Burundi : un référendum à huis clos

Le Burundi a rendez-vous avec les urnes pour un référendum constitutionnel, jeudi 17 mai. Un vote qui se déroulera sans aucun observateur international puisque, selon la Commission électorale, aucune mission d’observation n’a sollicité d’accréditation.

Pierre Nkurunziza, le président burundais, lors du lancement de la campagne pour le « Oui » au référendum constitutionnel lancé par le CNDD-FDD (au pouvoir), le 2 mai 2018 à Bugendana, dans la province de Gitega. © STR/AP/SIPA

Pierre Nkurunziza, le président burundais, lors du lancement de la campagne pour le « Oui » au référendum constitutionnel lancé par le CNDD-FDD (au pouvoir), le 2 mai 2018 à Bugendana, dans la province de Gitega. © STR/AP/SIPA

Armel Bukeyeneza

Publié le 16 mai 2018 Lecture : 4 minutes.

Jeudi, après une campagne menée dans un contexte tendue et entachée d’épisodes de violence meurtrière, les électeurs burundais sont appelés à se prononcer sur le projet d’amendement de la Constitution de 2005 lors d’un référendum critiqué par l’opposition et la communauté internationale. Aucune mission d’observation n’a été mise en place, les différentes institutions internationales ne souhaitant pas cautionner le processus de révision du texte fondamental. Résultat, le référendum burundais, qui devrait sans surprise voir le « oui » l’emporter, se déroulera à huis clos.

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« En raison de circonstances imprévues, l’EAC [Communauté d’Afrique de l’Est, East African Community en anglais, ndlr] n’enverra pas de mission d’observation au référendum du 17 mai au Burundi. Nous souhaitons au gouvernement et au Burundi un référendum pacifique », déclare à Jeune Afrique Richard Owora, chargé de la communication et affaires publiques au sein de l’EAC.

Désapprobation de l’UA à l’ONU

Lors d'un meeting du CNDD-FDD en faveur du "oui" au référendum constitutionnel au Burundi, le 14 mai 2018 à Bujumbura. © STR/AP/SIPA

Lors d'un meeting du CNDD-FDD en faveur du "oui" au référendum constitutionnel au Burundi, le 14 mai 2018 à Bujumbura. © STR/AP/SIPA

En février dernier, Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, déclarait déjà sur la chaîne allemande Deutsche Welle, que « le dossier [burundias] est entre les mains de la communauté est-africaine », et que « jusqu’à ce que les choses soient claires, l’UA n’est pas à même d’envoyer des observateurs si les règles ne sont pas connues d’avance ».

Une position clarifiée par le président de la Commission de l’UA dans sa lettre du 9 mai adressée au président ougandais Yoweri Museveni, médiateur dans le conflit burundais. Après avoir vivement critiqué la tenue du référendum du 17 mai, Moussa Faki Mahamat y enjoint le président Museveni d’agir « pour faire face à la situation ».

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Une posture déjà adoptée en 2015, lors de la présidentielle : l’Union africaine avait alors déjà refusé d’envoyer une mission d’observation, marquant ainsi sa désapprobation vis-à-vis du scrutin qui avait permis à Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat considéré comme inconstitutionnel.

Pierre Nkurunziza, lors des festivités de l'Indépendance du Burundi, le 1er juillet 2017. © REUTERS/Evrard Ngendakumana

Pierre Nkurunziza, lors des festivités de l'Indépendance du Burundi, le 1er juillet 2017. © REUTERS/Evrard Ngendakumana

Nous avons échoué à faire temporiser le pouvoir burundais

Même son de cloche au niveau de l’Union européenne, dont la cheffe de la diplomatie, Federica Mogherini, a dénoncé le 8 mai le « climat d’intimidation et de répression » qui règne au Burundi.

