[Tribune] Nous avons besoin du leadership de l’Afrique pour mettre fin à la menace des armes nucléaires

Le Traité d’interdiction des armes nucléaires, adopté à l’ONU en juillet 2017, n’a pour l’instant été signé que par 21 États africains. Et un seul l’a ratifié : la Gambie. Beatrice Fihn lance un appel pour que les nations africaines « refusent d’être prise en otage par les caprices de quelques hommes avec le doigt sur le bouton ».

Une photo diffusée par la Corée du Nord en août 2017 montrant un tir de missile. © AP/SIPA

Une photo diffusée par la Corée du Nord en août 2017 montrant un tir de missile. © AP/SIPA

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  • Béatrice Fihn

    Directrice Exécutive de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN, prix Nobel de la paix 2017)

Publié le 9 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Un adage me vient souvent à l’esprit quand je discute de politique étrangère et de problématique de sécurité : « De bonnes clôtures font de bons voisins ». En d’autres termes, des frontières clairement définies et inviolables sont essentielles aux relations pacifiques entre les nations. En maintenant à peu près l’ordre sur son territoire, un pays s’assure que les problèmes de ses voisins ne débordent pas sur le sien.

Ce débat perd cependant tout son sens en cas de guerre nucléaire : les armes nucléaires ne respectent pas les frontières nationales. L’usage d’armes nucléaires où que ce soit aurait des conséquences désastreuses qui affecteraient rapidement le monde entier et atteindraient sans nul doute le continent africain, même si ce conflit a lieu à des milliers de kilomètres.

Pendant des décennies, une poignée d’États dotés de la bombe atomique ont laissé le reste du monde à la porte de leurs négociations sur notre futur commun

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En effet, un conflit nucléaire de portée même limitée, comme par exemple entre l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire, provoquerait un hiver nucléaire qui durerait entre 2 et 3 ans et dévasterait la production de nourriture, menant ainsi des centaines de millions de personnes à la famine. Cela vous semble excessif ? Pourtant, avec 15 000 armes nucléaires dans le monde, un tel scénario pourrait résulter à l’utilisation de seulement une centaine d’entre elles…

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Il n’est pas difficile d’en déduire à quel point la menace d’une telle crise pèse sur le continent africain, quand bien même ce dernier n’y est pas impliqué. Les réserves de nourriture en Afrique sont interdépendantes de celles de l’Asie. Le Niger, le plus grand pays africain, est maintenant le troisième importateur de riz au monde, l’Inde étant son principal fournisseur.

Pendant des décennies, une poignée d’États dotés de la bombe atomique ont laissé le reste du monde à la porte de leurs négociations sur notre futur commun. Cela a changé l’année dernière aux Nations unies, lorsqu’une large majorité d’États a adopté un Traité révolutionnaire : celui sur l’interdiction des armes nucléaires.

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En quelques mots, ce Traité reconnait les graves dommages humanitaires engendrés par ces armes, et rend leur possession, ainsi que la menace de leur utilisation, illégales. Une fois que 50 États auront ratifié ce Traité, celui-ci fera autorité comme loi internationale. Actuellement, 69 États l’ont déjà signé, parmi lesquels 19 l’ont ratifié.

L’Afrique du Sud reste à ce jour le seul pays à avoir développé puis renoncé aux armes nucléaires

Cependant, si 21 États africains font aujourd’hui partie des signataires, aucun d’entre eux n’a encore manifesté la volonté de le ratifier rapidement. Un seul État africain a récemment franchi ce pas, lors de la journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires, le 26 septembre : la Gambie.

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Depuis plusieurs dizaines d’année, l’Afrique est pourtant un leader dans le débat sur les armes nucléaires. L’Afrique du Sud reste à ce jour le seul pays à avoir développé puis renoncé aux armes nucléaires. La plupart des États du continent sont parties au Traité de Pelindaba qui fait de l’Afrique une Zone exempte d’arme nucléaire. Si quarante des États qui ont signé et ratifié celui-ci se hâtaient de ratifier le Traité d’interdiction des armes nucléaires, ce dernier pourrait rapidement entrer en vigueur.

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Agir de la sorte permettrait aux leaders africains de mieux contrôler le futur de leur États, et d’assurer ainsi une plus grande sécurité pour leurs concitoyens. L’Afrique a beau être dépourvue d’armement nucléaire, elle n’est cependant pas à l’abri du risque de subir leurs conséquences.

Or, plutôt que de mettre fin à cette menace, quelques États africains contribuent sans s’en rendre compte au développement des armes nucléaires. En effet, des banques globales permettent le financement d’une nouvelle génération d’armes nucléaires qui pourront continuer à faire planer la menace nucléaire pendant des dizaines d’années encore. Ces banques, telles que la BNP Paribas, sont présentes dans toute l’Afrique et offrent leurs services dans onze pays du continent. Cette banque, à elle seule, pourvoit 8,6 milliards de dollars au financement de sociétés qui produisent des armes nucléaires.

Le Traité d’interdiction des armes nucléaires remettrait le pouvoir entre les mains des nations africaines. Il les obligerait à cesser de soutenir le développement de ces armes, interdisant aussi leur financement, et permettrait d’autres démarches qui conféreraient davantage de sécurité pour leur peuple et leur environnement.

Aucun pays n’est en réalité à l’abri du danger que font planer les armes nucléaires. Aucun endroit au monde, aussi reculé soit-il, n’offre un refuge approprié si une guerre nucléaire venait à éclater ; aucune nation ne peut se déclarer neutre vis-à-vis d’un conflit impliquant des Etats dotés de l’arme nucléaire.

Il appartient donc à chaque nation de prendre en main sa destinée, avant qu’elle ne lui soit dérobée par des événements géopolitiques dans lesquels elle n’a même pas pris part. Chacune d’entre elles peut le faire en rejoignant la communauté croissante des nations qui sont parties au Traité d’interdiction de ces armes de destruction massive.

Chaque nation peut refuser d’être prise en otage par les caprices de quelques hommes avec le doigt sur le bouton qui, pour un tweet envoyé tard dans la nuit où une insulte, sont prêts à nous faire tous plonger dans un cauchemar de leur propre fabrication. En ratifiant le Traité d’interdiction des armes nucléaires, les Nations africaines revendiquent leur propre destinée et font passer l’histoire du côté de la raison et de l’humanité.

* Tribune traduite de sa version anglaise « Why we need African leadership to end the threat of nuclear weapons« , publiée le 1er octobre 2018 sur CNBC Africa.

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