
Le président sortant camerounais Paul Biya, votant lors de la présidentielle à Yaoundé, le 7 octobre 2018. © Sunday Alamba/AP/SIPA
Comme en 1992, les Camerounais se réveillent peu à peu avec une certitude : ils viennent d’assister à une élection présidentielle historique. Si la réélection de Paul Biya ne fait plus aucun doute, une opposition a émergé, une autre s’est effondrée et la politique a repris place dans le quotidien des électeurs.
Dans quelques années, se souviendra-t-on de ce mois d’octobre 2018 comme d’un printemps démocratique camerounais ? Maurice Kamto et Akere Muna veulent y croire. Certes, Paul Biya a une nouvelle fois assuré sa réélection. Mais l’opposition a trouvé un souffle nouveau, qui fait croire en des lendemains, sinon meilleurs, au moins différents.
Quels enseignements tirer du scrutin et de la campagne qui l’a précédé ? Quels événements marquants fallait-il noter ? Jeune Afrique dresse un premier bilan.
• L’émergence de Maurice Kamto

Maurice Kamto, en mai 2018 à Paris. © Jacques Torregano pour JA
Maurice Kamto devrait chercher à renforcer son parti
Dès le 8 octobre, le candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) se déclarait vainqueur. Engageant le bras-de-fer avec Paul Biya, il prenait de vitesse Elecam, l’instance camerounaise des élections, et se posait, surtout, en chef de file d’une nouvelle opposition. Trois jours plus tôt, il avait reçu le soutien d’Akere Muna, qui avait accepté de retirer sa candidature et de se désister en sa faveur.
L’ancien ministre délégué à la Justice (2004-2011) est aujourd’hui l’adversaire numéro un de Paul Biya, dont il conteste la réélection. Reste à poursuivre sur sa lancée. Cherchant à éviter des troubles postélectoraux potentiellement dangereux, Maurice Kamto devrait chercher à renforcer son parti et à préparer ses troupes à affronter le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) pour les législatives de 2019.
>>> À LIRE – Présidentielle au Cameroun : Akere Muna se désiste et forme une coalition avec Maurice Kamto
• La chute du SDF

Le député Joshua Osih, candidat du Social Democratic Front (SDF). © Adrienne Surprenant/Collectif Item pour JA
Joshua Osih est sans doute le grand perdant de la course à la présidence
Depuis 1992, le Social democratic front occupait la place de premier parti de l’opposition camerounaise, derrière un John Fru Ndi qui avait failli renverser Paul Biya par les urnes. Depuis, la formation socialiste n’a cessé de s’affaiblir. L’emblématique chairman a fini par passer la main, laissant la candidature à la présidentielle à un représentant de la nouvelle génération, Joshua Osih.
Mais ce dernier, dont la campagne n’a guère mobilisé, est sans doute le grand perdant de la course à la présidence, où son habituel électorat a semble-t-il davantage été séduit par le MRC ou la Plateforme pour la nouvelle république d’Akere Muna (finalement alliés). Handicapé par la crise anglophone ayant empêché les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, bastions historiques de son parti, de se rendre aux urnes, Osih n’aurait réuni, selon les chiffres transmis au Conseil constitutionnel, que 3,36% des suffrages.
>>> À LIRE – Présidentielle au Cameroun – Joshua Osih : « Il faut en finir avec l’hypercentralisation de l’État »
• Le désert anglophone

Une vue de Molyko, l'une des principales artères de la ville de Buea, le 7 octobre 2018, jour de l'élection présidentielle. © Franck Foute pour Jeune Afrique
Effrayés par les menaces des séparatistes ambazoniens, les électeurs ne se sont pas rendus aux urnes
Tous les regards internationaux étaient tournés vers elles. Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n’ont finalement que très peu voté. Effrayés par les menaces des séparatistes ambazoniens, les électeurs ne s’y sont pas rendus aux urnes et les bureaux de vote sont restés désespérément vides, y compris dans les centres sécurisées par les forces armées.
Officiellement, 39 000 personnes ont voté dans le Nord-Ouest, contre 85 000 dans le Sud-Ouest, mais les chiffres sont contestés. L’abstention record dans les deux régions aura finalement donné encore un peu plus d’importance aux votes d’autres provinces telles que l’Adamaoua, le Nord et surtout l’Extrême-Nord. C’est dans ce septentrion, où les candidats avaient concentré leurs forces, que le scrutin s’est visiblement joué.
>>> À LIRE – Présidentielle au Cameroun : le vote impossible des déplacés de la crise anglophone
• Biya absent, Atanga Nji omniprésent

