Municipales en Tunisie : un scrutin sur fond d’indifférence

Alors que les élections municipales se tiendront en Tunisie le 6 mai, la partie semble jouée d’avance, selon certains observateurs. Nidaa Tounes et Ennahdha, les deux principales formations politiques, devraient se partager l’ensemble des municipalités. À moins d’une forte mobilisation des électeurs, ce qui semble loin d’être acquis.

Pendant l’élection présidentielle, en décembre 2014, à Tunis, en Tunisie © Hassene Dridi/AP/SIPA

Pendant l’élection présidentielle, en décembre 2014, à Tunis, en Tunisie © Hassene Dridi/AP/SIPA

Brahim Oueslati © Brahim Oueslati/Facebook

Publié le 24 avril 2018 Lecture : 4 minutes.

Tribune. Le 6 mai prochain, plus de 5,3 millions de Tunisiens, dont 36 000 militaires et membres des forces de sécurité, sur un total d’environ 8,5 millions en âge de voter, seront appelés aux urnes pour élire 7 280 conseillers municipaux dans 350 communes. Reportées quatre fois, les élections municipales constituent un événement national majeur qui clôturera le cycle électoral engagé en octobre 2014 avec les élections législatives, suivies de peu par l’élection présidentielle.

Elles permettront de mettre en place les premières institutions du pouvoir local énoncé dans le chapitre VII de la Constitution du 26 janvier 2014, « fondé sur la décentralisation », laquelle « est concrétisée par des collectivités locales comprenant des communes, des régions et des districts ». Le scrutin mettra fin à la gestion provisoire des communes, adoptée juste après le 14 janvier 2011 ,à la suite de la dissolution des conseils municipaux issus des élections de mai 2010, et marquera une rupture avec la gestion adoptée dans la loi de 1975, hautement contrôlée par le pouvoir central.

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Le nouveau code des collectivités locales, en cours d’examen à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), une fois adopté, consacrera l’autonomie de ces collectivités, qui vont alors jouer un rôle-clé dans le développement économique et social du pays.

Un climat délétère

2 074 listes électorales sont en lice pour le scrutin du 6 mai, dont 1 055 partisanes, 860 indépendantes et 159 listes de coalition. Sur la mosaïque des 211 partis officiellement reconnus, un seul, le mouvement islamiste Ennahdha, se présente dans toutes les circonscriptions, alors que Nidaa Tounes est présent dans 345. La poussée des indépendants, soutenus pour la plupart par les deux puissants partis et formés notamment des militants de l’ancien parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), dissous en mars 2011, sont partis pour jouer les troubles fêtes en cette joute électorale qui se déroule dans l’indifférence totale.

Les règles mises en place pour définir des obligations et des interdits sont plutôt un véritable casse-tête pour les responsables de rédaction et de programmes

Les quelque 50 000 candidats ne sont pas arrivés au cours de la campagne, qui a démarré le 14 avril, à convaincre les citoyens désabusés et déçus d’une classe politique incapable de se hisser au niveau de ses responsabilités. Les contraintes imposées par l’Instance des élections (Isie) et celle de l’audiovisuel (Haica) aux médias pour la couverture de la campagne électorale ont privé les citoyens d’informations sur les programmes des candidats et ajouté au climat délétère qui prévaut dans le pays.

Les règles mises en place pour définir des obligations et des interdits, même si elles sont considérées comme « saines pour la démocratie », sont plutôt un véritable casse-tête pour les responsables de rédaction et de programmes. Elles déplaisent et font des vagues parmi les responsables des médias et des partis politiques.

Ces élections, qui sont censées ancrer le processus démocratique à l’échelle locale, ne mobilisent pas outre mesure les citoyens, de plus en plus indifférents à cette échéance

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La mobilisation citoyenne : le véritable enjeu

Mais les véritables enjeux, au-delà des résultats, demeurent dans l’engagement des citoyens à prendre part à ce scrutin et, par la suite, dans la capacité des nouveaux conseils municipaux à gérer les municipalités. Ces élections, qui sont censées ancrer le processus démocratique à l’échelle locale, ne mobilisent pas outre mesure les citoyens, de plus en plus indifférents à cette échéance, pourtant très importante parce qu’elle pourrait permettre d’améliorer leur vécu quotidien.

Les urnes pourraient sortir des conseillers municipaux alliant incurie et incompétence, ce qui impacterait fortement la démocratie locale

Il s’agit d’instaurer un nouveau pouvoir, le pouvoir local. Mais avec quels conseillers municipaux ? Surtout si l’on sait que le choix des candidats n’a pas toujours obéi aux critères de la compétence, comme s’il s’agissait de remplir les listes, sans se soucier outre mesure des profils des candidats. Les urnes pourraient sortir des conseillers municipaux alliant incurie et incompétence, ce qui impacterait fortement la démocratie locale. Des élus sans envie d’agir pour leur commune, parce que dépourvus d’un sens du devoir et d’une réelle volonté de servir les citoyens. Avec une mosaïque appartenant à divers horizons, les dissensions se feraient jour dès l’installation des nouveaux conseils.

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Un test pour Nidaa Tounes et Ennahdha

Le scrutin du 6 mai constitue également un test grandeur nature pour les principales formations politiques, notamment Nidaa Tounes et Ennahdha, pour jauger leur implantation sur le territoire national et leur poids réel auprès des électeurs, à plus d’une année de la présidentielle et des législatives de 2019. Le mouvement islamiste semble être bien préparé pour cet « examen ». Une éventuelle victoire serait un message clair pour ses détracteurs à l’intérieur et à l’extérieur du pays pour leur montrer que « l’islam et la démocratie pourraient faire bon ménage », (dixit Emmanuel Macron).

À moins d’une forte mobilisation des électeurs, les deux partis se partageront sûrement l’ensemble des municipalités

Nidaa Tounes, quant à lui, va tenter de rejouer le fameux coup du vote utile largement suivi au cours de la présidentielle et des législatives de 2014. Mais cette fois-ci, la situation a changé et le parti fondé par Béji Caïd Essebsi et géré par son fils Hafedh, vidé de ses cadres fondateurs et abandonné par plusieurs de ses militants, a perdu beaucoup de sa crédibilité et ne semble pas en mesure de rafler la mise.

Mais c’est au niveau du partage des responsabilités au sein des communes qu’on pourra vérifier si le consensus, le fameux « Tawafok », entre les deux premiers partis, tient encore et si les listes indépendantes se révèlent vraiment indépendantes au moment de l’élection des maires. Certains observateurs pensent que la partie est déjà jouée et que les deux partis se partageront l’ensemble des municipalités. À moins d’une forte mobilisation des électeurs, qui pourraient renverser toute la donne. Ce qui semble loin d’être acquis.

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