Dossier aérien : le Moyen-Orient à l’assaut du ciel africain

Profitant de leur position géographique, Emirates, Qatar Airways et Turkish Airlines multiplient les destinations sur le continent. Ethiopian Airlines ou Kenya Airways ne cachent plus leur inquiétude.

Basée à Dubaï, Emirates dessert 26 villes du continent. Ici, dans un A380. © Reuters

Basée à Dubaï, Emirates dessert 26 villes du continent. Ici, dans un A380. © Reuters

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Publié le 31 octobre 2014 Lecture : 7 minutes.

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Le Moyen-Orient à l’assaut du ciel africain

Sommaire

Les avions en provenance du golfe Persique et de Turquie se multiplient sur le tarmac des aéroports africains. De 2008 à 2013, le géant Emirates, basé à Dubaï, a augmenté de 62 % sa capacité vers l’Afrique et y compte 26 destinations aujourd’hui. Ses voisines Qatar Airways (installée à Doha) et Etihad (Abou Dhabi) suivent la même logique, avec des hausses respectives de 44 % et 100 %.

Quant à Turkish Airlines, forte d’une flotte de 250 appareils – que ses dirigeants souhaitent porter à près de 400 en 2020 -, elle a triplé sa présence sur le continent. « C’est désormais une région stratégique pour nous, explique Temel Kotil, le PDG de la compagnie. Nous desservons 42 destinations africaines, et notre trafic passagers sur cette région connaît une hausse de plus de 20 % par an depuis une décennie. »

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>>> Lire aussi : Turkish Airlines fond sur l’Afrique

JA2803p078-3info2Hubert Frach, directeur commercial Afrique-Europe-Amériques d’Emirates, est tout aussi enthousiaste. « La croissance du trafic aérien africain, d’environ 9 % par an, est plus dynamique que les autres. Nous voulons capter ce nouveau marché », indique cet Allemand qui a fait sa carrière chez Lufthansa avant de rejoindre Emirates. Celle-ci, qui a ouvert neuf destinations en cinq ans sur le continent, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Comme Turkish Airlines, elle pense qu’être la première à se positionner sur les destinations africaines lui offrira un avantage crucial quand la croissance de ce marché atteindra son apogée.

Rivages

« Les compagnies du Moyen-Orient sont nos concurrentes internationales les plus agressives sur le continent. Elles bénéficient même souvent d’un accueil favorable de la part des États africains, dont les dirigeants apprécient les émirats du Golfe », observe Henok Teferra, directeur international d’Ethiopian Airlines, que cette offensive inquiète.

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>>> Voir aussi : Aviation : ces grands patrons qui font bouger les lignes

Lors de la dernière assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa), en novembre 2013, cette attaque venue du Moyen-Orient constituait le premier sujet de discussion. Alors que les compagnies moyen-orientales ciblaient jusqu’en 2008 le nord et l’est du continent en raison des liens culturels et commerciaux traditionnels entre leurs pays et ces régions, elles étendent désormais leurs réseaux à l’ensemble de l’Afrique.

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Touristes et businessmen

Hubert Frach : Directeur commercial Afrique-Europe-Amériques d’Emirates

JA2803p074 1« Nous mettons l’accent sur les destinations touristiques du continent africain, comme le Kenya et l’Afrique du Sud, et sur celles qui intéressent les hommes d’affaires, telles Luanda ou Casablanca, villes pour lesquelles nous augmentons la fréquence de nos vols. Emirates n’appartient pas à une association aérienne comme Star Alliance ou SkyTeam, nous préférons la croissance interne. Toutefois, nous collaborons au cas par cas avec des compagnies africaines, notamment Air Mauritius, avec laquelle nous travaillons depuis dix ans, et South African Airways, avec laquelle nous partageons les codes de nos quatre vols journaliers entre Johannesburg et Dubaï. »

Diaspora et pays à risques

Temel Kotil : PDG de Turkish Airlines

JA2803p074 2« Nous sommes désormais l’un des premiers transporteurs aériens du continent. L’intérêt de nous y implanter est indéniable. Quand nous ouvrons une ligne, nous examinons le marché avec attention, notamment les différentes diasporas, et choisissons soigneusement l’avion le plus adapté, pour optimiser nos résultats. Nous faisons attention aux questions de sécurité, mais sans être obnubilés par des idées reçues sur les dangers de tel ou tel pays. En RD Congo et en Somalie, nous gagnons de l’argent. Si nous avions écouté certains médias, nous n’y serions jamais allés… »

Turkish Airlines et Emirates, les deux acteurs de la zone les plus en pointe, ne négligent aucune région : le premier intervient aussi bien à Kinshasa qu’à Asmara ou à Mogadiscio, le second à Lagos, à Abidjan ou à Durban.

Quant à la low-cost FlyDubai, elle a ouvert trois nouvelles liaisons africaines le 25 août, élargissant son champ d’action au centre du continent avec la desserte du Burundi, du Rwanda et de l’Ouganda. Jusque-là, elle n’était présente que sur les rivages africains du golfe Persique et du nord de l’océan Indien.

>>> Pour aller plus loin : Dossier transport aérien : Les flottes africaines décollent

Explosion

Principal moteur de la montée en puissance de ces transporteurs : l’explosion du trafic aérien entre l’Afrique et la Chine. Les grands aéroports du Moyen-Orient bénéficient d’une situation géographique idéale sur cette route et peuvent jouer un rôle de hub.