Le président sortant camerounais Paul Biya, votant lors de la présidentielle à Yaoundé, le 7 octobre 2018. © Sunday Alamba/AP/SIPA
Comme à son habitude, le président sortant s’est contenté du minimum, ne s’exprimant pas et envoyant ses fidèles au front
Paul Biya n’aura tenu qu’un seul meeting, à Maroua, dans l’Extrême-Nord. Comme à son habitude, le président sortant s’est contenté du minimum, ne s’exprimant pas et envoyant ses fidèles au front. Samuel Mvondo Ayolo, le directeur de cabinet civil, a géré la campagne avec René Emmanuel Sadi, ministre chargé de mission à la présidence, Jacques Fame Ndongo (Enseignement supérieur) et Issa Tchiroma Bakary (Communication), quitte à froisser Jean Nkuete, le secrétaire général du RDPC.
Surtout, Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, était en première ligne. En sécurocrate volontiers prêt à en découdre, il était chargé de s’assurer, quotidiennement, qu’aucun candidat ne franchirait une ligne rouge définie pour chacun à l’avance. Sa principale mission : empêcher Maurice Kamto et ses soutiens d’organiser une revendication populaire et un soutien de la rue à l’opposition.
>>> À LIRE – Présidentielle au Cameroun : meetings, affiches et ravalement de façade, comment Paul Biya a préparé sa victoire
• Une première pour le Conseil constitutionnel

Une femme vote lors de l'élection présidentielle au Cameroun, le dimanche 7 octobre 2018 (Image d'illustration). © Sunday Alamba/AP/SIPA
Les audiences devant le Conseil constitutionnel auront eu le mérite de replacer le débat politique et juridique dans le quotidien des Camerounais
Créé par la loi du 18 janvier 1996, le Conseil constitutionnel n’a été installé qu’en février 2018 avec, à sa tête, le président Clément Atangana. Huit mois plus tard, il passait son baptême du feu en étant chargé d’examiner les recours de l’opposition après la présidentielle du 7 octobre. L’épreuve aura été rude, et diffusée en direct à la télévision nationale.
Durant trois jours, les membres du Conseil ont vu se succéder à la barre les avocats de l’opposition et les candidats, dont Maurice Kamto, Akere Muna, Michèle Ndoki, Joshua Osih… Chacun a dénoncé la fraude mise en place, selon eux, par le parti au pouvoir avec la complicité d’Elecam. Si la totalité ont finalement été rejetés, les audiences auront eu le mérite de replacer le débat politique et juridique dans le quotidien des Camerounais, qui se sont passionnés pour les joutes.
>>> À LIRE – [Tribune] Présidentielle au Cameroun : Kafka à Yaoundé
• Des législatives en ligne de mire

Une femme inscrivant son empreinte digitale, lors de l'élection présidentielle à Yaoundé, au Cameroun, le 9 octobre 2011 (photo d'illustration). © Sunday Alamba/AP/SIPA
Les principaux candidats de l’opposition n’ont pas reconnu les résultats de la présidentielle. Mais, avec la décision du Conseil constitutionnel, la page de la présidentielle risque, néanmoins, de se tourner. Chacun tentera alors de poursuivre sur sa lancée. Maurice Kamto misera sans aucun doute sur le MRC et sur son succès populaire.
De son côté, Akere Muna, malgré le fait qu’il ait retiré sa candidature le 5 octobre pour soutenir Kamto, a d’ores et déjà prévu de créer son propre parti politique. Il espère garder intact sa Plateforme pour la nouvelle république et offrir une troisième voie, proche de la société civile, entre le MRC et le RDPC.
Reste un dernier homme, Cabral Libii. Le benjamin de la présidentielle, qui aurait recueilli 6,28% des suffrages, saura-t-il capitaliser sur le réel soutien aperçu derrière lui durant la campagne ? Il devrait chercher à asseoir sa légitimité politique dans le Littoral, où ses scores ont semble-t-il été satisfaisants. Le candidat d’Univers aura sans doute à cœur de prouver qu’il représente davantage qu’un phénomène médiatique sans lendemain. À 38 ans, il a, plus que les autres, son avenir politique devant lui.
>>> À LIRE – Cameroun : Biya forever ?
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