Politique

Main tendue de Mohammed VI : l’Algérie entre silence et méfiance

Si l’Algérie n’a pas officiellement réagi à la main tendue mardi soir par Mohammed VI, le discours du roi du Maroc interroge, fait douter ou au contraire enthousiasme les observateurs, dont certains se prennent à rêver d’un Maghreb à nouveau unifié.

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Mis à jour le 8 novembre 2018 à 20:31

Mohammed VI, en mai 2017 lors d’une rencontre avec François Hollande, à l’Élysée. © Michel Euler/AP/SIPA

« Une nouvelle manœuvre du roi du Maroc ? » La « Une » du quotidien francophone algérien El Watan est peu amène avec le discours de Mohammed VI, qui a proposé mardi à l’Algérie « la création d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation ». La tonalité de l’article est pour le moins méfiante : sa chute met notamment en garde contre les « coups de bluff » auxquels Rabat aurait habitué Alger.

Abdelaziz Rahabi, ancien ministre algérien de la Communication et diplomate, se montre également prudent. Pour lui, Alger attendra la rencontre onusienne à Genève sur le règlement du conflit au Sahara occidental pour répondre au Maroc. « Le discours donne le sentiment, faux, que l’Algérie est seule responsable du blocage », estime le diplomate, citant en particulier ce passage de l’allocution royale : « Le Maroc est ouvert à d’éventuelles propositions et initiatives émanant de l’Algérie pour désamorcer le blocage dans lequel se trouvent les relations entre les deux pays voisins frères. »

En diplomatie, le timing compte. À l’occasion de la fête du Trône, cela serait mieux passé

Le changement de ton de Mohammed VI ne lui a toutefois pas échappé. « Il est très aimable, alors que de manière récente, il avait été plutôt virulent à l’endroit de l’Algérie », remarque-t-il. Et l’ex-ministre algérien de s’interroger : « Pourquoi faire cette annonce lors du discours de commémoration de la Marche verte ? En diplomatie, le timing compte. À l’occasion de la fête du Trône, cela serait mieux passé. »

Le dilemme algérien

En Algérie, où le scrutin présidentiel d’avril 2019 se prépare dans l’incertitude concernant l’état de santé du président Bouteflika, la période ne semble pas forcément propice au règlement d’un dossier diplomatique pendant depuis plusieurs décennies. « En temps normal, Alger aurait été obligé d’apporter une réponse. Mais le discours a dû plutôt embarrasser, vu l’agitation autour de la question de la candidature de Bouteflika », estime Khadija Mohsen-Finan, politologue et enseignante.

Plus globalement, les commentateurs de la vie politique algérienne peinent aujourd’hui à savoir qui gère les relations avec le Maroc : l’armée, comme ce fût longtemps le cas, ou bien le premier cercle de l’exécutif ?

La question est de savoir si Rabat et Alger sont prêts à parler de réouverture des frontières, en mettant de côté le Sahara

Au contraire, une source diplomatique algérienne prévient qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance accordée par les Algériens au dossier du Sahara occidental. « La question est de savoir si Rabat et Alger sont prêts à parler de réouverture des frontières [fermées depuis 1994], en mettant de côté la question du conflit au Sahara. Hors, c’est l’identité même de la diplomatie algérienne que de défendre des causes comme celle du peuple sahraoui. Peu de gens comprennent cet attachement à un principe politique pur, mais c’est important pour comprendre la ligne d’Alger », assure-t-il, sous couvert d’anonymat.


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La République arabe sahraouie démocratique (RASD), que Rabat ne reconnaît pas, n’a d’ailleurs pas apprécié l’allocution royale. « Une supercherie », selon les mots de l’ambassadeur de la RASD en Algérie, Abdelkader Taleb Omar, dans une déclaration accordée à l’agence de presse algérienne officielle APS.

L’UMA ressuscitée ?

Au contraire, le Tunisien Taïeb Baccouche, secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA) contacté par Jeune Afrique, se dit très enthousiaste. Il qualifie de « courageuse » la proposition de Mohammed VI, espérant qu’Alger répondra rapidement à l’initiative marocaine. Pour lui, il faut multiplier les initiatives bilatérales et les discussions maghrébines. Il précise : « Bien des fonctionnaires algériens sont prêts à traiter d’un côté le dossier du Sahara occidental, et de l’autre la question des frontières terrestres ».


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Il assure que « plusieurs diplomates algériens » lui ont dit qu’il n’avait qu’à leur donner « une date et un lieu, même au Maroc, pour enfin organiser le septième sommet de l’UMA. » Cette rencontre est repoussée depuis le début des années 2000. Baccouche aurait aimé l’organiser en 2018, afin de célébrer le soixantième anniversaire de la conférence de Tanger, qui avait réuni les mouvements nationalistes maghrébins. Il a récemment demandé à Mohammed VI si Rabat était prêt à accueillir le sommet – attendant toujours une réponse. Lors d’une allocution en novembre 2017, Mohammed VI avait regretté la faiblesse de l’UMA.

Omerta

Joints par téléphone, de nombreux élus et cadres de partis algériens nationalistes ou de gauche ont préféré esquiver. La question des relations diplomatiques avec le voisin reste visiblement sensible. Une source admet néanmoins, sous couvert d’anonymat, que « les islamistes et le mouvement amazigh sont les plus ouverts sur la question, car le reste de la classe politique reste très frileux à ce sujet. »

En septembre dernier, Abderrazak Makri, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), plus grand parti islamiste algérien, appelait effectivement à l’ouverture des frontières terrestres entre l’Algérie et le Maroc.

La société civile et la bourgeoisie algérienne sont favorables à une réouverture des frontières, pas la classe politique

Le sociologue Nacer Djabi note de son côté que « des pans entiers de la société civile algérienne, ainsi qu’une part importante de sa bourgeoisie, sont favorables à une réouverture des frontières. C’est au niveau de la classe politique que ça coince. »

Pour le moment, aucune réponse officielle n’a été apportée à la proposition du roi du Maroc. « Les Algériens vont probablement faire la sourde oreille. Ils donneront indirectement leur réponse à Genève en décembre prochain », gage Khadija Mohsen-Finan.