L’événement était attendu, même si l’on ignorait qu’il surviendrait si vite. L’élection, le 12 octobre, de Louise Mushikiwabo au poste de secrétaire générale de la Francophonie, après avoir été ministre des Affaires étrangères depuis 2009, a précipité les choses, conduisant le président rwandais Paul Kagame à décider d’un remaniement ministériel, le 18 octobre dans la soirée. Si les évolutions constatées s’inscrivent dans une certaine continuité, d’autres comportent une charge symbolique non négligeable.
Après avoir occupé pendant huit ans la fonction de ministre de la Défense, James Kabarebe y cède sa place. Fidèle parmi les fidèles du chef de l’État, ce stratège militaire précoce, qui avait rejoint en 1990 l’Armée patriotique rwandaise (APR, l’ex-rébellion à majorité tutsie), poursuivra son compagnonnage avec Paul Kagame en devenant son conseiller spécial pour les affaires de sécurité.
À bientôt 60 ans, James Kabarebe aura servi successivement, en tant qu’officier, dans trois armées distinctes de la sous-région. En Ouganda d’abord, son pays d’exil, où il fut officier de renseignement – comme son mentor – dans la NRA de Yoweri Museveni. En RD Congo ensuite, où, après avoir été chargé officieusement de conduire la marche victorieuse de l’AFDL (la rébellion alors dirigée par Laurent-Désiré Kabila) jusqu’à Kinshasa, avec le soutien de Kigali et Kampala, il occupa, de 1997 à 1998, la fonction de chef d’état-major des armées.
Au Rwanda enfin, où il occupa la même fonction à partir de 2002. Honni à Kinshasa pour avoir incarné l’ingérence militaire rwandaise en RD Congo, adulé à Kigali pour ses faits d’armes pendant près de deux décennies, James Kabarebe avait été nommé ministre de la Défense en 2010.
Il est logique que James Kabarebe s’efface du ministère pour que des officiers plus jeunes récoltent les fruits que lui-même a semés
Renouvellement générationnel
Son remplacement s’inscrit, selon plusieurs sources officielles rwandaises, dans une logique de renouvellement générationnel, ce qu’illustre la composition de ce nouveau gouvernement, globalement rajeuni.
« Il a servi loyalement Paul Kagame depuis qu’il a été son aide de camp à Mulindi, pendant la guerre de libération, évoque une source à Kigali. Il continuera de le faire d’une autre manière, en tant que conseiller spécial. » « Il est logique qu’il s’efface du ministère pour que des officiers plus jeunes récoltent les fruits que lui-même a semés », analyse un observateur rwandais.
Son remplaçant, le général major Albert Murasira, dirigeait jusque-là la banque coopérative de l’armée rwandaise, la Zigama CSS. Peu connu des Rwandais, il a pour particularité d’avoir servi, avant 1994, dans les Forces armées rwandaises (FAR), l’ancienne armée gouvernementale qui a pris part au génocide des Tutsi, assure une source officielle.
Membre de l’armée rwandaise depuis 1989, il a notamment été le commandant en second de l’académie militaire de Gako et le directeur de la planification au ministère de la Défense. Titulaire de divers diplômes obtenus au Rwanda, au Royaume-Uni, en Chine et au Ghana, il a notamment servi au sein de l’état-major de la Mission des Nations unies au Soudan.
Pour remplacer Louise Mushikiwabo, qui prendra début janvier ses fonctions de nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le choix présidentiel s’est porté sur le Dr Richard Sezibera. Médecin de formation, celui-ci avait pris part à la « guerre de libération » menée par le Front patriotique rwandais (FPR) en gérant le « Sick Bay », un hôpital de campagne installé dans l’ancien QG de la rébellion, à Mulindi. Élevé au Burundi, il a accompli une partie de ses études supérieures en Ouganda, à l’université de Makerere.
Nommé médecin personnel du président Pasteur Bizimungu au lendemain du génocide, élu député en 1995, il bifurque ensuite vers la diplomatie. En 1999, il devient l’ambassadeur du Rwanda à Washington. Puis on le retrouve conseiller spécial à la présidence, avec le titre d’envoyé spécial pour la région des Grands Lacs. Présenté comme « brillant », « parlant parfaitement le kinyarwanda, le swahili, l’anglais et le français », il occupera diverses fonctions officielles au Rwanda, notamment en tant que ministre de la Santé à partir de 2008. En 2011, il devient le secrétaire général de l’EAC (East African Community). La fin de son mandat s’avère difficile, dans un contexte tendu entre le Rwanda, la Tanzanie de Jakaya Kikwete et le Burundi de Pierre Nkurunziza.
Depuis son retour à Kigali, il avait été nommé sénateur. Comme Louise Mushikiwabo, il aura dans ses attributions l’Office of the Government Spokesperson (OGS), ce qui fera de lui le porte-parole du gouvernement.
Home-grown solutions
Premier dans l’ordre de la liste transmise par Kigali, mais qui « ne comporte aucun ordre protocolaire », précise-t-on à la présidence, Anastase Shyaka remplace au ministère de l’Administration locale Francis Kaboneka, lui aussi décrit comme « brillant » et dont chacun s’attend à ce qu’il soit prochainement « redéployé vers d’autres fonctions, sachant qu’il préfère travailler dans l’ombre ». Responsable du Rwanda Governance Board depuis sa création en 2011, ce professeur de science politique avait été auparavant le secrétaire exécutif du Rwanda Governance Advisory Council (RGAC), dès 2008.
Il est désormais à la tête de ce ministère clé au Rwanda, en charge de la gouvernance locale, de la décentralisation et des « home-grown solutions » (ces pratiques d’administration inspirées de coutumes ancestrales). « Il a été l’architecte des réformes portant sur la gouvernance locale, et le technicien le mieux informé en la matière : il est donc logique qu’il soit nommé à ce poste », indique une source bien informée.
Le chef de la police rwandaise, Emmanuel Gasana, cède son poste mais devient gouverneur de la province du Sud, frontalière du Burundi, dans un contexte sécuritaire très tendu entre les deux pays.
Devenu récemment secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, ancien ambassadeur à Bruxelles, est nommé secrétaire d’État en charge de l’East African Community. Trois poids lourds du gouvernement, le ministre de la Justice, Johnston Busingye, celui des Infrastructures, Claver Gatete, et celui de l’Environnement, Vincent Biruta (par ailleurs président du PSD, un parti allié au FPR), conservent quant à eux leur portefeuille.
Dans ce nouveau cabinet, 50 % de femmes sont titulaires d’un ministère de plein exercice
Parité
Soraya Hakuziyaremye, une jeune femme issue de la diaspora belge, fait son apparition en tant que numéro trois du gouvernement en prenant la tête du ministère du Commerce et de l’Industrie. Ancienne cadre supérieur à BNP Paribas et à la Bank of New York Mellon à Bruxelles, conseillère de Louise Mushikiwabo au ministère des Affaires étrangères de 2012 à 2014, elle officiait ces dernières années en tant que « senior vice president » à l’ING Bank, à Londres. Elle aura notamment la charge de promouvoir les produits « Made in Rwanda » et de doper les exportations.
Fidèle à sa réputation de pays modèle en matière de parité hommes-femmes, le Rwanda, qui a opté pour un gouvernement resserré (26 ministres au lieu de 31 précédemment), s’enorgueillit également que, dans ce nouveau cabinet, 50 % de femmes soient titulaires d’un ministère de plein exercice.