[Tribune] En Côte d’Ivoire, les vieux démons de la violence verbale refont surface

Le ton monte progressivement depuis quelques semaines sur la scène politique ivoirienne. Une escalade verbale qui fait planer le spectre d’un retour des discours de haine qui ont marqué la décennie de crise militaro-politique.

Lors d’une manifestation de femmes contre les violences posélectorales, le 8 mars 32011 à Abidjan. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Lors d’une manifestation de femmes contre les violences posélectorales, le 8 mars 32011 à Abidjan. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

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  • André Silver Konan

    Journaliste et éditorialiste ivoirien, collaborateur de Jeune Afrique depuis Abidjan.

Publié le 18 septembre 2018 Lecture : 3 minutes.

Chemise verte de treillis, jeans délavé et barbe de révolutionnaire, Justin Koua, secrétaire national à la Jeunesse du Front populaire ivoirien (JFPI), est apparu offensif au meeting d’Ensemble pour la démocratie, à la Riviera Anono (commune de Cocody, à Abidjan). « Nous allons faire porter à Alassane Ouattara ses habits de deuil et le conduire à sa dernière demeure », a-t-il lancé à la foule, dans une ambiance surchauffée. Des propos particulièrement violents et – il faut le dire –  irresponsables, qui ont été salués par un tonnerre d’applaudissement, donnant le ton de la rencontre. Très vite, samedi 16 septembre, la vidéo de l’intervention de Koua a inondé les réseaux sociaux.

À peine sorti de prison, Moïse Lida Kouassi a tenu des propos aux relents ethnicistes nauséabonds

Proche d’Aboudramane Sangaré, Justin Koua, est coutumier de ce genre de saillies même si, jusque-là, il s’était abstenu de pousser si loin le bouchon de la violence verbale. En avril 2015, il a été condamné à 30 mois de prison ferme pour « discrédit sur une décision de justice », avant d’être libéré en novembre 2017. Pour ses partisans, Koua a payé là ses critiques violentes à l’encontre du pouvoir.

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Autre ancien détenu, autre dérapage. À peine sorti de prison – il a été libéré le 8 août après la décision d’amnistie présidentielle -, Moïse Lida Kouassi, ex-ministre de la Défense de Laurent Gbagbo et vice-président du FPI, proche lui aussi de Sangaré, a tenu des propos aux relents ethnicistes nauséabonds.

Ce sudiste aux thèses ultra-nationalistes avait avancé qu’ « aujourd’hui, celui qui parle au nom des Dida de Lakota à l’Assemblée nationale, s’appelle Kouyaté Abdoulaye. Je trouve inadmissible que celui qui parle au nom des Abbey à l’Assemblée nationale s’appelle Adama Bictogo, que celui qui parle au nom des Agni d’Aboisso s’appelle Sylla ». Tous les noms « incriminés » sont ceux de natifs du Nord. Depuis, devant l’indignation unanime des milieux intellectuels face à ses propos, Lida a observé le silence.

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Mais les dérapages verbaux ne sont pas l’apanage de l’opposition. Début septembre, Hamed Bakayoko, en pleine campagne électorale en vue des municipales à Abobo, fief du RDR et épicentre à Abidjan de la crise postélectorale en 2011, a réveillé de vieux démons, donnant l’impression d’appeler ses supporters à une forme de défiance de l’autorité des agents de l’ordre et de la sécurité.

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« À partir de maintenant, si vous croisez quelqu’un qui veut vous humilier, si vous croisez  un policier ou un gendarme qui veut vous fatiguer, dites-lui attention, je suis le frère d’Hamed Bakayoko », avait-il alors lancé devant des centaines de ses partisans. Une exhortation surprenante pour celui qui a été durant six ans ministre de la Sécurité, avant d’être nommé à la Défense, en janvier 2017.

Menace voilée, mais précise

Les réelles bavures policières vers la fin des années 1990, sous Henri Konan Bédié et lors de la gouvernance de Laurent Gbagbo, ont souvent été instrumentalisées par certains politiques, dont Amadou Soumahoro, vice-président du RDR, qui rappelle souvent la « chasse aux longs boubous », en référence aux ressortissants du Nord abusivement traqués sous les pouvoirs passés.

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En mars 2018, au cours d’un meeting, la ministre Kandia Camara, secrétaire générale du Rassemblement des républicains (RDR) et l’ancien ministre Adama Bictogo, vice-président dudit parti, s’en sont violemment pris à Jean-Louis Billon et Maurice Kakou Guikahué, deux cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié), opposés au projet de parti unifié de la mouvance présidentielle. Des menaces à peine voilées reprises six mois plus tard, par le président des jeunes du RDR.

S’adressant à d’autres jeunes de l’opposition qui comptent organiser un sit-in devant le siège de la Commission électorale indépendante (CEI), pour réclamer sa réforme, Dah Sansan a martelé : « Non, ils n’auront même pas l’occasion de descendre dans la rue. Je crois que je vous ai parlé sagement, ils n’en auront pas l’occasion ». La menace a le mérite d’être voilée, mais elle est précise.

Elle rappelle celles des ex-jeunes patriotes de Charles Blé Goudé, qui ont précédé une marche de l’opposition à Laurent Gbagbo en mars 2004, à Abidjan. Et qui avait débouché sur un massacre, en quelques heures : au moins 120 opposants tués, 20 disparus et 274 blessés, selon le chiffre officiel de l’Organisation des Nations unies (Onu).

En Côte d’Ivoire, personne n’a oublié ces moments de terreur répétés lors de la crise postélectorale qui a causé la mort de plus de 3 000 personnes issues de tous les camps. Sauf peut-être certains politiques qui persistent à jouer avec le feu.

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