« Jouer le rôle d’observateur implique beaucoup de travail en amont, pour évaluer le contexte, qui n’a pas pu être mené », explique un diplomate européen joint par JA qui précise que c’est à l’initiative du pays qui organise le vote d’accepter la présence d’observateurs internationaux. « On a vite compris qu’il n’y avait pas cette volonté de la part des autorités burundaises pour ce référendum. »

Les Nations unies ne feront pas l’exception et n’enverront pas de mission d’observation. Michel Kafando, envoyé spécial des Nations unies pour le Burundi, était chargé de soutenir la médiation entre le pouvoir et l’opposition, à Arusha.

Contacté par Jeune Afrique, il affirme que « tout a été fait pour que le projet qui allait être soumis au référendum fasse l’objet d’un consensus au sein de la classe politique burundaise. Mais nous avons échoué à faire temporiser le pouvoir burundais. Nous attendons maintenant de voir comment le vote va se dérouler. »


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Malgré l’échec du dialogue, Michel Kafando affirme que les Nations unies y restent attachées sur le principe : « Il est primordial que les parties s’entendent et adopte une vision commune de l’avenir. L’objectif de l’ONU est désormais de préparer l’élection de 2020, pour cela le dialogue doit continuer. »

La presse internationale tenue à l’écart
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Si les journalistes étrangers qui désirent se rendre au Burundi pour couvrir ce référendum sont légion, ils se trouvent confronté à un obstacle : l’obtention du visa. « Nous sommes nombreux à avoir tenté, sans succès. Maintenant, il est compliqué pour nous de couvrir l’actualité au Burundi », témoigne un reporter basé en Ouganda, membre de l’Association des correspondants étrangers en Afrique de l’Est.

Dix jours avant le référendum, le Conseil national de communication (CNC), autorité de régulation des médias au Burundi, avait ordonné la suspension des radios BBC et Voice of America pour une durée de six mois pour « traitement tendancieux » de l’information.

L’ONG Human Right Watch, qui n’enverra personne au Burundi pour le scrutin, indique « qu’il est devenu plus difficile de confirmer les détails des abus commis dans le climat de peur qui s’est emparé du pays ».

Amnesty International confirme. « Il est actuellement très compliqué de mener des enquêtes sur terrain par risque de représailles aux interlocuteurs », regrette Rachel Nicholson, chercheuse sur le Burundi pour l’ONG.

La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) explique de son côté être persona non grata à Bujumbura « depuis le rapport de 2016 [qui dénonçait un risque de génocide contre les Tutsis] et les réactions qu’il a suscitées ».

Meurtres et disparitions forcées

Des soldats et policiers à Ruhagarika, après l'attaque qui a fait plus de 26 morts, le 11 mai 2018 dans la province de Cibitoke, au Burundi. © AP/SIPA

Des soldats et policiers à Ruhagarika, après l'attaque qui a fait plus de 26 morts, le 11 mai 2018 dans la province de Cibitoke, au Burundi. © AP/SIPA

Jugé inopportun par la communauté internationale, l’opposition et la société civile, le changement constitutionnel – qui balayera une fois voté plusieurs acquis des Accords de paix d’Arusha signé en 2000 – se tiendra dans un contexte de peur et de tensions.

Dernier épisode sanglant en date, le 11 mai,  26 personnes ont été tuées en une nuit par un groupe armé à Buganda, dans la province Cibitoke, dans le nord-ouest du pays. Les assaillants, qualifiés par les autorités de « terroristes », se sont ensuite repliés vers la RDC voisine.

Depuis l’éclatement de la crise en avril 2015, déclenchée par la volonté de Pierre Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat controversé, « la Ligue ITEKA [une organisation locale des droits humains interdite de travailler au Burundi depuis octobre 2016, ndlr] a recensé 1710 meurtres, 486 cas de disparitions forcées, 558 victimes de torture et 8 561 arrestations arbitraires, majoritairement liés à la crise politique et à la répression du régime », relève la FIDH dans son nouveau rapport. Le HCR quant à lui comptait plus de 430 000 réfugiés burundais jusqu’au 26 avril dernier éparpillés dans les pays de la sous-région.

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