Corruption en Tunisie : les dessous du démantèlement du ministère de l’Énergie

Décriée par le gouvernement pour malversation, l’affaire de la concession pétrolière de Halk El Menzel est au cœur de la série de limogeages qui a ébranlé le ministère de l’Énergie le 31 août. Qu’en est-il réellement ? Jeune Afrique a fait le point.

Le chef du gouvernement Youssef Chahed à Tunis, le 6 décembre 2016. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Le chef du gouvernement Youssef Chahed à Tunis, le 6 décembre 2016. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Publié le 3 septembre 2018 Lecture : 3 minutes.

C’est une série de limogeages qui a bouleversé la filière de l’énergie en Tunisie. Le 31 août dernier, pas moins de cinq responsables du département ont été démis de leurs fonctions par le chef du gouvernement Youssef Chahed : il s’agit de Khaled Gaddour, le ministre de l’Énergie, des Mines et des Énergies renouvelables, de Hichem Hmidi, le secrétaire d’État chargé des Mines, mais également des directeurs généraux des Hydrocarbures et des Affaires juridiques et du président-directeur général de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap).

Si une enquête au niveau du ministère sera conduite par l’Instance de contrôle général des services publics (ICGSP) et l’Instance de contrôle général des finances (CGF), retour sur les causes réelles et les premières conséquences de cette affaire.

  • Les raisons avancées

la suite après cette publicité

Deux affaires sont à l’origine de cette série de limogeages, selon les raisons avancées par le gouvernement. La première concerne le secrétaire d’État chargé des Mines, Hichem Hmidi, dénoncé pour corruption par un Irakien, intermédiaire dans des opérations d’achat d’engrais phosphatés. Des enregistrements remis à un juge d’instruction confirment l’implication de Hichem Hmidi ainsi que d’autres dirigeants au plus haut niveau du gouvernement.

L’autre affaire, beaucoup plus confuse, porte sur la concession pétrolière de Halk El Menzel, dans les zones côtières de Monastir, et son exploitation par la société Topic, malgré un contrat arrivé à échéance en 2009. Pour justifier sa décision du 31 août, la présidence du gouvernement a ainsi pointé du doigt une malversation. Mais rien n’est moins sûr.

  • L’affaire Halk El Menzel

La concession pour une durée de cinquante ans a été attribuée aux compagnies Elf, OMV et Shell en 1979. Elles la cèdent à la société Topic en 2006, conformément au code des hydrocarbures de 1999. « La qualité médiocre du brut et sa faible quantité (8 millions de barils, soit 2% des réserves nationales) font que le gisement est finalement considéré comme une découverte non exploitable à la commercialisation », précise un spécialiste des hydrocarbures.

Pourtant en reprenant le site, Topic dépose un plan de développement et projette de démarrer l’exploitation en 2013. Personne ne s’y oppose. Seulement, le code des Hydrocarbures de 1999 prévoit des durées de concession de trente ans, et non de cinquante. Le comité consultatif des hydrocarbures au ministère de l’Énergie avait lancé deux consultations en 2011 sur ce point litigieux. Selon leurs conclusions, le contrat de concession de Halk El Menzel courait jusqu’en 2029.

la suite après cette publicité

La présidence du gouvernement et les services concernés en avaient été avisés en 2015. Le gouvernement de Youssef Chahed affirme aujourd’hui être le premier à en relever l’affaire et considère que Topic exploite le champ illégalement, estimant que son contrat a expiré en 2009. Dans ce cas, Topic aurait pu demander, comme l’ont fait d’autres concessionnaires, une prorogation de ce délai de validité.

  • Les discordances

Pourtant le gouvernement Chahed ne pouvait ignorer l’affaire, le projet de Halk El Menzel, évalué à 310 millions de dinars, figurait parmi ceux qu’il avait présentés en 2016 lors de la conférence des investisseurs « Tunisia 2020 ». En juillet 2017, Topic a repris ses travaux sans qu’aucune objection n’ait été émise auprès du ministère ou de la municipalité de Bouficha, dont le champ dépend.

la suite après cette publicité

Le porte-parole du gouvernement, Iyed Dahmani, a également dénoncé l’absence de participation de l’Etap, responsable de la gestion de l’exploration pétrolière et gazière au nom de l’État, à ce projet qu’elle considère comme obligatoire. « L’Entreprise a la latitude de décider que l’exploitation n’est pas suffisamment rentable », précise Kamel Bennaceur, ancien ministre de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines. Sur les 59 concessions attribuées depuis les années 1950, l’Etap détient des participations dans 35 concessions d’hydrocarbures.

  • Les conséquences

« L’affaire » prend désormais une dimension politique et tient plus de l’instrumentalisation d’un dossier – qui aurait pu relever d’une simple enquête administrative -, que de la malversation. Mais à vouloir être le chantre de la lutte contre la corruption, Youssef Chahed fait preuve de peu de discernement et procède à des amalgames précipités.

En démantelant la filière de l’énergie et en annexant le ministère à celui de l’Industrie, pour des divergences selon Khaled Gaddour, Youssef Chahed sème le doute sur sa propre gouvernance et alimente une crise de confiance générale. Dont celle des investisseurs étrangers, appelés le 18 septembre à une conférence internationale à Tunis pour investir en Tunisie.

En écornant l’image du pays et du gouvernement, en désignant de faux coupables, Youssef Chahed mesure-t-il l’impact de ses décisions ? L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) demandera sans doute des comptes au chef du gouvernement qui se prépare à déposer la loi de finances 2019.

L'eco du jour.

Chaque semaine, recevez le meilleur de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Tunisie : la lutte anticorruption stagne

Contenus partenaires