Liberté de la presse en Guinée : le coup de colère d’Alpha Condé contre les journalistes

Réagissant au mauvais classement du pays par Reporter sans frontières, le président Alpha Condé a accusé les journalistes guinéens de véhiculer « des fausses informations » et une « mauvaise image du pays ».

Alpha Condé, le président guinéen, au palais présidentiel à Conakry en octobre 2016. © Vincent Fournier/JA

Alpha Condé, le président guinéen, au palais présidentiel à Conakry en octobre 2016. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 4 mai 2018 Lecture : 4 minutes.

« Je pense que vous ne contribuez pas à améliorer l’image de la Guinée qui, je le dis souvent, est victime de son passé. Tous les progrès qu’on a enregistrés depuis 2011 sont passés sous silence ! » Le chef de l’État guinéen est en colère, et il l’a fait savoir aux journalistes rassemblés le 3 mai dans une salle exiguë de la Maison de la presse qui porte le nom de Mohamed Koula Diallo, le journaliste tué par balle en 2016 lors d’un affrontement entre militants politiques de l’UFDG (parti d’opposition).

Mauvais classement

Objet du courroux présidentiel : dans le rapport 2018 de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), la Guinée occupe la 104e place sur 180 pays évalués à travers le monde. Soit un recul de trois points par rapport à 2017. De quoi agacer Alpha Condé, invité – tout comme son principal opposant, Cellou Dalein Diallo –, à la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse organisée par la presse guinéenne.

Le gouvernement tente périodiquement de censurer les médias critiques sous des prétextes administratifs, juridiques ou encore financiers

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« Aucun journaliste n’a été arrêté par le gouvernement, encore moins tué. […] Vous présentez une image de la Guinée qui ne correspond pas à la réalité », a accusé le président guinéen, en tenant pour principale responsable l’assistance, composée notamment de journalistes. « Reporters sans frontières n’y est pour rien. C’est vous qui leur donnez les informations ! »

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Dans son rapport, RSF écrit notamment que « le gouvernement tente périodiquement de censurer les médias critiques sous des prétextes administratifs (suspension de plusieurs radios en novembre 2017), juridiques (offenses aux institutions, publications de « fausses nouvelles ») ou encore financiers (défaut de paiement des redevances dues à l’Etat) ». L’ONG affirme également qu’« il arrive même que la Haute Autorité de la Communication ne réponde pas aux demandes d’agrément des médias pour ensuite leur reprocher de ne pas être en règle ».

« Qui ose insulter Macky Sall ? »

Les face-à-face entre Alpha Condé et les médias guinéens ont souvent été tendus. Lors de la cérémonie de clôture des Assises de l’Union de la presse francophone, à Conakry, le 25 novembre 2017, le chef de l’État avait ainsi menacé de fermer toute radio qui donnerait la parole aux syndicalistes grévistes.

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La rencontre du 3 mai a été l’occasion d’un nouveau moment de crispation. « Tous les jours, vous insultez le président dans les radios. Est-ce que j’ai poursuivi quelqu’un ? […] Est-ce qu’un journaliste peut oser insulter Macky Sall ? Vous savez bien ce qui va lui arriver… », a poursuivi Alpha Condé, avant de se faire menaçant. « Comment voulez-vous que l’on vous appuie quand tous les efforts consentis en faveur de la liberté de la presse sont tus et que vous faites du boucan parce que des gendarmes ont provoqué des gens ? »

Nous avons des radios en Guinée qui frisent Radio Mille Collines

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Dans son rapport, RSF écrit que « le régime du président Alpha Condé n’est pas tendre envers les médias », citant en exemple des journalistes contraints à l’exil pour avoir publié des articles « controversés ».

Au contraire, aux yeux du chef de l’État, une frange de la presse guinéenne contribuerait par ailleurs à exacerber les tensions ethniques. « Nous avons des radios en Guinée qui frisent Radio Mille Collines », a-t-il lancé, en référence à la radio qui multipliait les appels à l’élimination de la minorité tutsie durant le génocide au Rwanda. « Si on appliquait la loi, beaucoup d’entre vous ne seraient pas dans cette salle. »

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Les journalistes guinéens souffrent d’un « manque de professionnalisme » et « ne mènent pas d’enquêtes », a-t-il tonné, abordant dans la foulée l’affaire Bolloré, durant laquelle, selon lui, « aucun de vous n’a cherché à connaître la vérité ». « Je vais porter plainte en France pour dénonciation calomnieuse », a-t-il annoncé.

« Un journaliste qui a faim ne peut pas être compétitif »

Ce n’est qu’à la fin de la cérémonie que Sanou Kerfalla Cissé, le président de l’Union des radios et télévisions libres de Guinée (Urtelgui), a pu réagir, invoquant notamment l’insuffisance des aides de l’État, qui permettent d’instaurer « une presse responsable, libre », comme en Côte d’Ivoire, où dont les subventions annuelles s’élèvent à 1,2 milliard de francs CFA. « Un journaliste qui a faim ne peut pas être compétitif », a-t-il expliqué.

Jusqu’ici, l’aide à la presse privée guinéenne était de près de 3 milliards de francs guinéens (environ 278 000 euros), et devrait atteindre cette année 5,2 milliards de francs guinéens (481 700 euros), selon Sanou Kerfalla Cissé.

RSF « a été indulgent vis-à-vis de la Guinée », a-t-il plaidé, citant en exemple les événements du 31 octobre 2017, lorsque des journalistes avaient été molestés par des gendarmes de l’Escadron mobile 3 de Matan, un fait « largement suffisant pour que nous reculions encore [dans le classement], même si la Guinée est l’un des pays où les journalistes ne sont pas emprisonnés, les délits de presse étant dépénalisés ».

Il faut toutefois rappeler que le journaliste du groupe Hadafo Médias, Moussa Moïse Sylla, est actuellement jugé par un tribunal de Conakry pour avoir dénoncé les conditions de vie et de travail de l’armée guinéenne.

En conclusion du chapitre concernant la Guinée, RSF écrit : « Le président [Alpha Condé] tient souvent des propos sévères envers les médias nationaux, internationaux et les organisations de défense de la liberté de la presse ». Une conclusion prémonitoire…

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