Selon le système de réservation aérien Amadeus, 70 % des passagers voyageant entre l’Afrique subsaharienne et les capitales du golfe Persique n’ont pas ces dernières pour destinations finales. Seule Saudi Airlines bénéficie d’un trafic point à point conséquent, grâce au pèlerinage à La Mecque.

Au regard des transporteurs moyen-orientaux, les compagnies chinoises comme China Airlines font pâle figure : elles ne disposent pas encore d’un réseau africain développé ni de la qualité de service nécessaire.

« Nous comptons beaucoup de cadres chinois sur nos vols africains, notamment pour Luanda », note Hubert Frach, dont la compagnie va passer à trois vols hebdomadaires pour la capitale angolaise d’ici à la fin de l’année. « Après les Chinois viennent les Indiens, puis les Australiens. De nombreux cadres de groupes miniers situés à Perth, Sydney ou Melbourne se rendent en Afrique. Ils demandent une prestation haut de gamme que nous sommes les seuls à pouvoir offrir », estime-t-il.

Turkish Airlines peut quant à elle compter sur la Russie. « C’est un pays où nous sommes bien implantés, et dont les entreprises, notamment extractives, travaillent sur le continent », explique Temel Kotil. Selon lui, les tensions politiques entre Moscou et les Occidentaux n’ont guère eu d’impact sur le remplissage de ses avions pour le moment.

>>> Aérien : qui est aux commandes sur le continent ?

Contrairement aux compagnies du Golfe, Turkish Airlines peut aussi s’appuyer sur un marché domestique conséquent de 80 millions d’habitants, parmi lesquels de nombreux businessmen. « Ces deux dernières années, encouragés par les autorités, les hommes d’affaires ont compris l’intérêt de commercer avec le continent. Les échanges avec l’Afrique représentent désormais 20 % du commerce extérieur turc », se réjouit Temel Kotil, qui a été de toutes les délégations économiques officielles sur le continent ces derniers mois.

Pour consolider ses positions africaines, Emirates travaille sans relâche à l’optimisation de son hub, d’où partent déjà 1 600 vols par semaine (contre 1 200 pour Turkish Airlines à Istanbul). « Chaque nouvelle destination au départ de Dubaï est un argument supplémentaire en notre faveur, notamment auprès de notre clientèle des pays africains, dont les aéroports sont souvent mal reliés au reste du monde. Nous cherchons à rendre la correspondance le plus agréable et le plus courte possible », souligne Hubert Frach.

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Destination finale

Mais la compagnie et les autorités émiraties travaillent également à faire de Dubaï une destination finale à part entière, avec la multiplication des conférences professionnelles dans la capitale des Émirats arabes unis, mais aussi avec l’émergence d’un tourisme haut de gamme. « Une clientèle africaine aisée, issue de l’Angola et du Nigeria notamment, s’y rend pour ses établissements de luxe, et surtout pour y faire du shopping », observe Hubert Frach. À Doha, Qatar Airways applique la même stratégie orientée vers le haut de gamme, et compte déjà 19 liaisons aériennes avec l’Afrique.

>>>Voir également : Les compagnies aériennes africaines se révoltent

JA2803p078-3info1Turkish Airlines se veut quant à elle moins élitiste que ses rivales du Golfe, avec des prix plutôt moins élevés que ceux d’Emirates ou de Qatar Airways. « Notre gamme d’appareils est très large, ce qui nous permet de choisir l’avion le mieux adapté – en termes de taille comme de combinaison de classes – et d’en changer quand le trafic croît.

Posséder une flotte de petits appareils permet de lancer une ligne sans trop de risques, et aussi de cibler des villes moyennes, pas seulement des capitales ou des mégapoles, analyse Temel Kotil. En Égypte, en plus du Caire et d’Alexandrie, nous allons bientôt ouvrir des liaisons vers deux villes plus petites. Et au Nigeria, nous relierons Abuja et Kano d’ici à la fin de l’année… »

>>> Lire aussi : Compagnies aériennes africaines : chacun pour soi

La compagnie basée à Istanbul se montre aussi plus audacieuse que ses concurrentes. « Nous desservons Mogadiscio depuis 2010, fait valoir Temel Kotil. En 2009, à l’occasion d’une visite d’État de notre Premier ministre, j’ai pu y rencontrer le président somalien, qui m’a fait part du manque criant de liaisons aériennes dont souffrait son pays. En étudiant attentivement le marché, nous avons réalisé qu’une forte demande de la diaspora somalienne demeurait insatisfaite, notamment aux États-Unis.

Et sur le plan sécuritaire, nos avions pouvaient atteindre l’aéroport par la mer, sans survoler de zones dangereuses. Nous avons donc créé la ligne, qui est devenue très rentable. » Présente également à Kinshasa, ville encore dédaignée par Emirates, Turkish Airlines étudie aussi la possibilité de relier Djouba, au Soudan du Sud.

Face à cette offensive, les compagnies africaines vont devoir réagir. Ethiopian Airlines, Egypt Air et Kenya Airways, qui souhaitent elles aussi profiter du trafic entre l’Asie et l’Afrique, veulent augmenter la capacité de leurs hubs pour résister. Mais la bataille s’annonce difficile, notamment à cause du coût du carburant, plus élevé que celui de leurs concurrents issus d’États pétroliers…

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