La Banque mondiale vient d’accorder un appui budgétaire de 60 millions de dollars à la Guinée pour son exercice 2018, avec une priorité accordée au secteur agricole. Pour en parler, Jeune Afrique a rencontré le Béninois Rachidi Radji, 64 ans, représentant
résident de la Banque mondiale en Guinée depuis février 2016.
Jeune Afrique : Selon les chiffres de la Banque mondiale, la croissance a atteint 8,3 % en 2017, après 10,5 % en 2016 [elle est restée stable à 6,6 pour le FMI]. Les perspectives sont-elles positives ?
Rachidi Radji : En 2014-2015, avec l’épidémie d’Ebola, l’activité économique a ralenti à moins de 4 %. Moins d’un an après, le taux de croissance a rebondi à plus de 10 %. L’économie est robuste, portée par deux secteurs : les mines et l’agriculture. Et un peu l’énergie. L’ambition du gouvernement est de revenir à un taux supérieur à 10 %. Si les fondamentaux sont renforcés, et en particulier la diversification de l’agriculture, je dirais que c’est du domaine du possible.
On ne veut pas retourner à ce que fut le PPTE.
Le FMI, l’autre institution financière internationale, pointe régulièrement sa crainte d’un « retour des crises de la dette » en Afrique. Avec une dette de plus de 40 % du PIB, considérez-vous que la Guinée est concernée ?
En théorie économique, s’endetter n’est pas à bannir. Par contre, il faut bien regarder la qualité de l’endettement, la maturité et la capacité à payer. À défaut, on crée un passif lourd pour les générations futures. D’où l’alerte. On ne veut pas retourner à ce que fut le PPTE. Tout programme de ce type se traduit par l’utilisation des ressources d’autres citoyens pour effacer des dettes. Nous sommes en train de renforcer la capacité de gestion de la dette. Il faut qu’on soit vigilant.
De l’avis de certains, cette croissance, adossée aux mines, n’est pas durable. Est-ce pour cela que les retombées économiques tardent à se faire sentir pour la population guinéenne ?
Quand nous, les macro-économistes, disons qu’il y a croissance, les gens répondent qu’elle n’est pas ressentie chez la population. C’est généralement lié à la structure de l’économie. En particulier dans le cas de la Guinée, où les mines sont une importante source de revenus.
Nous sommes en train de travailler avec la Société financière internationale (IFC) sur le contenu local. Les entreprises guinéennes vont vendre des services au secteur minier, ce qui va créer un effet d’entrainement sur le reste de l’économie. Si on prépare les PME, les groupes miniers devraient pouvoir s’approvisionner sur place.
Le code minier de 2015 a une véritable valeur ajoutée par rapport au cadre précédent
80 % de la population est en milieu rural. Pour l’atteindre, il faut que la croissance soit portée par l’agriculture. La croissance de l’économie guinéenne est unijambiste, il lui faut deux pieds pour être pérenne. Développer l’agriculture va créer plus de résilience et de diversification.
Le gouvernement guinéen a initié ces dernières années une batterie de nouveaux codes relatifs aux investissements et aux mines, pour rassurer les investisseurs, mais aussi pour renforcer les retombées locales des IDE. Ces mesures sont-elles efficaces ?
Le code minier de 2015 a une véritable valeur ajoutée par rapport au cadre précédent. Je ne dis pas qu’il est parfait. Après, il faut développer l’application, les décrets, les arrêtés… Le fait d’assainir le code a repositionné le pays positivement : des investisseurs privés arrivent. Nous poursuivons le travail de réforme de la gouvernance, de la transparence et nous efforçons d’accroître l’effet d’entrainement du secteur minier, grâce au contenu local.
IFC s’est retiré de Simandou, mais pas du secteur minier guinéen.
Si le code des investissements a été approuvé, les textes d’application n’ont pas suivi suffisamment rapidement. On a rappelé aux autorités la nécessité d’accélérer la mise en place des réformes.
La Banque mondiale était, via l’IFC, actionnaire du projet Simandou, s’en est retirée en octobre 2016. Deux ans plus tard, quelle est votre position sur ce projet ? Continuez-vous à le suivre ?
IFC s’est retiré pour le moment du projet, mais pas du secteur minier guinéen. Il est dans l’extension de la CBG (Compagnie des bauxites de Guinée), du GAC (Guinea alumina corporation)…
Il faut préparer le pays à exporter de l’énergie
À quoi servira concrètement l’appui budgétaire de 60 millions de dollars que vous venez d’accorder à la Guinée ?
Ces 60 millions de dollars vont appuyer le budget 2018 sur quatre principaux chantiers. Le premier porte sur la gestion des finances publiques. Il s’agit de renforcer le cadre budgétaire et de rendre sa mise en œuvre plus efficace.
Nous travaillons également sur l’énergie. On a un programme de 50 millions de dollars pour amener l’électricité dans les petites villes. Dans quelques années, la Guinée sera en surcapacité. Afin que le système soit viable, il faut amener l’énergie chez les usagers, mais aussi préparer le pays à exporter. L’interconnexion Guinée-Mali fait partie des projets approuvés l’année dernière.
Notre troisième priorité est la gestion durable des ressources naturelles. Il y a eu des progrès indéniables dans la gouvernance minière que nous voulons renforcer. Le dernier point est le soutien à l’agriculture. Notre stratégie s’articule autour de trois axes : l’investissement, les capacités humaines et les réformes destinées à accroître la rentabilité du secteur.
La partie conventionnelle du Port de Conakry a été attribuée de gré à gré au groupe turc Albayrak. Est-ce que ce type de partenariat, à même d’accroître les investissements privés, est à encourager ?
Je l’ai suivi en tant que résident. J’ai compris que l’intention a été de renforcer la productivité du port en faisant un partenariat public-privé. Cette démarche est saluée. Maintenant, le fait de l’avoir fait en gré à gré est une question que chacun peut se poser en tant que citoyen. C’est au gouvernement de communiquer.
Le gré à gré n’est pas interdit, mais il y a des explications que toute autorité doit à ses citoyens. Le gestionnaire doit rendre des comptes. Les citoyens sont dans leur rôle d’interpeller la puissance publique, à charge pour cette dernière de s’expliquer.
Au regard de l’objectif de développement, il est bon que la dynamique démocratique se renforce
Les élections législatives devaient se tenir légalement en septembre 2018. Est-ce qu’il faut craindre que ce retard provoque des réticences de la Banque mondiale à accorder des crédits plus importants à la Guinée ?
Notre souhait est que tous les acteurs s’entendent et que le processus démocratique enclenché depuis dix ans se consolide. Cela renforce l’image du pays, encourage les investisseurs.
S’il y a des soubresauts, tous les programmes évoqués ne pourront pas être mis en œuvre. Ce n’est pas une condition de notre part, mais au regard de l’objectif de développement, il est bon que la dynamique démocratique se renforce.