« La rupture entre le Maroc et l’Iran est aussi une conséquence de la crise du Golfe »

Le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran, arguant du soutien militaire de Téhéran au Polisario. Mais le spectre du conflit entre l’Arabie saoudite et le Qatar n’est pas étranger à cette levée d’hostilités, selon Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen.

Pour le chercheur Hasni Abidi, la décision du Maroc de rompre ses relations avec l’Iran  n’est pas une bonne nouvelle pour le Maghreb. © YouTube/ court extrait Algérie

Pour le chercheur Hasni Abidi, la décision du Maroc de rompre ses relations avec l’Iran n’est pas une bonne nouvelle pour le Maghreb. © YouTube/ court extrait Algérie

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Publié le 3 mai 2018 Lecture : 5 minutes.

Le porte-avion Abraham Lincoln en 2012. Il navigue actuellement dans les eaux du Golfe. © Carlos M. Vazquez II/U.S. Navy
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Les États-Unis, l’Arabie saoudite, Israël et les Émirats d’un côté. L’Iran et ses alliés de l’autre. C’est le conflit auquel tout le monde se prépare mais dont personne ne veut, tant ses conséquences seraient dramatiques.

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À peine le Maroc a-t-il annoncé sa décision de rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran, que les émirats du Golfe se sont empressés de le soutenir dans sa décision. Arabie saoudite, Émirats-arabes unis, Bahrein, et même le Qatar, pourtant proche de l’Iran, ont insisté sur « le respect des principes de souveraineté de chaque État en veillant à ne pas s’immiscer dans les affaires internes d’autres pays ». Jeudi 3 mai, c’est au tour de la Ligue arabe de condamner « les interventions dangereuses de l’Iran ».

Même si Rabat a nié toute pression étrangère, affirmant détenir des preuves sur l’implication de l’Iran dans l’armement du Polisario, la crise du Golfe agit en toile de fond. C’est en tout cas l’avis de Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, notamment auteur de Moyen-Orient: le temps des incertitudes (Mars 2018, éditions Erick Bonnier).

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Jeune Afrique : Quelle est votre lecture de la décision du Maroc de rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran ?

Hasni Abidi : C’est une décision qui m’a beaucoup surpris. Depuis quelques mois, le royaume a adopté une position de neutralité dans sa politique étrangère dans les différentes crises qui couvent dans la région du Golfe, notamment vis-à-vis de l’antagonisme croissant entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Sa position a été appréciée par plusieurs chancelleries occidentales et arabes qui ont applaudi sa résistance aux pressions de l’Arabie saoudite et ses alliés.

Cette rupture avec l’Iran n’est pourtant pas une première dans l’histoire des relations entre le Maroc et l’Iran…

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Il est vrai que leur relation a toujours été en dents de scie depuis la révolution iranienne de 1979. Mais ces dernières années, le Maroc a repris langue avec les Iraniens et on ne voyait pas de frictions motivant cette décision de rupture radicale et brutale. Je pense que cette dernière doit être plutôt analysée à l’aune du contexte régional dans le Golfe.

Le Maroc envoie le message que l’Algérie ne contrôle plus les activités d’une ambassade étrangère sur son sol

Mais le Maroc dit avoir « des preuves irréfutables » de l’aide apportée par le Hezbollah, donc par l’Iran, au Polisario. Il évoque un transit d’armes via l’ambassade iranienne d’Alger. Quelle est votre analyse ?

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Le Maroc n’était pas obligé de s’exprimer sur les raisons qui l’ont poussé à une telle décision. D’autant plus que ses relations avec Téhéran n’ont jamais été au beau fixe. Cette recherche de légitimation de sa rupture appelle, à mon avis, trois lectures.

La première est que le Maroc vient de rependre le dialogue avec l’Afrique du Sud et Cuba qui sont pourtant de solides alliés du Polisario à la fois au niveau diplomatique et logistique. Leur soutien à ce mouvement est sans aucune mesure avec celui – supposé – de l’Iran.

