Politique

Burkina : l’avocat général favorable à l’extradition de François Compaoré

Les juges français livreront leur délibéré le 5 décembre sur la demande d’extradition de François Compaoré. La justice burkinabè souhaite entendre le frère de l’ancien président dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois compagnons en 1998.

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Mis à jour le 4 octobre 2018 à 13:58

François Compaoré à la sortie de la salle d’audience de la Cour d’appel de Paris, le mercredi 28 mars 2018. © Aïssatou Diallo / Jeune Afrique

Dans la salle d’audience du Palais de justice de Paris bondée mercredi, un juge passe en revue la grosse pile de documents fournis par le Burkina Faso. Des notes du juge d’instruction, Émile Zerbo, de nombreuses auditions de témoins, une note des services de renseignement, des conclusions d’experts balistiques, l’ordonnance de réouverture de l’instruction, une note du ministre de la Justice, Bessolé René Bagoro, sur la peine maximale et le régime d’aménagement des peines…

Un dossier que les autorités burkinabè ont adressé à la justice française après la demande formulée par celle-ci le 13 juin dernier. La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris avait alors réclamé d’apporter « des éléments matériels précis de nature démontrer l’implication de François Compaoré dans l’assassinat de quatre personnes dont le journaliste d’investigation Norbert Zongo ».

Une masse imposante de documents – dont le détail n’a pas été rendu public au nom du respect du secret de l’instruction – sur lesquelles les juges vont se pencher d’ici au 5 décembre, date fixée pour le prononcé du délibéré.

« Incitation à assassinat »

Le petit frère de l’ancien président Blaise Compaoré est sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par le Burkina. La justice de son pays souhaite l’entendre pour « incitation à assassinat » du journaliste d’investigation Norbert Zongo et de ses trois compagnons, le 13 décembre 1998. François Compaoré, interpellé fin octobre 2017 à l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, est depuis lors placé sous contrôle judiciaire en France.

Lors de l’audience de ce mercredi, l’avocat général a émis un avis favorable à son extradition. « Nous avons obtenu les réponses que vous avez demandées. C’est à vous de les examiner maintenant », a-t-il dit aux juges. Mais « ce n’est pas à vous de décider s’il est coupable. La question qui se pose est la suivante : est-ce qu’il y a des éléments précis de son implication ? »

Pour l’avocat général, l’abolition de la peine de mort et la modification du code de procédures pénale et le régime d’aménagement des peines sont des éléments qui démontrent « une volonté d’amélioration » et que « tout est fait pour que les choses changent ». Contrairement à ce que répète la défense, « ce n’est pas parce que c’est un homme politique qu’il ne faut pas l’extrader, sinon ce serait accorder l’impunité à tous les passeports diplomatiques », a-t-il estimé.

Il ne s’agit pas de faire le procès avant le procès

L’avocat général a également balayé du revers de la main les inquiétudes de la défense sur les conditions dans les prisons. « N’est-ce pas ironique de vous en préoccuper aujourd’hui ? Qu’avez-vous fait lorsque vous étiez au pouvoir pour améliorer les conditions carcérales ? », a-t-il ironisé. Pour lui, les conditions de détentions sont fonction du niveau de vie dans le pays et « dans le cas où il serait condamné, le Burkina s’est engagé à le placer dans une aile moins surchargée et accessible à la communauté internationale pour tout contrôle ».

Les réquisitions de l’avocat général font écho à la position exprimée par le président français, lors de sa visite au Burkina Faso en juin 2017. Emmanuel Macron avait, tout en insistant sur « l’indépendance de la justice », affirmé : « Je ne doute pas que la réponse à la demande d’extradition sera favorable ».

Les avocats de l’État du Burkina Faso se sont réjouit de ces réquisitions. Me Anta Guissé les a qualifiées d’ »extrêmement fouillées, circonstanciées et motivées ». « Il ne s’agit pas de faire le procès avant le procès », a-t-elle expliqué. « Il y a des éléments extrêmement précis dans le dossier. Nous demandons la possibilité que la justice burkinabè puisse écouter François Compaoré pour la poursuite de l’enquête. »

La défense dénonce « un procès politique »

La défense de François Compaoré a pour sa part dénoncé un « procès politique »et un « acharnement » contre leur client. Me Pierre-Olivier Sur insiste : « Si c’était un personnage lambda, le Burkina n’aurait pas aboli la peine de mort, tenté de ratifier un nouveau traité de coopération judiciaire avec la France, modifié son code pénal, modifié le code de procédure pénale pendant l’année qu’a duré la procédure d’extradition ».

Le vote à l’Assemblée nationale abolissant la peine de mort avait été décrié par le Congrès pour la démocratie et le Progrès (CDP, le parti de Blaise Compaoré), pour qui l’abolition de la peine de mort a été « accélérée » pour « répondre aux interrogations de la justice française ».

Me Pierre-Olivier Sur a également dénoncé ce qu’il juge être un faux en écriture de la part d’un juge d’instruction burkinabè, et émis des « doutes sur les conditions dans lesquelles le complément d’informations a été fait. »

L’autre point soulevé par la défense concerne la validité du mandat d’arrêt international. « Le droit n’a pas été respecté », estime Me Sur. « D’après la lecture du code de procédure pénale burkinabè, pour délivrer un mandat d’arrêt international, il faut d’abord une inculpation. Or, François Compaoré n’est ni poursuivi, ni inculpé. Le mandat d’arrêt ne tient pas », a-t-il martelé.

À la fin de l’audience, François Compaoré s’est défendu devant les juges : « J’ai été choqué comme tout le monde par l’assassinat de Norbert Zongo. Je n’ai incité personne à le faire. Quel genre d’homme poserait un tel acte à quelques jours de l’investiture de son frère ? », a-t-il plaidé.