
Le chef de l'État mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, au siège des Nations unies en 2014. © John Minchillo/AP/SIPA
Le président Mohamed Ould Abdelaziz a remporté les élections législatives, régionales et municipales du 1er et du 15 septembre. Va-t-il en profiter pour modifier la Constitution afin de pouvoir se présenter une troisième fois en 2019 ?
La forte implication personnelle du chef de l’État mauritanien dans la campagne électorale a payé : l’Union pour la République (UPR), son parti, a remporté la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale, soit 89 des 157 députés, treize conseils régionaux sur treize et une majorité de conseils municipaux.
Mais le succès est moins spectaculaire qu’il n’y paraît, car l’UPR a frôlé la catastrophe à la législative de Zouerate, a perdu la mairie de Nouadhibou au profit de son allié d’Al-Karama et a abandonné au parti islamiste Tawassoul trois des communes de la capitale Nouakchott.
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Rassemblée sous la bannière du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), l’opposition dite « radicale » a contesté la validité de ces résultats, dès le lundi 17 septembre, déclarant avoir eu « l’État contre [elle] » et avoir pâti de nombreuses fraudes, notamment dans la commune d’El-Mina (Nouakchott) où la victoire de la majorité présidentielle a été acquise sur le fil.
La percée de Tawassoul
Autre vainqueur du scrutin, Tawassoul a obtenu 14 sièges de députés (2 de moins qu’en 2013) et beaucoup de sièges de conseillers municipaux, ce qui explique a posteriori pourquoi le président Mohamed Ould Abdelaziz a concentré sur ce parti ses attaques depuis le mois d’août en le qualifiant « d’extrémiste » et de « dangereux pour la Mauritanie ». Même si son ancien président et député sortant Mohamed Jemil Ould Mansour n’est pas parvenu à ravir la région de Nouakchott à Fatimetou Mint Abdel Malik (maire UPR sortant de Trevagh Zeina), il s’en est fallu de peu qu’il gagne.
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Tawassoul, deuxième force politique du pays, est désormais le chef incontesté de l’opposition, car il a su jouer de ses alliances tous azimuts pour se placer au centre du jeu, au moment où les vieux partis d’opposition pâtissaient de leurs boycotts électoraux successifs. Rassemblement des forces démocratiques (RFD) comme Union des forces de progrès (UFP) ont perdu beaucoup de voix et ne sont plus en mesure de peser sur leurs partenaires au sein du FNDU.
Les résultats poussent nombre de caciques à réfléchir à la relève. Et Mohamed Vall Ould Bellal, président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), a eu raison de souligner à l’occasion de ces scrutins « l’émergence de choix politiques sur la base de critères rompant avec le conformisme de la société traditionnelle ».
La question du troisième mandat
Désormais, la question qui hante les esprits en Mauritanie concerne la possibilité pour le chef de l’État de modifier la Constitution afin d’avoir le droit de se représenter une troisième fois. Mohamed Ould Abdelaziz pourrait, si tel était le cas, compter sur le renfort éventuel des partis alliés de l’UPR pour obtenir la majorité des deux tiers, qui lui manque pour voter cette réforme.
Une hypothèse rendue plausible par le succès de l’Union de la démocratie et le progrès (UDP), devenu le troisième parti mauritanien sous la direction de Naha Mint Hmadi Ould Mouknass, ministre des Affaires sociales, de l’enfance et de la famille. Ses six députés pourraient en effet se joindre à ceux de l’UPR.
Autre donnée qui alimente la controverse, le chef de l’État mauritanien a manifesté sa volonté de demeurer au centre de l’échiquier politique après l’élection présidentielle de 2019.
En revanche, les nombreuses déclarations qu’il a distillées dans les médias militent pour un respect de la Constitution par le chef de l’État et son abandon de la présidence, l’an prochain. En février dernier, il affirmait dans Jeune Afrique, au sujet de l’article 28 de la Constitution qui limite à deux le nombre des mandats présidentiels : « Je n’y toucherai pas. »
Mohamed Ould Abdelaziz a vu ce qui est arrivé à plusieurs dirigeants après leur départ de la présidence
Si on le prend au mot, il lui reste deux possibilités pour rester incontournable. Devenir Premier ministre d’un président qu’il se serait « choisi », à la manière de Poutine permutant avec son Premier ministre Medvedev en Russie. Ou se positionner à la tête de l’UPR, aujourd’hui ultra-dominatrice, comme le faiseur de roi et celui avec lequel il faudra compter dans tous les domaines.
« Mohamed Ould Abdelaziz a vu ce qui est arrivé à plusieurs dirigeants après leur départ de la présidence, par exemple à l’ancien président angolais José Eduardo Dos Santos dont le successeur détricote l’héritage et met en accusation jusqu’à sa fille. Il veut donc assurer ses arrières et œuvre en ce sens », analyse un responsable mauritanien.
Il faudra suivre pas à pas les décisions qu’il prendra jusqu’à la fin de son mandat. Le 1er octobre, le Parlement fera sa rentrée et nombreux sont ceux qui parient que le président de l’Assemblée sera Cheikh Ould Baya, Un proche du chef de l’État qui vient de troquer son poste de maire de Zouerate pour celui de député de la ville minière.
Le futur gouvernement sera forcément dirigé par un très proche du chef de l’Etat. Le successeur que celui-ci désignera – un jour – ne pourra être qu’un très, très, très proche.
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