Le deuxième niveau de lecture est que le Polisario n’a pas besoin de s’armer davantage, du moment qu’il n’est pas en guerre avec le Maroc. Et puis, pourquoi ferait-il appel au Hezbollah qui est déjà impliqué en Syrie et au Yémen, non sans dommage substantiel sur sa force militaire et son image  ?

Le troisième niveau de lecture, qui est, à mon avis, le plus sensible, est que le Maroc envoie le message que l’Algérie ne contrôle plus les activités d’une ambassade étrangère sur son sol, en l’occurrence celle de l’Iran. Les Algériens nous ont habitués à une vigilance extrême à ce niveau. Cette accusation n’est pas de nature à rassurer les relations entre les deux États.

De toutes les façons, ces relations sont mauvaises. Le Maroc a ouvertement accusé Alger d’être à l’origine de son conflit avec le Polisario…

C’est vrai. Les relations entre les deux voisins du Maghreb n’ont jamais été au beau fixe. Mais depuis la guerre des sables, ils ont réussi à se retenir et contenir les conséquences de toute escalade pour ne pas entrer dans un conflit ouvert.

Rompre avec l’Iran est la décision la moins coûteuse pour le Maroc

Quelles sont, selon vous, les raisons derrière cette escalade marocaine contre l’Iran ?

Cette rupture s’inscrit dans un contexte régional et international. Au niveau régional, la position de neutralité adoptée par le Maroc a été exemplaire. Malheureusement, elle n’a pas été du goût de la monarchie saoudienne, qui s’attendait à une position en sa faveur contre le Qatar.

On a bien vu que quelques dirigeants saoudiens ont changé de discours vis-à-vis du Maroc. Certains médias saoudiens ont même diffusé des reportages sur le Polisario, ce qui est une première. À cela s’ajoutent des pressions antérieures exercées par certains États du Golfe pour isoler le Parti islamiste marocain, le Parti justice et développement (PJD), du pouvoir. Cela aurait, à mon avis, poussé les diplomates marocains à réajuster leur position dans la crise du Golfe et à donner un gage d’amitié aux Saoudiens en sacrifiant leur relation avec l’Iran.

Pourquoi ?

Parce que c’est la décision la moins coûteuse. Leurs relations avec les iraniens sont déjà froides. Et puis, au niveau du contexte international, le Maroc a des relations difficiles avec l’Union européenne (UE) sur le plan bilatéral et sur le dossier du Sahara. Ce dernier est toujours en instance d’examen à l’ONU.

Il est de l’intérêt de Rabat de se rapprocher de l’administration Trump qui veut mobiliser la communauté internationale contre l’Iran, considéré comme une menace pour la sécurité régionale et internationale.

Quelles seraient, selon vous, les conséquences de cette prise de position marocaine contre Téhéran ?

Je pense que cela ne fera que réjouir l’Arabie saoudite. Le Maroc est un pays pivot dans la région, connu pour ses positions équilibrées. Il forme les imams africains et occidentaux à l’islam modéré. Il joue un rôle de passerelle entre l’Europe et l’Afrique. L’avoir à ses côtés est une sacrée victoire pour les Saoudiens.

Le Maghreb est dans une situation critique. Importer des tensions externes serait l’étincelle de trop

Mais la diplomatie marocaine a démenti avoir subi des pressions étrangères dans sa décision de rompre avec l’Iran. Elle dit avoir agi uniquement pour défendre son intégrité territoriale. Qu’en pensez-vous ?

Je ne remets pas en cause la déclaration de Rabat, selon laquelle le Maroc détient des preuves sur le Hezbollah et l’Iran. Mais, à mon avis, sa décision est aussi motivée par le clivage croissant dans la région du Golfe. Je suis persuadé que le Maroc a énormément résisté depuis le début de la crise du Golfe aux pressions de Riyad et ses alliés. Ce qui est un bon point.

Mais il est difficile de ne pas lier son hostilité soudaine envers l’Iran à un contexte régional et international dominés par la volonté du président Donald Trump de diaboliser l’Iran. Sinon, comme dit précédemment, pourquoi a-t-il repris le dialogue avec des États qui lui étaient encore plus hostiles comme l’Afrique du Sud et Cuba ? Le Maghreb est dans une situation critique. Importer des tensions externes serait l’étincelle de trop.

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