
Joshua Osih, candidat du SDF à la présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun. © François Grivelet pour JA
En enregistrant sa pire participation à une présidentielle (3,35%) depuis sa création en 1990, le Social Democratic Front (SDF) vient de perdre sa place de challenger du président Paul Biya, au profit de Maurice Kamto. Retour sur une déconvenue qui a laissé des traces au sein du parti.
Il en rêvait depuis la création de son parti, il y a vingt-huit ans. Mais en 2018 – comme en 2011, 2004 et 1992 déjà –, John Fru Ndi, le leader du Social Democratic Front (SDF), n’a pas assisté à la victoire tant espérée de son parti à la présidentielle du 7 octobre. Et pour cause, son candidat Joshua Osih n’a pas réussi à l’emporter face au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) et à son indéboulonnable chef, Paul Biya, qui a remporté 71,28% des suffrages.
Avec sa modeste quatrième place, il est loin derrière de jeunes figures de l’opposition, que sont Maurice Kamto (Mouvement pour la renaissance du Cameroun – MRC – , 14,23%) et Cabral Libii (Univers, 6,28%), classés respectivement deuxième et troisième. Une défaite qui menace désormais la position de leader de l’opposition qu’occupe le SDF, deuxième force politique au Parlement camerounais avec 18 députés sur 180.
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Le départ de Joshua Osih réclamés par certains
À un an des élections législatives et municipales, les signaux du SDF sont loin d’être au vert. La déconvenue à la présidentielle a laissé des traces. Au sein de ce parti, plusieurs voix dissonantes se font entendre. C’est le cas de la branche d’Allemagne, où des militants réclament « la démission de l’honorable Joshua Osih de son poste de 1er vice-président du parti », ainsi qu’un « rajeunissement » de la classe dirigeante.
Pendant ce temps-là, à Douala, le député Jean-Michel Nintcheu, l’un des cadres du SDF, avait annoncé à Jeune Afrique son soutien « à la posture du candidat Maurice Kamto », l’un des concurrents ayant contesté les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel et qui réclame toujours sa victoire à la dernière élection.

Dans un bureau de vote de Yaoundé, lors de la présidentielle du 7 octobre 2018. © Sunday Alamba/AP/SIPA
On savait dès le début que ce serait compliqué
Le poids de la crise anglophone
« La défaite du SDF était prévisible », affirme pourtant Stéphane Akoa, politologue à la Fondation Paul Ango Ela, qui estime que des « signes annonciateurs » étaient visibles bien avant l’élection, comme la crise anglophone et le déplacement des populations en dehors du fief du SDF. Une bataille électorale particulièrement ardue pour les socialistes, qui étaient pourtant avertis des difficultés qu’ils rencontreraient.
« On savait dès le début que ce serait compliqué », rapporte le porte-parole de Joshua Osih qui, lui, pointe du doigt les troubles socio-politiques des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le fief du SDF. Un vivier de près d’un million d’électeurs (soit 1/6 de l’électorat), qui a connu un déplacement massif de sa population à l’approche du scrutin. Les chiffres officiels parlent de 300 000 déplacés, avec comme conséquence directe un taux de participation des plus bas du pays : 5% dans le Nord-Ouest et 15% dans le Sud-Ouest.

Une vue de Molyko, l'une des principales artères de la ville de Buea, le 7 octobre 2018, jour de l'élection présidentielle. © Franck Foute pour Jeune Afrique
Pour s’en prémunir, le candidat Joshua Osih avait essayé de séduire l’électorat francophone, en y consacrant la totalité des meetings effectués pendant les deux semaines de campagne officielle. Un effort non payant, au vu de ses scores. « Lors des précédentes élections, le RDPC avait réussi à cantonner le SDF dans les régions anglophones. John Fru Ndi a obtenu 518 175 voix, dont 80% de celles-ci dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest en 2011, en 2004 ce nombre était de 654 066 voix. On peut donc aisément constater la différence avec ces 118 704 voix obtenues cette fois, dont juste 10 968 dans ces régions », explique Francis Ajumane, un journaliste anglophone.
On ne peut pas dire que le chairman n’a pas soutenu la candidature de Joshua Osih
Un candidat isolé ?
« La candidature de Joshua Osih n’a pas été unanimement acceptée au sein du SDF, et il a trouvé ses premiers contradicteurs au sein de l’équipe qui était pourtant censée le soutenir », affirme à Jeune Afrique le politologue Stéphane Akoa. L’analyste et chercheur évoque notamment « des disputes », « des divisions » observées lors de la désignation de Joshua Osih comme candidat du SDF, qui se sont répercutées sur l’implication des ténors du parti pendant la campagne.
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L’analyste rejoint ainsi une partie de l’opinion publique qui va jusqu’à accuser le chairman d’avoir limité son soutien. « Faux », indique-t-on cependant dans l’entourage de Joshua Osih. « John Fru Ndi était le premier à contribuer à chacune des deux collectes de fonds organisées au sein du parti avant la campagne de Joshua. La première était à Bamenda, et la seconde à Yaoundé. Il était lui-même sur le terrain. On ne peut pas dire que le chairman n’a pas soutenu cette candidature », révèle un proche d’Osih sous couvert d’anonymat.
Le porte-flambeau du SDF n’a pas réussi à rassembler autour de son projet politique, en franche rupture avec le « Biya must go » qui a constitué le socle de l’idéologie du parti dans les années 1990. Un repositionnement nouveau, avec des propositions inédites telles que « la fermeture de l’Enam » (l’École nationale d’administration et de magistrature), ou encore la « multiplication du SMIG par 5 », peu convaincant pour les électeurs. « Le SDF est en recherche d’un positionnement remarquable dans l’opinion. Il n’est clairement plus un parti de combat, tel qu’on l’a connu par le passé. C’est peut-être aussi cela qui a déboussolés ou déçus certains de ses sympathisants qui ne s’y reconnaissent plus », ajoute Stéphane Akoa.
L’une des raisons de cet échec est l’absence de Joshua Osih sur le terrain
« C’est le candidat qui a lâché le parti »
Au sein du SDF cependant, les langues se délient. Joshua Osih est notamment accusé d’avoir mené une campagne à l’écart du public et de la machine politique, pourtant disposés à le suivre. Joint au téléphone par Jeune Afrique, Jean Tsomelou, le secrétaire général du SDF, estime que le candidat n’a pas assez « mouillé le maillot ». « L’une des raisons de cet échec est l’absence du candidat sur le terrain. Juste après sa désignation, il s’est rendu dans la diaspora, il était sur les réseaux sociaux, mais pas sur le terrain. C’est une leçon que nous devons retenir, la politique se joue sur le terrain et nulle part ailleurs », explique-t-il. Il s’offusque également que les tee-shirts de campagne de Joshua Osih ne portaient pas le logo du SDF, un des signes que « c’est le candidat qui a lâché le parti », selon lui.
Les militants, eux, souhaitent rapidement tourner la page de cette élection. Les regards sont désormais tournés vers les prochaines élections législatives et municipales, prévues en 2019. Une réunion du Comité exécutif national (NEC) du SDF a été convoqué le 3 novembre à Yaoundé, afin de faire une évaluation de la présidentielle et élaborer la stratégie à mettre en place pour les prochaines consultations électorales.
« Dès novembre, nous serons sur le terrain, pour préparer les prochaines élections », affirme avec enthousiasme Jean Tsomelou, dont la candidature à la députation pourrait être présentée dans le département de la Mifi, dans l’Ouest du pays.
Le SDF pense avoir une nouvelle carte à jouer, et souhaite déjouer les pronostics de ceux qui ont misé sur sa fin politique.
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