Éphémère candidat à la présidentielle malienne, avant de rallier la candidature de Cheikh Modibo Diarra, Moussa Mara est un des participants au Forum MEDays, qui se tient depuis mercredi soir à Tanger, au Maroc. Alors que les 150 intervenants et quelque 2 000 participants réfléchissent autour des nouveaux partenariats en Afrique, l’ancien Premier ministre malien livre à Jeune Afrique son regard sur la situation politique dans son pays.
Jeune Afrique : Trois mois après la réélection d’Ibrahim Boubacar Keïta, quel regard portez-vous sur ce début de second mandat ?
Moussa Mara : Le Président ne prend pas la bonne direction. Quand on regarde les résultats de la présidentielle, on constate qu’il n’a pas le soutien de plus d’un quart de l’électorat. Il est urgent qu’il rassemble. Le pays fait toujours face à d’immenses défis. Tout cela nécessite que l’essentiel du pays œuvre dans la même direction. Il faut que nous gouvernions tous ensemble.
Vous appelez à la constitution d’un gouvernement d’union nationale ?
Absolument. Aujourd’hui, deux blocs se font face et se regardent en chien de faïence. Le Président doit dépasser cela, appeler le camp de Soumaïla Cissé et l’associer au pouvoir. Malheureusement, il n’est pas du tout entré dans cette dynamique.
On pensait qu’il mettrait en place un gouvernement intérimaire, qu’on ferait les législatives, puis que nous pourrions repartir du bon pied. Mais il vient de permettre aux députés de prolonger leur propre mandat et de reporter les élections. Où a-t-on vu une chose pareille ? Jamais dans l’histoire du pays cela ne s’était produit. C’est fouler notre Constitution et notre démocratie aux pieds.
[IBK] doit prendre conscience de la situation du pays et savoir faire marche arrière tant qu’il est encore temps
Vous êtes inquiet ?
Bien sûr. C’est un précédent dangereux. Les députés disent qu’ils prorogent leur mandat de quelques mois, mais à la fin de ces quelques mois, à tous les coups, ils trouveront des raisons de le proroger à nouveau… Jusqu’où ira-t-on? C’est une dérive anti-démocratique.
Avec d’autres acteurs politiques, nous allons contester cette décision. Après le front du Nord, le front du Centre, le front du tissu social, les grèves à n’en plus finir, la situation économique difficile… le pouvoir ajoute un front politique. Il est en train de créer les conditions d’une explosion. Et cela risque de nous amener loin…
Qu’entendez-vous par là ?
Tout est possible ! Personne ne souhaite que le pays chute, aucun patriote ne souhaite un putsch ou quoi que ce soit. Mais le Président doit prendre conscience de la situation du pays et savoir faire marche arrière tant qu’il est encore temps.
Dans une vidéo publiée jeudi 8 novembre, trois chefs jihadistes apparaissent ensemble pour réitérer leurs menaces. Parmi eux, il y a Amadou Koufa, le fondateur du Front de libération du Macina, actif dans le centre du Mali. Malgré la présence des forces du G5 Sahel et des forces françaises, la menace jihadiste semble toujours aussi forte…
La menace terroriste est plus importante qu’il y a six mois, elle est plus importante qu’il y a deux ans… Elle est en train de s’accroître dangereusement, car elle entre désormais dans le tissu social. Les terroristes sont arrivés à 200 kilomètres de Bamako ! Et on voit maintenant des conflits inter-communautaires, avec des Dogons qui vont tuer des Peuls gratuitement, et des Peuls qui, gratuitement, vont tuer des Dogons. On n’avait jamais connu ça au Mali.
>>> À LIRE – Accord entre Peuls et Dogons au Mali : « Tout le monde ne veut pas la paix »
Il y a un plan implacable des malfaisants pour tailler en pièce le tissu social et menacer l’équilibre de notre pays. Si le pouvoir n’est pas capable de comprendre ça et de mettre de côté les problèmes politiques classiques, au mieux, le pays restera bringuebalant, au pire on risque des insurrections.
Il ne faut pas qu’un impérialisme vienne remplacer un autre impérialisme
Vous n’avez pas 45 ans, comment envisagez-vous votre avenir politique ?
