C’est fait pour !

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