
Dans une rue de Bamenda, au Cameroun anglophone (photo d'illustration). © Rbairdpcam/CC/Flickr
Depuis près d’une semaine, des familles entières affluent dans différentes villes situées en lisière des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Les autorités essaient de calmer la situation, mais peinent à se faire entendre.
Les villes des régions anglophones – le foyer de la crise socio-politique qui secoue le Cameroun depuis novembre 2016 –, se vident chaque jour un peu plus de leurs habitants. Ce phénomène d’exode de masse s’est accentué en fin de semaine dernière, à la suite de rumeurs annonçant l’imminence de nouveaux affrontements entre éléments des forces de l’ordre et sécessionnistes. Dans les gares routières de Buea et Bamenda, de longues files de voyageurs en quête de destinations plus sûres se formaient tout au long de ces derniers jours. Elles ne s’interrompaient qu’à la nuit tombée, en raison du couvre-feu décrété dans ces zones.
Dans les villages, les populations sont contraintes de se déplacer à pied, en raison de l’absence de véhicules. C’est le cas d’Anne-Marie, une habitante de Tombel (Sud-Ouest) qui a trouvé refuge dans la ville voisine de Loum (région du Littoral). Cette quadragénaire, mère de deux enfants, a marché les huit kilomètres qui séparent ces deux localités. « Depuis l’attaque du village de Bouba [dans la nuit du 13 au 14 septembre, ndlr], les coups de feu ont repris partout. Nous avons quitté notre logement le 15 septembre au matin. Il n’y avait aucune voiture, rapporte-t-elle. (…) Les Ambazoniens [partisans d’une « Ambazonie » anglophone indépendante, ndlr] ne veulent pas voir les représentants de l’État. Ils ont dit « pas d’écoles », « pas d’élections ». Je ne pouvais plus rester là-bas », témoigne-t-elle.
Aucune élection ne se tiendra sur le sol ambazonien », a martelé l’un des leaders sécessionnistes
Intimidations
Pour de nombreux migrants, la présidentielle du 7 octobre est la raison principale de leurs inquiétudes. En effet, depuis quelques semaines, les sécessionnistes diffusent des vidéos dans lesquelles ils mettent en garde quiconque prendra part au scrutin.
« Nous allons stopper la circulation dès le 25 septembre, de sorte que les dirigeants de la République ne transportent pas les électeurs dans nos villes. Aucune élection ne se tiendra sur le sol ambazonien », a martelé Ayaba Cho Lucas – l’un des leaders sécessionnistes – sur son compte Facebook. Des menaces prises au sérieux au sein de la population, qui craint de se retrouver piégée dans les violences.
Fermeture des écoles
Les intimidations sont également signalées sur le terrain, où les agents d’Elecam, l’organe en charge des élections, sont souvent pris à partie par les milices ambazoniennes. « Les sécessionnistes ont dit qu’ils ne veulent pas d’élections dans les zones anglophones. Des bureaux de vote ont déjà été incendiés dans le Lebialem [département du Sud-Ouest, ndlr] et un agent d’Elecam tué à Bangem il y a quelques mois. Il y a de toute évidence un péril sécuritaire sur cette élection », explique Francis Ajumane, journaliste anglophone camerounais.
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Dans ce climat délétère, de nombreuses écoles ont décidé de prendre des mesures d’exception. Le lundi 17 septembre, le principal de la Presbyterian Girls Secondary School, un internat pour filles de la ville de Limbe, a invité les parents à récupérer leurs enfants dès le mercredi 19 septembre. Ils ne les ramèneront que le 12 octobre prochain, soit une semaine après le scrutin. La même décision a été prise au sein du campus du collège baptiste Alfred Saker de Limbe, où une pause a été accordée aux élèves, avec effet dès le mardi 18 septembre.
Appel au calme
Les autorités administratives des deux régions anglophones ont initié des actions pour enrayer les mouvements de départ. Le week-end dernier, les gouverneurs concernés ont publié des communiqués visant à sensibiliser la population et à les rassurer quant au dispositif sécuritaire qui a été mis en place. « Nous vous invitons à faire confiance à notre administration et à nos forces de défense qui, ces deux dernières années, ont assuré votre protection et votre sécurité contre les terroristes et les sécessionnistes », a notamment écrit celui du Sud-Ouest, Bernard Okalia Bilaï.
« Le gouverneur de la région du Sud-Ouest ne peut pas espérer que les citoyens de Buea répondent favorablement à ses appels à rester dans la ville, lorsque lui-même se déplace entouré de militaires. Les gens ne partent pas forcément parce qu’ils soutiennent les séparatistes. Ils partent pour la même raison que le gouverneur : ils ont besoin de sécurité », lui rétorque un de ces nouveaux migrants internes, sous couvert d’anonymat.
En mai dernier, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) a estimé à 160 000 le nombre de personnes ayant quitté leurs localités d’origine pour fuir les conflits. Avec ce nouvel exode, nul doute que ce chiffre sera revu à la hausse. De quoi faire monter les inquiétudes, à moins de trois semaines de la présidentielle.
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