Politique

Boycott du « Davos du désert » : simple effet d’annonce ou réelle menace ?

Depuis la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, il y a deux semaines à Istanbul, de nombreux partenaires économiques du royaume ont décidé de ne pas assister à la 2e édition du sommet « Future Investment Initiative », prévu du 23 au 25 octobre à Riyad. Ira, n’ira pas : simple effet d’annonce ou réel boycott ? Éléments de réponse.

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Mis à jour le 17 octobre 2018 à 11:30

Le prince héritier, Mohamed Ben Salman, lors d’une réunion du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le 27 avril 2017 à Riyad. © Uncredited/AP/SIPA

Lundi 15 octobre, le Financial Times est venu ajouter son nom à la liste des médias ayant décidé de bouder la conférence saoudienne Future Investment Initiative (FII). « On ne sera pas partenaires [de l’événement] tant que la disparition du journaliste Jamal Khashoggi restera inexpliquée », a confirmé sur Twitter le rédacteur en chef Lionel Barber. Avant lui, The New York Times, The Economist, CNN, CNBC et Bloomberg avaient déjà retiré leur soutien au « Davos du désert ».


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Ce projet phare du prince héritier Mohamed Ben Salmane (MBS) constitue la vitrine du pharaonique plan « Vision 2030 » de l’Arabie Saoudite, censé transformer le premier exportateur mondial de pétrole en géant technologique et touristique.

« L’objectif affiché de Vision 2030 est de diversifier et ‘saoudiser’ l’économie de Riyad. Ce projet de grande ampleur est un gisement de contrats potentiels qui attire des investisseurs prestigieux », affirme Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Proche-Orient. Un rendez-vous fondamental, donc, pour l’avenir de la finance du royaume.

Uber, Ford, Siemens… Ceux qui n’iront pas

Si l’absence des grands médias est un coup sévère pour la communication du sommet économique saoudien, d’autres acteurs de l’économie et de la finance ont décidé de se retirer. Le patron d’Uber, Dara Khosrowshahi, n’ira pas à Ryad – « à moins qu’une série de faits considérablement différents » ne soient divulgués sur la disparition du journaliste saoudien, a-t-il déclaré à l’agence Bloomberg.

Le PDG de la banque américaine JP Morgan, Jamie Dimon, a retiré son nom de la liste des présents, tout comme le constructeur automobile Ford Motor Co. Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a également annoncé vendredi qu’il ne se rendrait pas à Ryad. Le géant allemand Siemens, dont le patron est également invité, n’a pour l’instant pas annulé sa participation, mais le groupe a fait savoir qu’il « surveille la situation ».


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Le milliardaire britannique Richard Branson, fondateur du groupe Virgin et l’un des soutiens les plus enthousiastes du premier « Davos du désert », a quant à lui annoncé sa décision de geler plusieurs projets d’affaires avec le royaume. L’Arabie saoudite lui a offert un poste de conseiller dans le tourisme, et promis d’investir un milliard de dollars dans des projets de tourisme spatial. Côté français, les dirigeants de BNP Paribas, Société Générale, Thales, EDF et AccorHotels n’ont pour l’instant pas annulé leur participation.

Les Américains ont « pour l’instant » l’intention d’y aller

Le site de la rencontre avait cependant annoncé la venue de la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, mais cette dernière a dévoilé mercredi qu’elle avait « reporté son déplacement ». Quant au secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, il a déclaré que « pour l’instant », il avait l’intention d’y aller. « Si de nouvelles informations sont révélées, nous les considérerons », a-t-il ajouté.

D’après les dernières informations des médias américains, Donald Trump enverra son secrétaire d’État Mike Pompeo en Arabie Saoudite pour réclamer des explications. Le président américain a menacé l’Arabie saoudite, en cas d’implication avérée, de « châtiment sévère » – excluant toutefois un gel des ventes d’armes américaines en guise de sanctions.

Une indignation « émotionnelle »

D’après Theodore Karasik, analyste basé à Washington, « beaucoup de ces cadres de grandes entreprises répondent à l’indignation émotionnelle. Néanmoins, la FII attire toujours un nombre considérable de participants, ce qui sera toujours un progrès. Le processus de réformes sociales et économiques du royaume attire les investisseurs étrangers, qui reconnaissent les opportunités disponibles tout en étant conscients des risques. »

Des entreprises n’enverront pas leurs principaux dirigeants, mais des représentants d’un degré moindre

Si le boycott de la part de certains partenaires est un signe clair, Didier Billion abonde dans le même sens. « Ce pourrait être uniquement des effets d’annonce. C’est très probable qu’un certain nombre d’entreprises n’enverront pas leurs principaux dirigeants, mais simplement des représentants d’un degré moindre. Il faudra prêter attention à qui va effectivement se rendre à la conférence, et surtout à quel niveau. »

Selon le spécialiste, les intérêts en jeu sont trop importants. « Cela n’empêche pas qu’il y ait des conséquences. Cette disparition est en quelque sorte la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le fait que Trump, premier allié de Mohamed Ben Salmane, demande des explications au prince saoudien, est assez significatif. Il y aura donc des remontrances, mais pas une rupture définitive. Ni politique, ni économique », conclut Didier Billion.