« Black Panther », un miroir pour les Africains

Derrière le succès commercial ou les appropriations politiques, « Black Panther » inspire les Africains et les pousse à écrire leur propre histoire, notamment en refondant leurs systèmes d’enseignement axés sur les domaines scientifiques et surtout en encourageant les filles à s’y engager.

Le film « Black Panther » bat tous les records d’entrées en Afrique © Marvel

Le film « Black Panther » bat tous les records d’entrées en Afrique © Marvel

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  • Souleymane Bachir Diagne

    Philosophe sénégalais, professeur de langue française et directeur de l’Institut d’études africaines à l’Université Columbia, New York

Publié le 28 mars 2018 Lecture : 5 minutes.

Black Panther, le nouveau film de Marvel. © Marvel
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« Black Panther » : pourquoi l’Afrique en est-elle si fière ?

La dernière production Marvel-Disney, « Black Panther », est une aventure de science-fiction entièrement confectionnée dans les studios numériques hollywoodiens. Son extraordinaire succès n’était pas prévisible. Il en dit long sur la soif de reconnaissance des Noirs du monde entier.

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Tribune. Ousmane Sembène a souvent répété que le cinéma devait être une « école du soir » où l’Afrique élaborerait et produirait ses propres images pour se reconnaître en elles comme dans un miroir. Elle ne serait plus ainsi condamnée à regarder les images que d’autres se faisaient d’elle ; elle pourrait se voir « telle qu’en elle-même », et s’entendre pleurer, rire et aimer dans les langues que parle la majorité de ses populations. Sembène savait quelle force est à l’œuvre lorsque sur l’écran la fiction parle à l’imaginaire et donne forme au rêve. Son cinéma se voulait une réponse à Hollywood, une machine à projeter partout sa propre vision du monde.

Hollywood sait mieux que quiconque quelle est la force des images et s’y connaît en matière de films qui deviennent des phénomènes de société contribuant à influer sur le cours des choses en agissant sur la perception que nous en avons. Que l’on se souvienne du choc que représenta Devine qui vient dîner, quand l’Amérique fut forcée de se confronter à son racisme dans le miroir de son cinéma. Ou encore de l’appel de Philadelphia Story à regarder en face, pour les combattre, les stigmatisations dont étaient victimes les malades du sida et ceux considérés comme des groupes à risque.

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Quel genre de phénomène de société est donc Black Panther ? On insiste beaucoup sur les chiffres qui mesurent son extraordinaire succès : plus d’1 milliard de dollars après la première semaine de son accueil par l’important marché chinois, quatorzième film dans l’histoire par les recettes réalisées. Mais ces records ne sont pas différents de ceux enregistrés par des films comme Star Wars ou Superman. Black Panther s’inscrit dans le même genre, dont il respecte parfaitement les lois, avec, pour ne pas donner dans le simplisme et la naïveté, l’humour qui aujourd’hui caractérise la plupart des films de super-héros, ainsi qu’une certaine profondeur et complexité psychologiques des personnages, les bons comme les méchants.

Le succès de Black Panther se trouve dans sa capacité à accueillir les différentes significations des spectateurs, chez qui il provoque l’envie de continuer d’en parler, de prolonger le plaisir

Par ailleurs, il n’est guère « politique » au sens où le sont Devine qui vient dîner ou Philadelphia Story. Même si on y fait allusion au Black Panther Party et qu’on y invoque une « révolution » qui libérera les peuples noirs de la pauvreté et de l’oppression, en Afrique et dans la diaspora. Je crois qu’au-delà des chiffres au box-office qui font mentir l’idée reçue qu’un film dont les acteurs et le propos sont quasiment entièrement africains et africains-américains ne s’adresse qu’à un public restreint, ce qui fait de Black Panther le phénomène qu’il est incontestablement, c’est sa capacité à accueillir les significations les plus diverses qu’y projettent ceux chez qui il provoque l’envie de continuer d’en parler, de prolonger le plaisir.

Lectures politiques

Et le voilà au centre des plus brûlantes de nos questions politiques. Ainsi l’extrême droite américaine elle-même, l’Alt Right, a-t-elle trouvé à s’approprier Black Panther, à en faire un « grand spectacle pro-Trump » qui donne raison à l’ethno-nationalisme et à son idéologie d’une protection de l’identité et des frontières contre l’étranger, le migrant, le non-natif. L’Alt Right a ainsi fait mine d’applaudir le royaume de Wakanda – cette nation africaine où l’on parle xhosa ou l’anglo-américain avec des accents d’Afrique – en mettant en exergue des propos nativistes dans le film, oubliant ainsi la question existentielle que se pose le royaume de Wakanda et sur laquelle est construite la narration : isolationnisme ou intervention dans le cours du monde ?

Voici aussi que la revue en ligne Black Issues in Philosophy (Questions noires en philosophie), sur le blog de l’Association américaine de philosophie (APA), consacre à Black Panther un long dialogue entre les philosophes Lewis Gordon et Gregory Doukas, où le second soumet au premier l’hypothèse que T’Challa est le type même du leader qui commence par être nativiste avant d’évoluer vers des positions réformistes libérales, tandis que son ennemi, qui est aussi son « autre », est un disciple de Frantz Fanon et donc un philosophe de la critique radicale du colonialisme ainsi que de la violence nécessaire.

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La réponse de L. Gordon consiste à voir au contraire dans la monarchie que dirige T’Challa continuant la dynastie des « panthères noires » le modèle de la polis, la cité grecque de citoyens que cherche à détruire Killmonger, lequel, loin d’être fanonien, est au contraire la figure du tyran nihiliste dont les appels à la révolution cache mal le profond afro-pessimisme.

Un miroir pour les Africains

Michelle Obama a aussi offert une lecture « politique » de Black Panther alors qu’on la sait très avare de sa parole, lorsque dans un tweet elle y a trouvé une « inspiration » pour tous ceux et celles, quelles que soit leurs origines, qui seront ainsi encouragé(e)s à devenir « les héros de leurs propres histoires ». J’irai, pour ma part, dans la direction qu’indique ce mot d’inspiration, pour interpréter la pensée de Michelle Obama dans le sens de la scène finale du film où Wakanda décide d’apporter jusque dans les ghettos les plus déshérités l’envie de science et d’innovation technologique où T’Challa et surtout sa sœur voient la « révolution » qui changera le cours des choses.

La leçon du film est que peu importe la couleur du super-héros, qu’il vienne de Wakanda ou de Krypton

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Ainsi, faisant écho à Hidden Figures, cet autre film à succès, Black Panther tendra aux Africains le miroir où ils découvriront le futur qui est promis aux nations qui auront décidé de refonder leurs systèmes d’enseignement en donnant priorité aux STEM (sciences, technologie, sciences de l’ingénieur et mathématiques) et surtout en encourageant les filles à s’engager dans ces disciplines.

Et lorsque l’on aura fini de lire ces graves leçons du conte qu’est Black Panther, on aura garde d’oublier celle qu’elle livre aux nombreux jeunes qui adorent l’histoire et les somptueuses images qui en font un magnifique spectacle, par exemple ceux qui applaudissaient dans la bruyante salle de cinéma d’un Harlem boboïsé où j’ai vu le film : la leçon que peu importe la couleur du super-héros, et qu’il vienne de Wakanda ou de Krypton.

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