Je briguais un poste de député pour les élections qui viennent d’être reportées donc si les élections ont lieu l’année prochaine, inch’allah, je me présenterai. Je brigue aussi le poste de maire de Bamako mais les municipales ont été reportées trois fois… Et lors de la prochaine échéance présidentielle, je devrais être candidat… Encore faut-il que le pays existe encore en 2023… c’est mon rêve !
Dans ce contexte, vous êtes ces jours-ci au Forum MEDays, à Tanger, où vous avez défendu l’idée de l’adhésion du Maroc au sein de la Cedeao. Qu’est-ce que cela peut apporter à l’Afrique de l’Ouest, et au Mali en particulier ?
Depuis le début des années 2000, avec notamment le renouvellement des élites africaines, l’horizon en Afrique n’est plus celui des anciennes puissances colonisatrices. Il y a eu une évolution importante des rapports entre l’Afrique et l’Asie, principalement la Chine, qui est devenu le premier acteur économique sur le continent. Mais aussi avec certains acteurs comme le Maroc.
Si le Royaume, qui a beaucoup investi dans la sous-région, ressent le besoin d’adhérer à la Cedeao, cela veut dire que l’Afrique de l’Ouest a du potentiel. Maintenant, à nous d’en profiter et de faire en sorte que ce soit du gagnant-gagnant. Il ne faut pas qu’un impérialisme vienne remplacer un autre impérialisme.
Le Maroc doit faire des efforts et donner des gages. Quel destin commun souhaitons-nous construire ensemble ?
Aujourd’hui, l’Afrique de l’Ouest tire-t-elle suffisamment profit de ces nouveaux partenariats ?
Cela pourrait être mieux, il faut le reconnaître. Si vous regardez la façon dont la Cedeao est en train de gérer la question de l’adhésion du Maroc, il y a beaucoup à redire par exemple. Nous avons dû mal à parler d’une seule voix. Certains États sont franchement pour, sans savoir vraiment pourquoi, d’autres franchement contre, sans avoir fait le tour de la question. Ce sont ceux qui ont les économies les plus solides et les plus diversifiées et qui pourraient entrer en concurrence avec le Maroc. Le Nigeria principalement, le Ghana aussi, certains milieux en Côte d’Ivoire, au Sénégal…
Officiellement, le Sénégal et la Côte d’Ivoire se disent favorables à l’adhésion du Maroc…
Les États, oui. Mais il y a de vrais réticences des acteurs économiques, et ce n’est pas négligeable. Le Maroc doit faire des efforts et donner des gages. La question c’est : quel destin commun souhaitons-nous construire ensemble ?
Le Maroc est devenu le premier investisseur dans la sous-région. Cela ne crée-t-il pas une relation de dépendance qui empêche certains États ouest-africain d’avoir une position complètement libre ?
Je vous rassure, je ne suis pas pieds et mains liés ! Le Maroc a investi chez nous, mais il ne nous a pas acheté. S’il le souhaite, un pays comme le Mali peut nationaliser tout ce que le Maroc a investi chez nous ! Ces investissements ne font pas de nous des obligés.
Il y a tout de même des questions sur lesquelles on entend peu les dirigeants ouest-africains, comme celle de la façon dont certains migrants subsahariens sont parfois traités dans le Royaume. Pourquoi ?
C’est un problème, mais il faut aussi regarder les réalités. Le Maroc est le seul pays du Maghreb à avoir régularisé des milliers de nos ressortissants alors que d’autres sont en train de les reconduire par camions entiers… Je peux vous assurer que le Maroc traite mieux les migrants subsahariens que d’autres pays.
N’y-a-t-il pas néanmoins plus de réticences à l’adhésion du Maroc à la Cedeao que les États ouest-africains veulent bien le dire ? Depuis l’accord de principe, donné il y a un an et demi, les négociations piétinent…
En effet, cela n’avance plus. Je crois que c’est essentiellement un problème économique mais il y a aussi des éléments politiques. La question du Sahara divise l’Afrique. Certains grands pays d’Afrique de l’Ouest posent la question : quel Maroc va adhérer à la Cedeao ? Le Maroc, avec ou sans le Sahara ? Cela pose des problèmes inimaginables.
Il y a aussi des problèmes d’ego. Aujourd’hui, le Nigeria est le pays le plus peuplé de la Cedeao, il pèse très lourd… si le Maroc arrive, Abuja va voir arriver un concurrent en terme d’influence et de diplomatie. La greffe est difficile, c’est certain. Elle prendra du temps mais je pense qu’elle finira par se faire.